Ceci n’est pas une crise, c’est une arnaque
mis en ligne le 13 septembre 2012
Cet été, pas de congés pour les luttes sociales en Espagne. Depuis le début de l’année Le Monde libertaire s’est largement fait l’écho de la situation économique et politique de ce pays désormais dirigé par un gouvernement de droite. Tous les secteurs d’activité sont touchés, à commencer, bien évidemment, par les services publics : santé, éducation, pompiers et même… les flics. Responsables ? Pas les gouvernants ni les patrons, mais la crise ou, mieux, les marchés, ce nouveau concept qui a remplacé Dieu et la fatalité. Une large partie de la population a tout de même compris que la fatalité n’a rien à voir là-dedans et se refuse à admettre (salauds de pauvres !) que l’urgence, pour le gouvernement, consiste à sauver les banques et à combler le déficit de l’état et des régions autonomes. Dans un premier temps, le Premier ministre, Mariano Rajoy, la main (ferme) sur le cœur, avait juré que, non, l’Espagne ne demanderait pas l’aide de la Banque centrale européenne (BCE). Puis, avec l’affaire Bankia 1 – banque qui nécessitait 19 milliards d’euros pour son sauvetage –, le même Rajoy était prêt à accepter l’aide européenne de 50 milliards. Le Monde libertaire, qui n’est pas vraiment un journal financier, l’avait quand même aussitôt pronostiqué : c’est minimum 100 à 150 milliards qu’il fallait 2. Et, effectivement, dans les semaines qui ont suivi, l’assistance de l’Union européenne passait à 60, puis à 100 milliards. Et, aujourd’hui, ce sont les régions autonomes qui frappent à la porte de l’État central : la Catalogne a chiffré sa demande (5 milliards tout de suite, peut-être 10 au total), la région valencienne (3 milliards) et Murcie (700 millions). À cela se sont ajoutées quatre autres communautés qui se sont inscrites dans la salle d’attente : Castille-La Manche, les Baléares, les Canaries et l’Andalousie. Bref, ça se bouscule au portillon et gageons que d’autres vont adresser leurs demandes à Madrid dans les semaines qui viennent.Où trouver l’argent ? Le Conseil des ministres (qui a lieu le vendredi en Espagne) apporte son lot de mesures antisociales : les coupes budgétaires n’en finissent plus de pleuvoir, le Code du travail est sans cesse remodelé à l’avantage du patronat. Pour mieux enfoncer le clou, les députés du Parti populaire – au pouvoir – répètent comme un mantra : « C’est la crise, c’est la faute aux marchés. » Et, quand Rajoy annonce au Parlement, en juillet, la diminution des prestations chômage, la très chic Andrea Fabra, député membre du même parti que lui, approuve en ponctuant à haute voix : « Que se jodan ! 3 »
Le señor Rajoy, qui a reçu, le 30 août à Madrid, la visite et le « soutien » européen de François Hollande, se veut plus rassurant que jamais et n’en démord pas : l’Espagne (aidée par la BCE) peut faire face aux appels à l’aide des communautés autonomes, mais il précise qu’il fera ce qui lui paraît « le plus convenable pour les intérêts généraux des Espagnols ». Formule qui ne mange pas de pain et qui ne met pas un frein aux mesures antisociales assénées chaque vendredi, comme, par exemple, l’exclusion de tous les immigrés sans papiers du système de santé.
Face à toutes ces attaques contre la population, nos camarades anarcho-syndicalistes répondent : « Solidarité et lutte vers la grève générale. » Juillet a été chaud bouillant avec la « marche noire » des mineurs asturiens, qui ont mené une grève de soixante-six jours (sans paie, évidemment), avec de nombreux affrontements d’une grande violence, notamment lors d’un rassemblement devant la caserne de la garde civile à Oviedo pour soutenir cinq mineurs grévistes convoqués par la « justice ».
