« L’Apocalypse now » d’un char israélien

mis en ligne le 11 février 2010
Lebanon, film israélien de Samuel Maoz, le Lion d’Or de la Mostra de Venise de 2009, est un film contre la guerre. Soit. Mais à aucun moment nous n’oublions que ce sont bien des soldats de Tsahal qui, bloqués dans leur char, perdent pas seulement leur latin, mais aussi la raison. Ils parlent hébreu, ils visent les « terroristes » palestiniens. On voit en gros plan l’œil d’un soldat qui pleure. Et aussi en gros plan un vieux Libanais qui ne baisse pas les yeux, alors que le canon du char est pointé sur lui. Un long moment, l’action du film nous fait croire que c’est un film comme les autres films de guerre, qui décrit et illustre ce que font les soldats. C’est le contraire qui arrive : le film travaille dans l’acharnement. Acharnement pour restituer ce que les soldats éprouvent. Répétition des gestes quotidiens dans un espace confiné, à l’intérieur d’un char. Leurs échanges, disputes et peurs : haines et larmes confondues. Il leur arrive de ne pas exécuter les ordres donnés. De refuser d’abattre tout ce qui bouge, de tuer des êtres humains. Guerre du Liban de 1982, un champ de tournesols : le char entre dans le champ et fauche tout sur son passage. Nous n’allons pas douter de la puissance de l’engin. Néanmoins les quatre soldats bloqués à l’intérieur vont connaître la terreur. Car ils sont seuls au monde. Leur contact radio ne répond plus. Entourés d’ennemis réels et imaginaires, ils doivent survivre dans cet espace étroit où il faut tout faire, les besoins naturels et tout le reste. Et essayer de ne pas mourir.
Je rêve d’un Festival de Cannes où la Palme d’Or reviendrait au Palestinien Elia Suleiman et à son magnifique Le Temps qu’il reste, car l’art c’est l’exception, et son film met l’imagination au pouvoir et abolit par un saut dans le vide les murs réels qui enlaidissent et détruisent cette terre alors qu’on prétend qu’ils protègent du « terrorisme » ambiant. Pourquoi le ballet incessant des bourreaux et des victimes serait-il la règle ? J’ai rêvé aussi d’un Festival de Venise où le palmarès donnerait une vision plus ample des enjeux défendus par les films. Car avec des films comme Kippour d’Amos Gitai, Valse avec Bachir de Ari Folman, Z 32 de Avi Mograbi, la barre avait été mise très haut. Lebanon n’arrive pas à égaler l’impact de Valse avec Bachir. Pas seulement parce que celui-ci évoque le massacre de Sabra et Chatila, mais aussi parce qu’Ari Folman avait trouvé les images justes pour peindre un traumatisme tel qu’il se dépose dans la mémoire individuelle. Son approche permet de revivre les faits, en les dépassant par une démarche analytique et non descriptive. Le dessin animé crée une distance en plus – qui fait passer le vécu par la grille de différentes mémoires : par là, il atteint le général, l’universel. Lebanon est un film violent, réaliste, hyperréaliste même. C’est du bon cinéma, mais en fait, seulement « l’apocalypse now » d’un char israélien.