L’édito de Jean d’Ormesson
mis en ligne le 11 avril 2013
Non, je n’ai pas assisté hier soir à la réunion du comité de rédaction du Mond’Lib. Quel événement d’importance a donc bien pu me soustraire au plus cher de mes devoirs, me demanderez-vous ? Vous l’avez déjà deviné : une séance exceptionnelle du CTP. Nous étions tous là, dans les locaux du Figaro-Magazine. Bernard-Henry, dont chacun sait qu’il a fondé le Club des titans de la pensée. Arielle Dombasle, en qualité de représentante des CTP, les Compagnes de titans de la pensée. Johnny, en tant que représentant des arts. Éric Zemmour, notre chargé de mission à l’amitié entre les peuples, bavardait avec Dieudonné, notre directeur de conscience, et avec Bernard Arnault, secrétaire à l’Action sociale, cependant qu’arrivait le Bureau de recherches théoriques au grand complet : Michel Drucker, Christian Clavier, Nicolas Sarkozy, l’ami Séguéla et le président du Bureau, Jean-Marie Bigard. Pourquoi avoir réuni si brillante constellation ? C’est qu’il fallait adjuger pour la première fois notre Prix de l’ambidextrie !Impossible, vous en conviendrez, de départager aisément la foule des candidats dont les prétentions à la suprême maîtrise bilatérale méritent considération. Tenez, vous, avec quelle fine balance pourriez-vous peser l’action d’un Daniel Cohn-Bendit, alchimiste émérite, pierre philosophale de lui-même, s’élevant du plomb de l’anarchie à l’or de Bruxelles, d’une part, et celle d’un Philippe Val, charlie-hebdiste distingué monté jusqu’à l’empyrée radiophonique, d’autre part ? Comment juger sereinement d’un Bertrand Delanoé capable de passer du vélo au gratte-ciel, d’un Claude Allègre plus variable qu’un avis de tempête, d’un François Hollande maître du changement ? D’ailleurs, on avait eu vent de l’importance de cette assemblée. Marine, chargée de notre sécurité, eut bien de la peine à empêcher Rachida d’entrer. Heureusement, mue par on ne sait quel pressentiment, elle ouvrit la porte à un petit bonhomme. Assez asiatique, sanglé dans un uniforme impeccable, la poitrine barrée par une jungle de médailles. Arrivé en notre sein, il salua et lança « Hannyône Hasséo ! ». N’écoutant que son courage, Bernard-Henry se mit en position de combat et s’apprêta à lui asséner un furieux coup de mèche. Manuel Valls, qui lit beaucoup les fiches de la DCRI, l’arrêta à temps : il avait reconnu l’attaché culturel de l’ambassade de Corée du Nord. On fit silence. Qu’avait-il à nous communiquer ? L’évidence ! Et pourtant ni Bruckner, ni Finkielkraut, ni Glucksmann, ni même Nicole Notat n’avaient vu ce qui à présent nous aveuglait. à ce point que l’envoyé n’eut nul besoin de parler. Spontanément, chacun s’écria : « Longue vie au titan de l’ambidextrie ! »
L’énigme résolue
Oui, Kim-Jong-Un. Le Yongmyong-han Tongji (« Le Brillant Camarade »). Le plus jeune chef d’État de la planète. Le seul fan de Dennis Rodman et de la NBA à pouvoir déclencher le feu nucléaire. Maréchal de l’armée de la République démocratique populaire de Corée, Premier président de la Commission nationale de Défense, président de la commission militaire centrale, membre du présidium du politburo du Parti des travailleurs de Corée, Premier secrétaire de la Quatrième conférence du Parti des travailleurs de Corée. Le Parti des travailleurs de Corée préfère parler de Kim-Jong-Un, en toute simplicité, comme du « leader suprême ». Les esprits chagrins, qui sont nombreux jusque dans les couloirs de la rédaction de mon cher Mond’Lib, s’écrieront : « Personne ne fut jamais moins ambidextre que Kim-Jong-Un ! Nul ne suit plus résolument la ligne de Kim-Il-Sung et Kim-Jong-Il ! Pas un millimètre de déviation ! » Allons, mes amis, revenez aux fondamentaux de l’ambidextrie : les apparences, là. La réalité, ici. Kim, tout à la fougue de la jeunesse, menace de nucléariser Barak ? Il lance missile sur missile et déchaîne atome sur atome ? Il faut bien, non que jeunesse se passe, mais qu’il impressionne ses militaires, son peuple, ses rivaux, ses voisins, et son grand frère chinois. Ce que les gros titres passent sous silence, sauf The Economist, toujours bien informé en matière d’ambidextrie, c’est que Kim veut faire comme Xi, comme Deng, et surtout pas comme Mikhaïl. Préserver la caste (pour ses voisins) ou la dynastie (pour lui) en préservant la superstructure bolchévo-mao-kimmiste, tout en substituant à l’inefficace infrastructure dirigiste la beaucoup plus rémunératrice infrastructure capitaliste. On achète et on vend à grande échelle à Pyongyang, depuis un an. Depuis l’arrivée au pouvoir du poupin Jong-Un. On importe et on exporte. Le poupin veut la richesse, sans avoir à la payer de la perte de son pouvoir. Alors, en bon ambidextre, il continue à brandir la menace extérieure pour obtenir la discipline intérieure à un moment délicat, celui où il va changer d’économie. Menacer les États-Unis d’une frappe nucléaire est une manière aussi indirecte qu’efficace de promettre aux chefs de son armée que, comme ceux de l’Algérie ou de la Birmanie, on leur donnera la plus grosse tranche de la tarte.
Avouez que à côté de cette éblouissante démonstration d’ambidextrie, Daniel Cohn-Bendit joue petit bras.