TEO
Lyon
symbole d'une politique urbaine
TEO est une escroquerie et c'est loin d'être la seule dans ce registre. Une fois de plus, l'État et les collectivités locales tentent d'assurer à leurs amis capitalistes des profits juteux et sans risque, sur notre dos bien entendu. Loin d'être un dérapage ou une erreur de calcul commise par quelques magouilleurs professionnels, la mise en concession du périphérique nord de Lyon s'inscrit au contraire dans un vaste mouvement de privatisation des services et des équipements publics. L'objectif est toujours le même : nous faire payer, par tous les bouts, le simple droit de vivre.À travers ce péage sur le périphérique nord de Lyon, on tente de nous faire payer une troisième fois cet équipement. TEO, on l'a déjà tous payé une première fois comme contribuable. Plus de trois milliards de francs ont été investis par les collectivités publiques, c'est à dire avec nos impôts directs et indirects. TEO, on l'a aussi payé en tant qu'exploité. En effet, les trois autres milliards de francs provenant d'investissements dits «privés», d'où proviennent-ils, sinon des profits prélevés par les capitalistes (Bouygues, Dumez, etc.) sur le travail de leurs salariés ? Bien plus largement encore, TEO aurait-il pu voir le jour sans le travail de l'ensemble des classes laborieuses ? Qui a permis au fil des siècles d'accumuler des savoir-faire et des technologies ? Qui a extrait de la mine, à la sueur de son front, le fer et la pierre ? Qui a transpiré sang et sueur dans les hauts fourneaux et sur les chantiers, ici même et à l'autre bout de la planète ? C'est bien cet effort collectif qui a permis de produire tout ce qui existe, qui a permis aux capitalistes de s'engraisser et à certains d'entre eux de pouvoir investir aujourd'hui dans TEO. TEO, enfin, on tente de nous le refaire payer aujourd'hui comme usager en nous imposant un péage. C'en est assez de cette escroquerie généralisée, de cette exploitation forcenée. TEO doit être libre et gratuit ! Exiger la libre circulation sur TEO, c'est réclamer ce qui est à nous.
Se déplacer est un droit inaliénable, comme manger, se loger, se soigner. Toutefois, il faut en être conscient, cela ne va pas sans poser quelques problèmes. En effet, les déplacements se font de plus en plus en voiture. La fréquentation des transports en commun à même tendance à baisser ces dernières années. À ces premiers constats, rajoutons encore que la plupart des trajets ont lieu les mêmes jours aux mêmes heures. Au total, l'addition peut donc s'avérer élevée : saturation des routes et bouchons, pollution et dégradation de l'environnement. Les anarchistes, comme tout le monde ou presque, ne peuvent qu'être d'accord avec ces premiers constats. D'accord pour dire que se déplacer est non seulement un droit mais aussi une nécessité. D'accord pour dire que l'utilisation massive de la voiture a un coût économique, physique, social et environnemental exorbitant. D'accord, enfin, pour dire qu'on doit stopper cette croissance constante des déplacements en bagnole. Un consensus existe sur ces constats, toutefois les choses se gâtent quand on aborde le chapitre des solutions à mettre en œuvre.
Péages : les écologistes sont pour !
En effet, les chantres de l'écologie voudraient ni plus ni moins contraindre les automobilistes à abandonner leur voiture au profit des transports en commun ou encore du vélo. À cette fin, ils préconisent d'imposer aux automobilistes l'achat d'une vignette spécifique (encore une !) pour pénétrer simplement dans l'agglomération ou dans le centre. C'est ce qu'ils appellent poétiquement le péage global. Confrontés à TEO, certains (les Verts, l'AREV et la CES) ont dû évidemment faire un véritable contorsionnisme réthorique pour légitimer tout à la fois qu'ils étaient contre le péage de TEO car c'était un péage sectoriel, mais pour un péage global. Devrait-on alors considérer que ce qui les gène dans TEO, c'est qu'il n'y en ait qu'un ?
