Les Féministes se dévoilent

mis en ligne le 11 janvier 2004
Nous qui nous réclamons du mouvement féministe et y participons, parfois depuis les années soixante dix, nous voyons dans la querelle du voile un symptôme de régression a l'œuvre dans notre société.

Tout notre combat a contribué à faire reculer la coutume qui opprime le plus faible au profit de la loi qui le libère. Interdits sur la liberté de disposer de son corps, viol, inceste, violences conjugales, excision… faisaient et font partie de la tradition millénaire de domination des hommes sur les femmes. Les lois conquises - sur l'avortement, le viol, la parité…- ont gagné du terrain sur la violence et l'obscurantisme.

Et voilà qu'une nuée de voiles exhibée par des adolescentes qui font consciemment ou pas le jeu des intégristes, remet en cause les principes fondateurs de la République et en même temps les acquis de notre mouvement.

Par quel enchaînement de démissions et de lâchetés en sommes nous arrivés là ? Comment peut on en effet confondre soumission volontaire et libre choix, tolérance et absence de tout interdit, respect des cultures et complaisance à la barbarie ?

Il n'y a pas à tergiverser.

Le voile est humiliant pour les femmes qu'il assigne à une place de proie et pour les hommes qu'il assimile à des prédateurs.

Le voile est une trahison pour toutes les musulmanes qui ici et ailleurs se sont battues pour ne plus le porter.

Le voile est le signe que le patriarcat que l'on croyait bien fatigué, renaît de ses cendres sous sa forme la plus rétrograde et virulente : l'islamisme radical. Celui ci rencontre le soutien complaisant de ceux qui naguère fustigeaient « l'opium du peuple » : une grande partie de l'extrême gauche, des mouvements altermondialistes et même certains « féministes »… Sans compter bien sûr celui des Églises, trop heureuses de pouvoir soutenir une offensive antilaïque.

Le voile est un test : déjà sont remis en question, ici et là, la mixité des classes et celle des heures de piscine, les programmes scolaires, la neutralité du service public hospitalier, judiciaire ou universitaire. Accepter le voile, c'est ouvrir la porte à d'autres demandes et d'autres surenchères.

Le voile démontre que les acquis sont toujours fragiles et que le combat et la réflexion féministes, loin d'être dépassés, sont plus que jamais actuels. La lutte exemplaire des « Ni putes, ni soumises » est là pour le rappeler.

Nous sommes sensibles aux difficultés rencontrées par les jeunes filles issues de l'immigration. Seule une loi les protégera de la contrainte du voile : celles qui le refusent et celles qui y voient le seul moyen de se soustraire aux agressions machistes. Seule une loi soutiendra les paroles des musulmans laïcs alliés de la République et dissociera l'Islam de ses dérives les plus archaïques.

Des féministes de la première heure : Catherine Deudon (auteure de Un Mouvement à soi : images du Mouvement des femmes), Liliane Kandel (coauteure de « Chroniques du sexisme ordinaire » publiées sous la direction de Simone de Beauvoir dans Les Temps modernes), Annie Sugier (présidente de la Ligue internationale du droit des femmes) et Anne Zelensky (présidente de la Ligue du droit des femmes, cofondée avec Simone de Beauvoir, auteures de Histoires du MLF)

Contact : Ligue du droit des Femmes, Tél : 01 45 85 11 37




COMMENTAIRES ARCHIVÉS


AdrienOuAdrienne

le 18 novembre 2010
Les idées sont bonnes mais quand leur application reste spécifique au voile musulman, à l'exclusion d'autres instruments d'asservissement tels que le voile des bonnes soeurs, l'épilation qui est un autre voile, le langage phallo (enculé, se faire baiser, avoir des couilles,...), patriarcal (bâtard, fils de pute,...), etc, il est à craindre qu'on vise moins l'oppression que son étrangeté.

nico

le 4 janvier 2016
Hello! je ne suis pas vraiment d'accord avec ces raccourcis et simplismes :)Le voile ne peut pas être patriarcal ou oppressant "de fait", ou "en soit". Quand une femme occidentale, d'ailleurs statistiquement probablement totalement victime de patriarcat et de violences sexistes, se rend en Iran et met un voile cela ne fait pas d'elle une femme musulmane, ni une femme plus soumise qu'avant, ni rien du tout. surtout qu'il y a beaucoup de voiles différents, amenant des contraintes (ou avantages) différents. Il faut arrêter de faire des généralités sans-arrêt, et partir du principe que les combats occidentaux sont forcément bons et universels. (c'est bien le "par principe" qui pose problème ici). Sans entrer dans un débat dont je ne suis malheureusement pas spécialiste, les féministes différentialistes ont eu le mérite de poser cette question du colonialisme culturel. Je suis totalement outré par cette prétention qui mène à considérer qu'une personne puisse être soumise ou victime sans prendre son avis en considération. C'est là la négation de son libre arbitre, de son intelligence, de sa libre conscience, voir l'affirmation d'une supériorité culturelle éducative ou intellectuelle, ce contre quoi les mouvements féministes ont tant lutté! Je ne suis pas surpris que vous citiez le mouvement Ni putes ni soumises, superbe exemple de cette intolérable tendance à vouloir imposer ses idées à celles/ceux que l'on dit vouloir émanciper tout en les stigmatisant encore plus que les personnes dont elles sont réellement victimes. Un excellent article publié sur ce blog traitant des Anarcha-féministes non-abolitionistes met en lumière avec maestria les mécanismes pervers qui conduisent à stigmatiser les femmes se prostituant, ces mécanismes sont les mêmes que ceux visant à interdire le port du voile sans aucune considération pour celles qui le portent. Ce qui revient également à les stigmatiser, à les isoler, à renforcer le pouvoir patriarcal, justement.