La grève générale, un instant envisagée par les syndicats institutionnels (UGT et CCOO), a été décommandée et reportée à… on ne sait quand. Les organisations anarcho-syndicalistes elles, appellent à la mobilisation permanente, sans délai ni trêve, ni repos, ni pacte social, ni bureaucratie, se refusant à signer la déclaration du « sommet social » du 25 juillet, déclaration appuyée par l’UGT et les CCOO, qui se contentent de souhaiter une consultation populaire pour juger de la politique gouvernementale. Partant du constat que, depuis des mois, le peuple a déjà jugé et désapprouvé cette politique, la CGT espagnole appuiera et participera activement à toutes les mobilisations ayant pour but la défense des droits des travailleurs des secteurs privé et public, contre les privatisations, les coupes budgétaires, la « réforme » du Code du travail et la politique économique et antisociale du gouvernement. Le programme d’agitation sociale devant déboucher sur une grève générale à l’automne s’annonce chargé pour septembre : le 12, mobilisations du secteur public dans tout le pays ; le 15, rebelote pour la communauté madrilène ; le 17, grève dans le secteur ferroviaire et l’enseignement ; le 26, grève générale en Euskadi et Navarre à l’appel d’une cinquantaine d’organisations, dont la CNT et la CGT. Pour ces dernières, aucune sortie de crise ne pourra être effective ni utile à la société si elle ne passe pas par un partage du travail et des richesses. La classe possédante laisse entendre que le chômage va encore s’aggraver pour, au final, s’installer durablement. En conséquence, les chômeurs actuels, et notamment les jeunes, ont peu ou pas d’espoir d’obtenir un emploi dans la décennie qui vient, ce qui est le dernier souci des gouvernants, bien plus pressés de voler au secours des banques.
Face à cette situation, la CNT appelle les travailleurs et les sans-emploi à descendre dans la rue, pour faire du chômage le problème social et politique majeur. Il ne s’agit pas de revenir à la situation antérieure à la crise, mais de rechercher des alternatives réelles et pratiques. C’est maintenant que la société dans son ensemble doit prendre conscience que le capitalisme ne fonctionne pas, qu’il est incapable de produire du bien-être, qu’il génère des inégalité en permanence, et qu’il est désormais nécessaire de construire une nouvelle économie. Dans cette optique, la CNT propose le partage du travail et des richesses par une première série de propositions :
– Réduction de la durée hebdomadaire du travail à trente heures sans diminution de salaire.
– Interdiction de cumuler des emplois et des heures supplémentaires.
– Fin des stages et des pratiques gratuites dans les entreprises : tout travail doit être dignement rémunéré.
– Âge de la retraite fixé à 55 ans et interdiction de rester à son poste au-delà de cet âge.
– Période de congés payés portée à trente et un jours ouvrables annuels, et autorisation de congé maternité-paternité les trois premières années.
– Augmentation des prestations chômage (durée et montant).
– Couverture universelle pour les chômeurs en fin de droit ou même sans droit, qui leur permet de satisfaire les besoins de base.
La liste est évidemment bien plus longue et met en évidence le fait que ces mesures peuvent difficilement s’inscrire aujourd’hui dans un cadre capitaliste, ce qui devrait faire son chemin dans la tête de plus en plus de révoltés et d’indignés. C’est bien un autre système économique qu’il va falloir imaginer (et pas seulement en Espagne). Et, à ce sujet, les anarcho-syndicalistes ont déjà prouvé, par le passé, qu’ils avaient quelques idées et qu’une société sans classes – et donc sans patronat – n’était pas une chimère, mais quelque chose de parfaitement réalisable pour peu qu’on le veuille et que l’on s’en donne les moyens.
1. Voir Le Monde libertaire n° 1676 (du 7 au 13 juin 2012) : « Espagne : ni coupables, ni responsables. »
2. Idem.
3. « Bien fait pour eux ! » (traduction soft) ou « Qu’ils aillent se faire foutre ! » (traduction hard). Dans les deux cas on appréciera la finesse de cette « représentante » du peuple espagnol.