Le bourbier malien
mis en ligne le 21 mars 2013
On peut réduire ce qu’il se passe dans le nord du Mali à une défense généreuse des femmes opprimées. C’est ce que le président de la France normale a déclaré en réponse à son prédécesseur qui le critiquait pour son manque d’envergure. Sur ce point précis, nous conviendrons que pour tous les religieux, qu’ils soient armés ou pas, l’autonomie des femmes est le dernier de leurs soucis si ce n’est contradictoire avec leurs théologies. Les informations qui nous viennent via les médias de Gao, Tombouctou ou Kidal, confirment le soulagement que ces femmes expriment gaiement à la vue de nos martiaux pioupious. Mais cela n’est que l’écume blanche et allègre des miasmes qui remontent autour de ce qu’il faut bien appeler la première des guerres postcoloniales françaises.Le dernier quart d’heure
Je dois dire que j’avais déjà entendu pas mal de déclarations définitives sur la fin de l’un ou l’autre des conflits en cours. Naïf, je pensais que notre « normal » président ne tomberait pas dans ce piège conceptuel. Eh si ! Il vient de nous annoncer le prochain départ des troupes françaises du Mali car, dit-il, l’intervention française est entrée dans sa « phase ultime ». Si cela était aussi simple. L’état-major, lui, a d’ores et déjà préparé le terrain à une prolongation du conflit en présentant, comme une découverte, de l’armement lourd saisi dans des caches montagneuses. Les premiers morts français indiquent que la promenade triomphale est terminée et que cela risque de durer plus longtemps que prévu. Le pari fait par l’État français de se faire relayer par des troupes africaines est très loin d’être gagné. Hors les troupes tchadiennes, pas d’autre pays africain ne s’est risqué dans ce bourbier saharien. Le Tchad a des motivations qui lui sont propres. Limitrophe avec la Libye il a connu une instabilité chronique, l’armée française étant le garant de la stabilité du régime en place, ce qui n’a pas empêché son président, Idriss Déby, d’envoyer de l’aide à Khadafi au moment de la révolution libyenne. Ce qui fait qu’il a bien des choses à se faire pardonner. Il paye avec les vies des 26 soldats tués, pris, selon certaines sources, dans une embuscade montée par des islamistes avec la complicité de Touaregs autonomistes. La presse tchadienne s’est plainte que le Mali n’a pas envoyé de représentant aux cérémonies mortuaires de ces soldats. Bonjour l’ambiance.
Pendant ce temps-là
Si le Mali est en guerre au nord, au sud la situation est tout aussi chaotique. Un colonel major a été rappelé du front à Bamako pour, d’une part, un désaccord important avec les Français sur les relations à avoir avec les Touaregs ralliés, et d’autre part pour avoir « été impliqué dans l’évasion du maire de Tarkint, Baba Ould Cheick, qui avait été arrêté en février car figurant sur une liste de personnes recherchées par la justice malienne pour trafic de drogue ». Dans Bamako même des informations font état de chasse aux musulmans fondamentalistes à qui la police rase la barbe. La liberté de la presse pose problème au pouvoir, un journaliste a été arrêté. Ce qui a provoqué une grève générale de ses collègues. Aucun journal ne paraît ni en ligne ni sur papier ce mardi 12 mars. Boukary Daou a été interpellé par la Sécurité d’État pour avoir publié dans son journal, le Républicain, un article mettant en cause les avantages accordés au capitaine Sanogo et son comité. Cette arrestation a amené l’ambassadrice des états-Unis à Bamako, lors de l’inauguration de l’installation dans cette capitale de la radio Voice of America, à déplorer cette nouvelle. L’article en question reproduisait la protestation de soldats maliens sur le front à propos de ces avantages. Ils disaient : « Nous avons appris, pendant que nous mourons, nous, dans le grand désert, que le capitaine Sanogo, pour avoir fait un coup d’État, et mis le pays dans la situation que nous connaissons, doit bénéficier d’un salaire de quatre millions. Et les autres de son groupe, c’est-à-dire son clan, qui refusent de venir combattre, bénéficient également des mêmes traitements. » Ils ajoutaient que « si cette décision n’était pas annulée avant dans les deux semaines suivantes, nous cesserons, nous, c’est-à-dire moi et mes éléments, de combattre et nous sommes prêts à en subir toutes les conséquences ».
Et pendant ce temps-là, une partie de la presse française fait cocorico, les pays voisins veulent bien intervenir si quelqu’un paye, l’État malien est en complète déconfiture, les intérêts occidentaux ont besoin que la France joue le rôle de gendarme. Les Américains ne sont pas les seuls à être sur place. La Chine dont personne ne parle est là. Depuis l’an 2000, chaque année des entreprises chinoises s’installent discrètement dans la capitale. Les secteurs concernés sont très divers et vont du commerce à la restauration-hôtellerie, en passant par les travaux publics, l’industrie et l’agriculture. Ce qui a surtout comme effet l’introduction de produits manufacturés chinois en grand nombre. L’Empire du milieu a aussi besoin d’un gendarme.
Garde à vous !