Le mouvement antinucléaire français à un tournant ?
mis en ligne le 6 octobre 2011
À Tokyo, lundi 19 septembre, des dizaines de milliers de personnes, bien plus lucides que les membres de leur gouvernement et des dirigeants de l'industrie qui le financent et… le mandatent officieusement, ont manifesté pour la sortie du nucléaire.Avant de voir où l'on en est en France, survolons ce qui se passe dans d'autres pays européens.
Certains pays ont acté cette année la sortie progressive du nucléaire : Suisse, Autriche, etc.
Le cas de l’Allemagne est assez emblématique pour résoudre le dilemme qu’il y aurait entre les réalistes et leur soi-disant sortie progressive et les prétendus inconscients de l’arrêt immédiat du nucléaire. En 2000, le gouvernement Schröder avait ainsi acté la sortie progressive du nucléaire en vingt ou vingt-cinq ans. À peine arrivée au pouvoir, la chancelière Merkel prolongeait cette sortie de dix ans… pour ne pas montrer franchement qu’elle était contre. La force et la diversité du mouvement antinucléaire allemand ne permettent effectivement pas aux dirigeants du pays de faire exactement ce qu’ils veulent en la matière. Ce que l’on constate d’emblée, c’est que la sortie progressive, adaptée à un besoin éventuel du capitalisme, est réversible car à la merci d’un changement de personnel politique ! Les antinucléaires devraient s’en méfier comme… d’un fût de plutonium ! La catastrophe nucléaire japonaise aura contraint la chancelière allemande à faire machine arrière, à entamer dès à présent une sortie définitive du nucléaire avec pour échéance 2022, soit moins de douze ans.
Cette catastrophe nucléaire à Fukushima en mars 2011 aura résonné jusqu’au pays de l’atome : la France… Peut-être va-t-elle sonner le glas de cette industrie mortifère ? Alors que d'énormes rejets radioactifs ont été projetés dans l’air et l’océan, avec des impacts encore incalculables sur la santé des habitants, les médias français ne s’émeuvent plus guère.
Au printemps, en France, il y a bien eu quelques manifestations sporadiques (dont nous fûmes) pour relancer la nécessité d’une sortie du nucléaire, mais sans aller au-delà des cercles habituels, un peu comme si la population française était anesthésiée sur le sujet.
Cette dernière décennie, le mouvement antinucléaire français a été porté largement par le réseau Sortir du nucléaire. Lequel a développé une force de frappe militante assez prodigieuse par la diffusion massive de tracts et fascicules qui ont permis à de nombreuses personnes de se forger un argumentaire de base antinucléaire solide. Mais le réseau s’est fragilisé en ne tranchant pas entre sortie immédiate et sortie progressive du nucléaire, car il devait faire avec des éléments politiciens en son sein, donc compatibles avec le capitalisme et la gestion de l'état. Il s'est aussi un peu englué dans des actions qui se voulaient médiatiques, donc « spectaculaires », avec tout le vide politique que ces stratagèmes génèrent parfois. Comme toute structure, surtout avec des budgets de certaines tailles, il a cherché à se pérenniser et à devenir une sorte de voix officielle que l’on consulte. Dans ses stratégies, la question du lobbying auprès des élus était devenue de plus en plus présente. Le réseau prétendait jouer sur les deux tableaux : la manifestation de rue et le lobbying. Déjà, au Grenelle de l'environnement, des membres du conseil d'administration du Réseau avaient été tentés par cette mascarade. Ils étaient heureusement en minorité à l'époque… Cette recherche de reconnaissance officielle a eu son pic en 2009, lors du sommet de Copenhague, avec la signature du texte « ultimatum climatique », lequel n’évoquait même pas le nucléaire ! Le réseau s’asseyait ainsi sur l’objet même qui le constitue ! Cette signature a été retirée mais l’on peut voir jusqu’où l’on peut être absorbé quand cette voie est empruntée. D'autres éléments discordants que nous ne développerons pas se sont joints et le réseau a « scissionné ». Des collectifs locaux indépendants ont alors commencé à réapparaître, même si d'autres avaient maintenu une activité en dehors du réseau.
En 2011, le débat sur la sortie progressive ou immédiate du nucléaire prend une nouvelle tournure avec le vieillissement des centrales… ce qui les rend potentiellement plus fragiles et accroît les risques d'accidents majeurs. Vingt et un réacteurs ont dépassé les trente ans de fonctionnement initialement prévus et les autres arrivent à échéance. Edf se mobilise pour un prolongement de la durée de vie de ces centrales d’au moins dix ans, ce qui a un coût énorme. Il faut remarquer que Tepco, l’opérateur gestionnaire de la centrale de Fukushima Daiichi, venait d’obtenir justement un prolongement de dix ans le mois précédant le tsunami. Si la centrale avait été arrêtée, les dégâts auraient été moins considérables. Aussi, si on prévoit une sortie à vngt, trente ou quarante ans ou pire de seulement réduire la part du nucléaire, cela implique soit d’obtenir un allongement de la durée de vie de certains réacteurs, dont certains sont vétustes, soit de construire de nouvelles centrales !
Or, l'on peut constater que les chantiers EPR à Flamanville, mais aussi en Finlande, ont pris un retard considérable et voient déjà leur budget multiplié par 2 (de 3 milliards à 6 milliards d'euros et ce n'est pas fini !), avec de surcroît des défauts de conception et de réalisation.
