Un jour de colère ?!

mis en ligne le 26 mars 2010
Que m’inspire la journée des femmes du 8 mars 2010 me demande-t-on ? Hum… !
Eh bien, c’est très simple : de la colère, de l’indignation et de la lassitude ! Colère et lassitude car on peut se demander comment en est-on encore là au xixe siècle ? Colère et indignation encore car tout le long du parcours de la manif parisienne, des hommes, applaudissant ce qu’ils pensaient être un spectacle, se gaussaient de façon graveleuse en se tordant le coup pour essayer de regarder sous les jupes des manifestantes (heureusement, le froid a contraint la majorité d’entre nous à couvrir tous nos plus petits morceaux de peau pour nous protéger du vent glacial). Indignation et lassitude toujours car, alors que nous étions en train de vider une bonne pinte bien méritée en fin de manif, un mec bien gras (dans tous les sens du terme !) et encravaté, nous a hélé pour beugler tel un pourceau trop gavé : « hé ! C’est pour quand la journée de l’homme ha ! ha ! ha ! » C’est tous les jours, Ducon ! Et si tu veux, on te fait la tienne ce soir et tu t’en rappelleras, abruti !
Le récit de ces anecdotes serait complètement inintéressant et insignifiant s’il illustrait juste une pensée à la marge. Malheureusement, ce genre de propos, quasiment jamais révélé de la sorte dans les milieux bien-pensants, est l’expression d’une idéologie très prégnante dans la pensée dominante. Idéologie qui s’appuie sur le fait que les femmes ne sont pas des êtres humains comme les autres, qu’il est essentiel, pour ne pas chambouler l’ordre établi, que chaque sexe conserve sa prétendue place dans nos sociétés dites civilisées – en gros et pour le dire vite, les femmes, passives et douces par « nature », doivent gérer la sphère domestique et exercer des métiers dans le prolongement parfait de leur supposée nature : infirmière, institutrice, caissières, etc., tandis que les hommes, actifs et guerriers, doivent prendre en charge les questions extérieures et exercer des fonctions qui conjuguent force et capacité décisionnelle.
Pourtant, en matière de domination masculine et d’oppression des femmes, est-il nécessaire de rappeler les faits ? Doit-on citer de nouveau les chiffres dramatiques ? Apparemment oui ! Alors allons-y et livrons une liste non exhaustive de tous les effets néfastes des sociétés patriarcales. Les corps des femmes sont toujours utilisés comme des armes de guerre dans les pays qui subissent les conflits armés orchestrés par des hommes : 40 viols par jours dans la région du sud Kivu en République dite démocratique du Congo. Les violences d’État contre les femmes sont encore nombreuses, en Iran et en Afghanistan par exemple. La répression contre les militantes s’amplifie, elles subissent des violences physiques, psychologiques et sexuelles. Les arrestations, emprisonnements et exécutions de femmes augmentent alors que, dans le même temps, de nouvelles lois encourageant les discriminations sexistes sont en train d’être votées. Au Mexique, au Salvador ou en Colombie, des femmes disparaissent par milliers, assassinées par vengeance pour montrer quelle famille est la plus forte, la plus puissante, pour montrer qui est le chef. En Afrique du Sud, pays où un quart des hommes ont déjà violé une femme (chiffre de l’ONG Action Aid), les viols « correctifs », c’est-à-dire les viols de lesbiennes, ne cessent d’augmenter. Ils sont perpétués, selon les propres dires des acteurs, pour éradiquer la déviance homosexuelle et redonner le goût de la bite à ces femmes qui aiment les femmes ! Bref, cette liste déjà longue n’est qu’un mince échantillon de ce que subissent les femmes dans diverses parties du monde.
Généralement, les bonshommes français s’indignent devant ces faits et méditent si fort qu’on perçoit facilement leur pensée : « Ah ces Noirs, ces Arabes, ces Jaunes, ces Hispanos… Les femmes, chez nous, sont sacrément bien loties ! Elles sont quand même mieux ici que chez ces sauvageons. » Eh oui, ces messieurs pensent l’oppression des femmes ailleurs, loin, dans des contrées « sauvages », et rien de telle qu’une bonne démocratie pour que tout rentre dans l’ordre !
Eh bien, messieurs les Blancs dominants, j’ai le regret de vous informer que vous avez tort ! La sacro-sainte démocratie (comme votre couleur de peau d’ailleurs) et son arsenal de justice, de prévention et de répression n’épargnent pas les femmes de votre grand pays républicain. Dans votre vieil Hexagone, trois femmes meurent toutes les semaines sous les coups de son conjoint, les viols sont pléthores et les violences homophobes demeurent ! Sans compter les difficultés grandissantes qu’ont les femmes à gérer le quotidien de leurs vies car elles représentent 80 % des emplois précaires, constituant ainsi la cohorte la plus importante des travailleurs pauvres ; elles perçoivent toujours 27 % de moins de salaires que vous pour un travail identique et, au regard de la casse organisée des services publics, éprouvent des difficultés grandissantes pour avoir accès aux moyens de contraception et aux IVG ! (Cette liste est toujours non exhaustive !)
Mais quel intérêt avez-vous à ce que cela change ? Quel intérêt avez-vous à partager les tâches d’élevage des enfants et les tâches ménagères (très chiantes), quel intérêt avez-vous à laisser les postes à responsabilité aux femmes (fonctions moins éprouvantes que les postes d’exécution et mieux rétribuées) ? En réalité très peu, n’est-ce pas ? C’est donc pour cela que nous prenons nos luttes en main… L’émancipation des femmes passera par les femmes et par l’abolition de la société patriarcale.
Donc, pour répondre à la question de départ, je réponds qu’il en faudra encore des 8 mars, des 17 octobre, etc. Il en faudra encore des luttes pour offrir une vie décente à toutes les femmes sans papiers, il en faudra… si nous voulons laisser à nos filles un monde où elles pourront vivre leur sexualité comme bon leur semble, où elles ne risqueront pas un viol au coin des rues ou dans un appartement de bourgeois, où elles pourront boire une bière post-manif sans se faire ridiculiser bêtement par un gros blanc en costume !

Sigrid