D'autres en revanche (le MEI de Waechter, la revue Silence et quelques associations anti-bagnoles) sont restés d'une logique impeccable en soutenant publiquement le péage sur TEO Dans leur optique, c'est un premier pas vers l'instauration d'un péage global. Entre les deux, entre les apprentis politiciens qui disent le tout et son contraire et les intégristes de la nature, on en trouve aussi certains (les syndicalistes révolutionnaires lyonnais notamment) le cul entre deux chaises, qui refusent tout à la fois de soutenir ouvertement le péage (car ce serait vraiment trop impopulaire) mais aussi de le combattre (car cela signifierait selon eux le triomphe du tout-bagnole).
Par delà les nuances apportées à cette idée de péage, il n'en demeure pas moins que cette approche reste fondamentalement répressive, ce qui évidemment hérisse le poil d'un anarchiste. Outre l'aspect fiscal qui est déjà une coercition en soit, cette idée constitue aussi une progression vers le flicage total de la société. En effet, comment faire pour vérifier que toutes les voitures qui rentrent en ville aient bien leur petite vignette, sinon mettre un flic à chaque coin de rue ou alors rétablir les remparts et les barrières d'octroi ? Cette société policière dont rêvent ces écologistes, clairement nous n'en voulons pas. Ils pourront toujours nous seriner, comme les bourgeois hygiénistes d'hier, que c'est pour notre bien, nous combattrons ces idées et leur mise en application jusqu'au bout. L'histoire a déjà montré (et là les anarchistes sont bien placés pour s'en souvenir) ce que ça donne quand certains commencent à vouloir décider de ce qui est bien et de ce qui est mal pour le peuple, d'autant plus lorsqu'ils s'affublent des oripeaux de la science.
Les préoccutions des classes moyennes
De la même manière, la focalisation de cette approche sur les seuls automobilistes, boucs émissaires un peu faciles, est tout autant inacceptable. Ceci aboutit inéluctablement à mettre dans le même sac le prolo qui va bosser dans son break familial (certes sans aucun doute diesel) et le bourgeois qui prend chaque jour sa voiture d'entreprise avec chauffeur. Cette approche simpliste nie les différences sociales et de classes, de motivations et d'obligations existant entre les automobilistes. Comment peut-on mettre sur le même pied celui ou celle qui emmène un blessé à l'hôpital, celui ou celle qui est obligé d'aller travailler pour nourrir sa famille avec celui ou celle qui va spéculer à la bourse entre deux séances de shopping dans les magasins de luxe ? Est-il normal aussi que tout le monde paye la même chose du fait qu'il utilise sa voiture, sans que jamais on ne tienne compte de ses revenus ? On sait très bien qu'en pareil cas ce serait encore une fois les plus pauvres qui morfleraient le plus. Ce serait eux et seulement eux qui arrêteraient d'utiliser leur voiture. La vignette sur les automobilistes est bel et bien une mesure qui favorisera les nantis, qui leur permettra de circuler en ville sans bouchon et sans problème de stationnement.
Répressive, simpliste et inégalitaire, cette approche viscéralement anti-bagnole n'est évidemment pas née n'importe où et par hasard. Elle reflète les aspirations profondes de classes sociales qui aspirent à une amélioration de leur qualité de vie et qui ont bien entendu la possibilité de supporter ce qu'elles préconisent. Ce type d'approche émane avant tout, comme on peut le constater en fréquentant quelque peu les assemblées écologistes, des classes moyennes. Ces classes, qui n'ont pas de problèmes de survie économique, peuvent en effet se payer le luxe de chercher à améliorer leur qualité de vie, cela bien entendu et comme toujours au nom de l'intérêt général.
Ne subissant pas au premier chef la crise économique et les rapports de classes, il n'est pas étonnant que ces classes-là donnent naissance à une analyse parfaitement asociale et fondamentalement culturaliste. Leur analyse se base en fait sur la croyance selon laquelle la croissance des déplacements automobiles est uniquement ou principalement due au comportement irresponsable des automobilistes. Tout se résumerait, plus ou moins, à une histoire de comportement culturel. Ces dernières années, on aurait ainsi connu le triomphe d'une culture de l'automobile. Progressivement, les «gens» seraient devenus incapables de se déplacer sans leur petite voiture.
