CIC-atrices urbaines

mis en ligne le 17 décembre 2009
Trottoirs payants pour de rire
Parmi les actions du collectif parisien RATP (Réseau pour l’abolition des transports payants), deux fonctionnaient en négatif l’une de l’autre. L’action « Portes ouvertes » (bloquer les portillons d’accès aux quais et ouvrir la porte latérale de service) consistait à créer symboliquement, le temps de l’action, les conditions concrètes de la revendication pour les transports gratuits, en laissant les usagers entrer librement dans le métro (avec diffusion de tracts et distribution de café/croissants lorsque le lieu et le moment de la journée laissait espérer une ambiance pas trop tendue avec les cerbères du système…).
À l’opposé, l’action plus ludique « Trottoirs payants » consistait, pour des militants en veste et casquette à la façon de contrôleurs (invitant à réfléchir sur la notion et le rôle de l’uniforme), à arrêter les passants dans la rue pour les informer que l’accès aux marches par la voie publique serait désormais payant. Nous déroulions le discours que l’on nous oppose pour justifier les transports payants (nécessité de payer comme gage de la qualité du service, lutte contre l’insécurité, aspect déresponsabilisant de la gratuité et responsabilisant du prix, etc.). C’était aux passants – usagers de la voie publique – de penser et de formuler des arguments en faveur du maintien de la gratuité des trottoirs. Cette situation renversée, vécue comme absurde car simplement contraire aux habitudes en ce qui concerne les trottoirs, permettait de travailler sur l’un des obstacles à nos revendications qu’est le sentiment de l’évidence des transports payants, qui n’est jamais qu’une habitude de choix faits par les exploitants et les politiques.

Trottoirs payants pour de vrai
Depuis deux mois, dans le métro parisien, les gares SNCF et les agences de la banque CIC, on peut voir une affiche saisissante. Il s’agit de vanter le « service » offert par les distributeurs de cette banque : y recharger son Pass Navigo, c’est-à-dire cette carte à puce nominative sur laquelle est chargé l’abonnement choisi (imposé !) – hebdomadaire, mensuel, annuel – qui remplace le ticket, et qui permet de fliquer tous vos déplacements, tant pour des raisons commerciales que de contrôle social.
Incidemment, notons que les marchands et les tyrans modernes sont animés de la même motivation : prévoir les comportements du consommateur pour celui-là, du citoyen pour celui-ci. D’où les mêmes outils de gestion des données pour pouvoir déduire que tel ensemble de caractéristiques va engendrer tel comportement. Le marchand pour vendre, le tyran pour punir. Ainsi le tyran construit-il un système technico-réglementaire qui associera certaines caractéristiques d’état ou de comportement d’un individu, au risque statistique (construit !) de la commission d’une infraction. Il ne lui reste plus qu’à surveiller, soustraire, voire détruire, un individu au seul constat de ces caractéristiques, avant même qu’un acte n’ait été commis. Dans ce schéma, les données relatives aux déplacements des personnes sont recherchées tant par les marchands que par le tyran. D’où l’imbrication des thématiques commerciale et policière autour de la billettique.
Pour revenir à l’affiche, son visuel est terrifiant dans l’affirmation du programme politique porté par les transports payants. En effet, il montre un distributeur de la banque installé à l’angle d’un immeuble parisien, et de l’autre côté de l’angle, l’abouchement de la rue commandée par des portillons automatiques comme ceux installés à la RATP ou à la SNCF (les « CAB » pour Contrôle Automatique de Billets). En surimpression, on voit les positions successives d’un homme (un jeune bobo satisfait !) qui vient d’utiliser le distributeur et qui n’a plus qu’à faire deux pas pour entrer tout sourire dans la rue, en positionnant son Pass Navigo devant la cellule de lecture d’un des portillons de la barrière.
Aucune référence au métro, au bus, au train, ne vient rappeler qu’il s’agit d’accès aux transports. Aucune référence à ce qui pourrait être une gêne pour le brave usager (une queue fastidieuse à un guichet, par exemple) ne renvoie à un argument commercial particulier du service. C’est vraiment une image dédiée, de l’espace public de la rue devenu espace payant avec contrôle d’accès à chaque carrefour. Ce que les militant.e.s du RATP imaginaient sur un mode de jeu de rôles pour provoquer la réaction et la réflexion des passants, la RATP, la SNCF et la banque CIC le proposent (l’imposent !) comme image du progrès jeune et moderne.
Les affiches sont certes encore discrètes (70 x 50 cm, et associées aux panneaux informatifs). Elles n’ont pas encore l’honneur des panneaux 4 x 3 mètres. Mais le seul fait que cette image soit osée, montre le degré d’intériorisation du schéma de contrôle, tant par les concepteurs et réalisateurs de l’affiche que par les usagers.

« Aux barricades ! »

Plus que jamais il nous faut reprendre possession des espaces publics de nos villes, au premier rang desquels la rue. Et s’il les faut encombrées, que ce ne soit pas de CAB mais de barricades !