L'acheminement de l'électricité qui serait produite implique en plus la construction de gigantesques lignes à très haute tension (ThT) qui dégradent les paysages et dont l'impact sur la santé des animaux et des humains est quasi avéré.
Développé initialement à des fins militaires, avec la culture du secret inhérente, le nucléaire français qui n’est pas un mode de production d’énergie anodin, s’est vu propulsé dans les années soixante-dix après le premier choc pétrolier, dans une volonté affichée (mais erronée) d’indépendance nationale… Il est vrai aussi que des mastodontes du capitalisme français étaient prêts à profiter de ces gigantesques chantiers. Sa puissance et sa dangerosité impliquent un contrôle policier et militaire constant. Même s'il existe des pays productivistes sans nucléaire, il est une réponse à une société énergivore, développée par la logique capitaliste, productiviste et consumériste. Mais, en retour, il influe sur le fonctionnement de cette société et pousse à la surconsommation électrique. Les entreprises capitalistes, mais aussi le secteur tertiaire, qu'il soit privé ou public, y trouvent leur compte : la facture Edf n’implique qu’une petite provision dédiée au démantèlement des centrales, à la gestion des déchets et à l’assurance en cas d’accidents. Cette insuffisance de provision directe qui ferait grimper de manière exponentielle le kilowattheure nucléaire est reportée sur la collectivité ! Mais, contrairement à la propagande de l’état et d’Edf, le prix de l’électricité française n’est pourtant qu’à la 13e place dans l’Europe et non au meilleur marché. La privatisation d’Edf va évidemment contribuer à l’augmentation du prix. Non pour provisionner le démantèlement mais pour enrichir l’état actionnaire qui a une mentalité d'actionnaire comme les autres. Aussi, est-il important de soutenir le statut des travailleurs d'Edf et de l'énergie en général pour faciliter les reconversions.
L'arrêt immédiat et définitif du nucléaire civil et militaire, que portent certains collectifs et les libertaires, rencontre un écho de plus en plus grand. Certaines industries énergivores et sans intérêt social (complexe militaro industriel, aéroport international de Notre-Dame-des-Landes (44), lignes à grande vitesse (LGV), ligne Lyon-Turin, etc.) sont ainsi logiquement contestées. Pour réaliser cet arrêt immédiat (en mois ou quelques années tout de même), sans doute faudra-t-il avoir recours au moins temporairement à la production d'électricité d'origine thermique (centrales au gaz ou au charbon « moins polluant »). Le débat n'est pas tranché et sera conditionné par les besoins en énergie.
Se passer de nucléaire s'associe à un changement de société sur au moins deux aspects qui intéressent les libertaires : quels sont nos besoins en énergie ? Comment se prennent les décisions et par qui ? Nous voyons que dans la société de classes, avec démocratie parlementaire, le productivisme et le centralisme conduisent à des modes de production gourmands en énergie, polluants, dangereux pour les travailleurs et facteurs de corruption voire de guerres : pétrole et nucléaire. L’autogestion de l’énergie pourrait être une réponse appropriée. Reposant sur de petites unités de production d'énergies renouvelables décentralisées, sous forme de coopératives sans but lucratif, associant travailleurs et usagers, cette autogestion est à même de trouver la formule adaptée aux capacités géographiques locales. Qui dit autogestion, dit socialisme (égalité), fédéralisme (liberté) et entraide ou mutualisme, compte tenu des disparités locales justement. Cette définition des besoins par la population elle-même devrait s’inscrire dans un esprit de décroissance libertaire (non contrainte) jusqu'à être compatible avec les capacités de régénération de la planète et permettre l'accueil de nouvelles générations.
Prendre cette voie ne pourra que reposer sur un rapport de forces populaire et relativement constant dans l'action. L'annonce de ces manifestations a déjà un premier résultat chez les pro-nucléaires : une candidate à la primaire « socialiste » s'engage à mettre fin au chantier EPR si elle était élue ! La période est donc propice pour aller le plus loin possible. Le mouvement antinucléaire pourrait être alors un levier pour la sortie du capitalisme et de l'étatisme.
C'est sur cette base que la Fédération anarchiste répond présent et participe déjà aux mobilisations. Ainsi, dans l'Ouest, il sera possible de nous trouver dans les composantes libertaires, elles-mêmes incluses dans le cortège « Le nucléaire, c'est le capitalisme : arrêt immédiat ».
Le 15 octobre 2011, un collectif d'organisations dites de « l'Ouest » (Normandie, Bretagne, Pays de la Loire, Centre) organise une manifestation à Rennes, pour dire STOP au nucléaire et exiger l’arrêt immédiat des chantiers EPR/THT. Cette initiative suscite de nouvelles mobilisations d’arrêt de tous les nouveaux chantiers nucléaires et d’arrêt immédiat d’installations nucléaires à risques : Gravelines (Dunkerque), Fessenheim, Bugey (entre Genève et Lyon), Golfech/Blayais (Sud-Ouest), etc. Le 15 octobre, des manifestations auront lieu aussi à Dunkerque, Bugey, Bordeaux et Toulouse.
Ces mobilisations ne sont qu'une première étape pour un mouvement antinucléaire qui se restructure à la base. En novembre, deux rendez-vous sont déjà annoncés : l'un à Valognes, dans la Manche, un camp servira de base pour le blocage d'un convoi par rail de déchets nucléaires vers l'Allemagne ; l'autre serait un forum antinucléaire ouvert à toutes et tous à Rennes.
Stéf@, groupe Vannes Lorient de la Fédération anarchiste