Après Foccart, Mobutu...
Un serviteur zélé
Le «Génie de Gbadolite» a fait de l'anticommunisme son fond de commerce. Dans les années soixante, c'est lui qui écarte du pouvoir le nationaliste marxisant Patrice Lumumba et mène une guerre sans merci à sa guérilla dans laquelle officie Kabila. L'enjeu est de taille : il s'agit du contrôle de la plus riche des provinces zaïroises, le Katanga, qui regorge de minerais divers et variés. Sa prise de pouvoir, qui s'étale de 1961 à 1965, rassure à la fois les intérêts belges, omniprésents dans le pays, et la diplomatie américaine qui redoute que le Zaïre ne tombe aux mains des pro-communistes.
Des années soixante à nos jours, le «Guide» restera un allié fidèle mais difficile (car peu fréquentable et souvent incontrôlable) des intérêts belges et français. Ces derniers lui sauveront la mise plus d'une fois, lorsque, par exemple, les gendarmes katangais tenteront une nouvelle fois de reprendre le contrôle du sud du pays. Parallèlement, il a permis durant des années aux forces de l'UNITA de se servir du Zaïre comme d'une base arrière pour leurs raids contre l'État «socialiste» angolais.
Délégitimé, montré du doigt pour la violence avec laquelle il réprime les opposants, le «Président-soleil» connaît des années 90 difficiles... jusqu'au génocide des Tutsis rwandais, où là l'État français le réintroduit sur la scène diplomatique internationale : d'un côté, le maréchal à toque de léopard «accueille» dans des camps de l'est des centaines de milliers de réfugiés hutus rwandais contrôlés par les anciennes forces armées et leurs hommes de main ; de l'autre, il «positionne» ces derniers en vue d'une reconquête du Rwanda. Les États-Unis ayant choisi leur camp (celui des Tutsis anglophones), «l'intelligence suprême» ne pouvait alors se vendre qu'à l'État français, pressé de stopper l'hémorragie (perte du Rwanda, du Burundi...) fragilisant son pré-carré.
Un maréchal pillard
Décrire le Zaïre d'aujourd'hui fait froid dans le dos : le système éducatif a rendu l'âme, les services sociaux sont moribonds, la plupart des gens vivent d'expédients et de l'économie dite «informelle»... et l'appareil productif, lui-même, ne fonctionne plus qu'à 15 à 20% de son potentiel, quand il fonctionne.
À cela, plusieurs raisons. «Tata mokonzi» (papa-chef) et sa clique ont copieusement pillé les richesses du pays. L'État contrôlant tous les circuits d'exportation, ceux qui en sont à la tête ponctionnent régulièrement dans cette manne sans pour autant réinvestir cet argent dans l'appareil productif. C'est d'ailleurs ce qui distingue la classe dominante d'Afrique noire de celle d'Asie : tandis que la première se comporte en rentière, la seconde a une conception productive de l'économie prébendière. L'intervention du Fond monétaire international à la fin des années 70 ne changera rien au problème : le pillage continuera de plus belle, et ce seront les secteurs non producteurs de biens (éducation, santé...) qui seront priés de se serrer la ceinture !
Après quelques décennies de ce régime là, et la crise économique en plus, il n'est guère étonnant de retrouver un État zaïrois en banqueroute, endetté jusqu'au cou, incapable de payer une fonction publique pléthorique, y compris même ses militaires qui, alors, se paient sur la population.
Un politicien hors pair
Dans la plupart des pays africains, l'enrichissement illicite, le népotisme «sont bel et bien sous-tendus par des valeurs sociales positives, à savoir la nécessité d'utiliser toute opportunité qui permette de manifester ces vertus cardinales qui sont la générosité, la largesse, la reconnaissance.»[[Olivier de Sardan, L'économie morale de la corruption en Afrique, in Politique africaine n° 63 (octobre 1996).]]. En d'autres termes, on peut piller si l'on redistribue. Comme, à ce phénomène, s'ajoute l'équation suivante «accès au pouvoir politique = accès aux richesses», on comprend mieux la longévité de nombre de dictateurs africains. L'adhésion au parti-État (ici le Mouvement populaire de la révolution) est un moyen de promotion sociale important, et Mobutu, comme beaucoup d'autres, a su admirablement s'attacher une clientèle avide de richesses à défaut d'éthique. Et quand est venu le temps de «démocratiser» le pays, là encore, Mobutu a su s'acheter des alliés qui, dans leur immense majorité, de près ou de loin, avaient «tapé» dans la caisse précédemment [[Voir à ce sujet le livre d'Edi Angulu Adieu Mobutu (DS Édition, 1991) qui raconte les trajectoires hallucinantes de certains politiciens zaïrois. Edi Angulu est aujourd'hui ministre du tourisme et de l'environnement.]].
Pour beaucoup d'observateurs, la transition démocratique zaïroise a été de pure façade. Les règlements de comptes n'avaient pas pour fond de belles querelles idéologiques mais bien plutôt une lutte âpre de position au sein du pouvoir politique, seule possibilité pour garnir son compte en banque et contrôler tous les trafics et ce, avec la bénédiction de certains réseaux étrangers (belges, français, libanais...).
La fin de l'ère Mobutu laisse donc une classe politique délégitimée et en plein désarroi, qui ve devoir certainement s'exiler, faire allégeance au nouveau pouvoir ou... apprendre à partager le gâteau !
On comprend mieux, dès lors, l'extrême facilité avec laquelle les troupes rebelles ont conquis le pays. Armées, motivées, encadrées, elles ont fait fuir une armée zaïroise en pleine débandade, spécialiste du pillage et de l'exécution sommaire : le rigorisme moral affiché par les rebelles ne pouvait que trouver un écho favorable auprès de la population dans le plus grand dénuement et écœurée par la corruption de la classe politique zaïroise. Reste à savoir si le mobutisme (autoritarisme, vénalité, culte de la personnalité...) n'est pas en mesure de survivre à la mort de son géniteur ! Massacrant des milliers de réfugiés hutus, instaurant un régime de parti unique, Kabila a déjà démontré son caractère peu fréquentable.
Patsy
cercle Bakounine