Pour donner un caractère irréfutables à leurs affirmations, ils utilisent à envie des enquêtes scientifiques (ça fait tellement sérieux). Ainsi nous citent-t-ils comme une tarte à la crème que sur un trajet donnée (par exemple entre les lieux X et Y), soixante pour cent des gens utilisent leur voiture alors que cela leur coûterait moins cher et leur prendrait moins de temps de prendre le métro. Argument massue pour démontrer, science à l'appui, que les automobilistes sont irresponsables et qu'il faut donc les contraindre à abandonner leur voiture. Bien entendu cependant, c'est pour leur bien et celui de tous. Cette blague-là, on nous l'a faite un peu trop souvent pour qu'on tombe encore une fois dans le panneau.
Voiture et mutations de l'espace urbain
En réalité, les enquêtes, qu'ils citent si volontiers, sont comme toute enquête obligées de simplifier quelque peu la réalité pour être utilisables. Dans le cas présent, elles ne prennent en compte que les déplacements qui ont pour origine ou destination le domicile (domicile-travail, école-domicile, etc). Les autres trajets sont regroupés dans un gros paquet de déplacements secondaires (travail-école, école-courses, etc), voire pas relevées. Ces enquêtes considèrent en fait les déplacements de façon binaire, ce qu'ils sont très rarement dans la réalité.
Ultra-majoritairement, les déplacements automobiles sont des chaînes de déplacements reliant sur une journée des lieux éclatés sur toute la ville. Quand on prend la bagnole le matin, on ne fait pas que le trajet domicile-travail, mais le plus souvent domicile - école - travail - courses - école - domicile. Résultat, quand on dit que soixante pour cent des déplacements entre deux lieux X et Y ont lieu en voiture, c'est exact. Mais on oublie de dire que la très grande majorité ne se borne pas à cela et qu'ils font en réalité X (domicile) - Y (lycée du grand)- Z (travail)- A (école du moyen)- B (crèche du petit) et enfin X (domicile, il est dix neufs heures, on mange et au lit)...
L'utilisation de la voiture n'est donc généralement pas irrationnelle. C'est au contraire un choix parfaitement raisonné, qui permet une souplesse de liaison et ce dans un temps bien souvent nettement meilleur qu'en transport en commun. Avec la voiture, pas de marche (jusqu'à l'arrêt de bus) et pas d'attentes qui se multiplient au fil des correspondances. Évidemment, les transports collectifs sont moins chers mais ça les automobilistes sont bien placés pour le savoir : leur voiture leur coûte en moyenne quinze% de leur budget (autant que le loyer). Toutefois, les journées n'ont que vingt quatre heures et il faut dans ce laps de temps courir d'un bout à l'autre de l'agglomération pour travailler, emmener et ramener les enfants de l'école ou encore faire les courses.
Les vrais facteurs responsables de la croissance des déplacements automobiles sont en fait la segmentation croissante de l'espace urbain (des secteurs seulement dortoirs, d'autres uniquement industriels ou commerciaux, etc.) et l'étalement croissant des villes (construction de maisons individuelles de plus en plus mais toujours favorisées par l'État, départ des industries vers des périphéries de plus en plus lointaines, etc.). Vivre au quotidien dans une ville fondamentalement fragmentée signifie devoir se déplacer pour relier chaque jours des lieux dispersés. La modification fondamentale que nous avons connue ces dernières années, ce n'est pas le triomphe de la culture automobile, n'en déplaise aux écologistes. C'est l'avènement d'une ville dont le fonctionnement se fonde sur la mobilité spatiale et non plus sur la proximité spatiale comme autrefois (l'usine avec sa cité à côté pour caricaturer). Rajoutons à cela les rythmes de vie, les horaires d'école, d'usine, de bureau, etc., systématiquement calqués les uns sur les autres et qui jettent dans les rues tout le monde aux mêmes heures et nous comprendrons les raisons des bouchons quotidiens.
Trois facteurs donc, segmentation, étalement et rythmes. Y en a-t-il un seul dont le prolétariat, ou dont l'automobiliste de base est responsable ? Les vrais responsables, c'est l'État qui favorise l'étalement urbain, ce sont les collectivités locales qui favorisent la fragmentation imbécile de la ville, ce sont les capitalistes qui profitent de tout cela pour se localiser dans les communes les plus offrantes sans jamais tenir compte d'où habitent leurs salariés. Ce sont donc à eux de payer la note, de payer TEO, les transports en commun et les infrastructures routières.
Paul
groupe Kronstadt (Lyon)