Soirée libertaire sur les écoles parallèles
Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne)
Les conférences parisiennes, organisées par la Fédération anarchiste en ces premiers jours de l’an 1996, connaissent un indéniable succès. On l’a constaté les 5 et 12 janvier, lors des deux premières réunions du cycle de conférences sur l’anarchisme, qui se sont tenues à la Libre Pensée, avec plus de monde que ne pouvait en contenir la salle (une centaine de personnes). Et le samedi 13 janvier, le forum de la librairie du Monde Libertaire, avec Guiomar Rovira, auteur de Zapata est vivant !, de connaître un tout aussi beau succès.Le soir-même, c’est à Ivry-sur-Seine que l’on a pu encore une fois constater combien il y a actuellement une quête des idéaux libertaires. En effet, environ 80 personnes se sont pressées en salle Saint-Just pour assister à une réunion publique sur les écoles alternatives : Bonaventure d’Oléron, le lycée autogéré de Paris, l’ancienne expérience Freinet à l’école Makarenko d’Ivry et son prolongement avec Radio Cartable — la radio des écoles d’Ivry, qui se produit à partir de Radio Libertaire, le vendredi matin. Depuis 40 ans, aucune réunion anarchiste — ou pour le moins FA — n’avait eu lieu dans la commune, aux dires de notre compagnon Yves Peyraut, président de séance pour l’occasion. Il s’agissait donc de ne pas rater son coup. Autant dire que la réussite fut au rendez-vous. Non seulement nous avons eu droit à des interventions de qualité, de la part de l’ensemble des intervenants, parlant aussi bien au nom de l’association des Amis de Louise-Michel (Yves Peyraut), co-organisant la soirée avec le groupe Étoile Noire de la FA, de Bonaventure (Jean-Marc Raynaud), du LAP (Jean-Luc, enseignant et militant CNT et FA), ou encore de Radio Cartable (Pierre Laborie)… mais aussi des questions intéressantes de la part d’un public pas nécessairement gagné à la cause de l’école parallèle, mais néanmoins curieux quant à son fonctionnement. Et de demander, au sujet de Bonaventure, le pourquoi d’une telle réalisation (insatisfaction par rapport à l’école publique, projet pédagogique à son adresse resté lettre morte, prolongement d’une crèche parentale), le comment du financement (par dons d’un réseau associatif mis en place autour de l’école — gratuité de l’enseignement pour la douzaine d’enfants présents), le budget (11 000 FF par mois), l’occasion ou pas de menées prosélytes (Bonaventure inculque des valeurs de citoyenneté : la liberté, l’égalité, l’entraide… qui se veulent universelles et de bon sens, mais ne livre pas un « prêt-à-penser » anarchiste).
Les propos de Jean-Marc Raynaud ont été appuyés par une vidéo de Gineste Production. Autre façon d’intéresser l’auditoire. Pour le LAP, comme pour Bonaventure, s’est posé le problème de l’insertion des élèves dans le circuit éducatif « normal » et dans la société. Et certains auditeurs de parler de réussite en des termes de notes, de diplômes, d’ascension sociale… Et les intervenants de revenir sur l’absence de notes, une scolarité sans contrainte où le jeune décide autant que l’adulte en des assemblées, des conseils de classe… L’apprentissage de la liberté ne se mesure pas à l’aune de la notation, du nombre de bons points (à Bonaventure, au LAP, ça n’existe pas !). Déroutant pour certains. Il est difficile à admettre le monde sans contraintes qui se dessine, avec comme au LAP une préparation facultative du baccalauréat. Et le partisan de la pédagogie Freinet (le promoteur de Radio Cartable), menée il y a quelques années à l’école Makarenko, d’abonder en faveur de Bonaventure, dans laquelle il se reconnaît, malgré le caractère hors cadre institutionnel de celle-ci. On n’opposera pas ce soir les diverses expériences parallèles menées hors et dans le système scolaire que l’on connaît : l’Éducation nationale. Et Jean-Marc Raynaud d’indiquer qu’il n’aurait pas vu d’objection à mener un projet similaire dans le cadre de l’Éducation nationale, si les instigateurs de Bonaventure n’avaient été ignorés par l’Académie. Puis de prôner l’alliance de toutes les intelligences pédagogiques. Il ne sera pas question, également, d’opposer l’Anarchie (la liberté) et l’École (la contrainte). Propos théologique sera-t-il répondu à l’intervenant qui pose le problème en ces termes, l’école n’étant pas vécue comme une contrainte dans une optique libertaire, anti-autoritaire. Et de contenir l’en-dehors sur sa marge, avec le leitmotiv de la citoyenneté au sein d’une société dont on ne peut se départir et où le manque de structures éducatives n’a jamais été preuve de progrès. On doit changer la société, mais on ne peut la nier, la fuir, l’abolir (« L’Homme, animal social, politique », selon Aristote).
C’est à regret que, vers 23 h 30, nous dûmes nous séparer. Sans avoir pu entendre le représentant de la Fédération Santé-Social-Education de la CNT, venu témoigner de l’action anarcho-syndicaliste dans l’Education nationale (parmi son million et demi d’enseignants). C’est promis, ce n’est que partie remise. L’intérêt marqué pour la réunion a trouvé un prolongement logique dans l’achat de nombreux ouvrages de pédagogie libertaire.
L’époque, loin des mensonges officiels, est propice à l’abandon, l’espace d’un soir, de dame Télévision. A n’en pas douter, le mouvement social de novembre-décembre 1995 a dopé les énergies. Après 14 ans de mitterrandisme, d’anesthésie sociale où le monde syndical, associatif et une certaine façon de faire une politique non politicienne ont été mis à mal, voilà revenu le temps des alternatives et de l’intérêt que l’on n’aurait jamais dû cessé d’y porter.
CLAUDE NEPPER (liaison FA de Vitry-sur-Seine)