La Louise sur l'étrange lucarne

mis en ligne le 26 mars 2010
1587-louise-michelLa production du film Louise Michel, la rebelle a invité six camarades de Radio libertaire et du Monde libertaire à assister à l’avant-première, avant la diffusion sur France 3 le 6 mars et la sortie nationale en salle le 7 avril. Le film évoque la période de déportation de Louise Michel et de ses compagnons communards en Nouvelle-Calédonie. Nous nous y sommes rendus sans a priori.

Quelques compliments
La réalisatrice Solveig Anspach exprime sa joie de voir une salle pleine d’invités. Elle a l’honnêteté de nous accueillir par ces mots : « Je dois admettre que je ne connaissais pas grand-chose de Louise Michel et ne connaissais pas non plus grand-chose de la Nouvelle-Calédonie, quand le producteur Jacques Kisner, qui avait ce projet en tête depuis sept ans, je crois, m’a proposé de faire ce film. Alors, je me suis dit : voilà deux bonnes raisons de le faire, je vais apprendre beaucoup de choses. » C’est tout à son honneur.
Avant de passer le micro au producteur du film, Jacques Kisner, elle nous montre un drapeau que des Kanaks lui ont dessiné : un très beau portrait de Louise Michel que, grâce au film, ils « ont appris à connaître ».
Jacques Kisner remercie une kyrielle de gens dont je n’ai pas retenu les noms et le service encore public, qui permet de réaliser des films historiques sur des personnages qui sortent des sentiers battus (encore heureux, il ne manquerait plus que le contraire !). Bon, le film démarre sur le discours de Louise Michel lors de son procès devant le conseil de guerre de Versailles, durant lequel elle lâche à ses juges « Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi ! », avant d’avouer tous ses crimes, ceux des autres et jusqu’à son projet d’assassiner Adolphe Thiers. Le voyage sur le Virginie et l’arrivée en Nouvelle-Calédonie sont assez crédibles. Voilà pour les éloges.

Quelques critiques
En revanche, les critiques arrivent – nous ne serions pas anarchistes si nous n’avions pas le sens critique ! La première peut sembler futile s’il en est : Sylvie Testud est bien grimée en Louise Michel, mais cette dernière avait-elle les yeux bleus ? C’est drôle, mais je lui aurais plutôt vu les yeux bruns. Qu’importe, me direz-vous ? Bon, un peu moins crédible : la question de l’âge. Lorsque Louise arrive en Nouvelle-Calédonie en 1873, elle est âgée de 43 ans. Sylvie Testud, elle, a l’air d’une gamine et cela dessert un peu le personnage. En effet, une révolutionnaire qui, après son arrestation et sa déportation à Satory, sa détention durant vingt mois à la prison centrale d’Auberive (Haute-Marne), est embarquée avec ses compagnons communards pour un voyage qui dure quatre mois et débarque après tout ça, eh bien je ne pense pas qu’elle était, ce jour-là, fraîche comme un lys… Il suffit d’ailleurs de relire ses mémoires ; encore un détail me direz-vous. Bon, alors passons aux choses plus sérieuses. Sur la durée, le film nous a paru, à l’unanimité des personnes présentes (l’unanimité : notre grande passion !), quelque peu léger. En effet, on nous présente tantôt une Louise revêche à la façon petite fille émancipée, légèrement emmerdeuse, tantôt une Louise du genre « qui sourit et pardonne, toujours prête à tendre l’autre joue », comme dans la scène où ses copines communardes la critiquent méchamment et qui n’est pas sans rappeler alors une certaine vierge, mais « sainte » celle-là (tandis que Louise, que je sache, ne l’était pas, même si elle ne mit jamais en avant sa sexualité, à l’inverse d’une Emma Goldman) ! Encore une autre critique : une camarade, qui connaît bien la Nouvelle-Calédonie et les Kanaks, pense que ces derniers, il y a plus de cent ans, n’auraient jamais voulu d’un chef couronné comme un roi à la mode occidentale et qu’ils ne dormaient pas sur la plage mais… dans des cases. Enfin, arrêtons d’être puristes et pinailleurs, on va finir par croire que les anars ne sont bons qu’à critiquer.

Pour finir
Mais peut-être est-ce parce que nous sommes anarchistes que tous ces petits détails nous ont plus ou moins gênés. Peut-être aussi le fait que la plupart d’entre nous ont lu, sinon tous les écrits de Louise Michel, du moins beaucoup d’entre eux nous l’a fait voir différemment. Bon, demandons-nous aussi si des réalisateurs anars auraient fait mieux et ne seraient pas tombés, à l’inverse, dans le film pur jus militant ? Au moins, celui-ci a le mérite de faire connaître un personnage que nous apprécions peut-être un peu trop et avons finalement un peu peur de perdre en le faisant trop connaître au grand public. Il faut bien se rendre compte qu’écrire un livre sur Louise Michel est sans doute plus facile que réaliser un film, dont le coscénariste est pourtant Michel Ragon, à la plume si séductrice dans La Mémoire des vaincus. En tout cas, Louise Michel la rebelle est pour nous l’occasion de sortir un « spécial 8 pages », qui sera distribué aux spectateurs devant les salles projetant le film. Une bonne occasion pour évoquer à notre tour cette femme, comme nous la voyons ou aurions aimé la voir. En partant, nous avons offert à la réalisatrice un exemplaire original du premier numéro du Libertaire créé par Louise Michel et Sébastien Faure. Peut-être lui donnera-t-il le goût d’en savoir encore et toujours plus sur le personnage, avant de s’attaquer à un éventuel Louise Michel 2 qui évoquerait la Commune ?