L’exigence du combat de classe

mis en ligne le 4 décembre 2014
Le patronat a toujours eu une solide conscience de classe, contrairement au prolétariat qui, aujourd’hui, a largement perdu la sienne. Pour preuve, la semaine de mobilisation qu’organisent conjointement le Medef, la CGPME et diverses autres organisations patronales du 1er au 5 décembre 2014. Manifestations, réunions publiques, grosse communication dans les médias et vers l’extérieur, ces entrepreneurs militants, parfaitement conscients de la réalité de la lutte des classes et désireux de garder l’avantage qu’ils y tiennent depuis longtemps, démontrent une fois de plus qu’ils savent se rassembler pour faire valoir leurs intérêts.

Le beurre, l’argent du beurre et le crémier
Leurs revendications ont le mérite d’être simples : amplifier les baisses de cotisations sociales et de charges fiscales, simplifier le Code du travail – bien sûr présenté comme rétrograde – et exiger la fin des pressions qui pèseraient sur eux. Non, ce n’est pas une blague, juste du cynisme. Dans les discours affichés ces derniers jours, le patronat passe presque sous silence les dizaines de milliards d’euros de cadeaux fiscaux que le gouvernement de François Hollande leur a déjà offerts, depuis le crédit impôt pour la compétitivité et l’emploi de 2012 jusqu’au pacte de responsabilité de 2014. Ils font mine, aussi, d’avoir oublié la lèche permanente que leur fait Manuel Valls, depuis que ce sinistre sire trône au premier ministère. En outre, leurs discours savent également se faire ambigus pour brouiller les pistes et masquer le caractère lutte de classe de leur semaine d’action. Ainsi Pierre Gattaz, le grand roi du Medef, lance-t-il une adresse aux travailleurs, leur assurant qu’« un chef d’entreprise inquiet, ce sont aussi des salariés stressés »… On croirait rêver !
Passées sous silence, aussi, les révélations du Parisien sur les revenus des grands patrons (parfaitement représentés au sein du Medef). Dans son édition du 27 novembre 2014, le quotidien de l’avenue Michelet expliquait que dix-huit des cent vingt présidents des plus grandes entreprises françaises ont gagné en moyenne, en 2013, 4,76 millions d’euros (soit 240 fois le smic). L’an passé, ils n’étaient pas dix-huit à atteindre ce plafond, mais treize. Et on vient nous parler de crise ? Parmi les grands gagnants, on a Arnaud Lagardère et ses 16,6 millions d’euros de revenus et Bernard Arnault et ses 11 millions… On pourra toujours me répliquer qu’il ne s’agit là que d’une centaine (quand même !) de patrons et qu’il faut penser aux milliers de chefs de petites ou très petites entreprises qui, eux, vivent mal et seraient pressurisés par la fiscalité, les cotisations sociales et le Code du travail. Mais ce serait oublier que le problème posé par l’existence du patronat n’est pas seulement de l’ordre de l’inégalité économique. Car outre les différences de salaire (souvent réelles et conséquentes), il y a aussi, et surtout, le rapport social de domination et tout ce qu’il entraîne en termes de violences symboliques et potentiellement physiques (la soumission, les pressions, les harcèlements en tout genre, etc.). Un petit patron aura beau toucher un revenu dérisoire, il sera toujours le chef, le donneur d’ordre, celui qui a le pouvoir de décider, d’imposer, de licencier. Il sera toujours celui qui, par la coercition et la hiérarchie, retire aux travailleurs la capacité de penser et d’administrer eux-mêmes ce qu’ils produisent.

Nos intérêts ne sont pas les leurs
On pourrait bien sûr croire que ce ramdam argenté n’est que le caprice de gamins habitués à toujours tout avoir. Mais ça relève plutôt, en réalité, de la stratégie et d’une bonne connaissance des conditions du moment. Le patronat sait parfaitement qu’il peut obtenir beaucoup de choses des socialistes au pouvoir et il compte simplement en profiter au maximum. Pourquoi ferait-il autrement ? Les patrons n’ont jamais été des philanthropes, et la place même qu’ils occupent dans les rapports de production leur interdit tout humanisme. Rien d’étonnant, donc, à ce que ces porcs défilent dans nos rues et blablatent à n’en plus finir de la nécessaire « libération de l’entreprise » (c’est le nom de leur campagne). La gauche qui s’émeut et qui s’indigne est une gauche qui croit encore, naïvement ou bêtement, qu’on peut construire une société viable et juste sur un système d’exploitation économique.
Pas question, néanmoins, de tomber dans le fatalisme. La mascarade patronale doit juste nous rappeler à tous et à toutes que nous vivons encore dans une société composée de classes qui n’ont absolument rien en commun. Les antagonismes inconciliables qui nous séparent en tant que classe prolétarienne du patronat exigent de nous une lutte permanente qu’on ne pourra mener si nous nous perdons dans les abysses individualistes (qui ne sont pas même un vecteur d’émancipation individuelle) ou dans des combats interclassistes qui nous font défiler avec nos exploiteurs pour des revendications sociétales ou écologistes qui, obtenues de la sorte, ne feront jamais que renforcer le capitalisme en nourrissant ses propres processus de restructuration.