Le suicide en prison : retour sur une réalité dramatique
mis en ligne le 10 mars 2011
Le suicide en prison est davantage un sujet de préoccupation pour nous autres, anarchistes, que pour les politicards. Pour ces derniers, ça fait juste un peu désordre quand, à l’occasion, le grand public est mis au courant d’un cas de suicide en taule. Ce qui est rarement le cas d’ailleurs…Toujours est-il que c’est une horrible réalité qui se produit 6,5 fois plus qu’à l’extérieur. Ainsi, on s’attarde sur le pourquoi de cette « sursuicidalité », ou sur le comment on peut faire diminuer les chiffres du suicide, en laissant volontiers de côté l’absurdité, la morbidité et la mortalité accrues par la prison.
Facteurs de risque de suicide en prison
On sait que l’arrivée en maison d’arrêt peut donner lieu à un véritable « choc carcéral », notamment dû à la rupture de l’équilibre psychosocial. Certaines études font état qu’un tiers des personnes suicidées en prison se sont tuées durant les sept premiers jours de leur arrivée et que la majorité passent à l’acte dans les six premiers mois.
On sait aussi que « 90 % des cas de suicides » se font en maison d’arrêt et que le fait d’avoir le statut de prévenu (pas encore jugé) ou de primaire (incarcéré pour la première fois) sont des facteurs de risque suicidaire.
De la même manière, l’infraction contre un proche et les affaires de crime de sang et d’agression sexuelle multiplient le risque suicidaire par sept.
Il n’est plus besoin de démontrer, via des études épidémiologiques, que le taux de personnes souffrant de troubles psychiques en taule est énorme et bien plus important qu’en dehors. Même la commission d’enquête de l’Assemblée nationale le dit ! Son rapport, établi en 2000, fait état de pourcentages impressionnants 1.
Et puis il y a les facteurs de risque suicidaire au niveau personnel et psychosocial qui sont également bien répertoriés. Outre les divers antécédents psychiatriques personnels et familiaux, on peut retenir : avoir plus de 40 ans, être « étranger interdit de territoire », disposer de biens matériels et affectifs (ce sont ceux qui ont le plus à perdre qui se suicident le plus), et avoir un « support social pauvre » (un tiers des détenus suicidés n’avaient aucune visite, et un quart aucune correspondance).
Des actions inutiles voire nuisibles
Et puis après, une fois qu’on sait tout ça, qu’est-ce qu’on fait ? On se dit enfin que la prison ne sert à rien, sinon à tuer ? Pas tout à fait. Le conservatisme a malheureusement la tête dure. Les politicards s’embourbent en choisissant de gaver les détenus de psychotropes en tout genre (peu importe la légalité pourvu que ça calme), d’isoler les sujets les plus à risque, de créer des monstres institutionnels comme les hôpitaux-prisons 2.
Et puisque ça ne suffit toujours pas, ils en rajoutent avec des caméras dans les cellules, des draps déchirables pour éviter la pendaison, etc.
Mais tout ça n’empêchera en rien que les gens incarcérés meurent à petit feu. Et cela d’autant plus que la répression s’aggrave et que les peines s’allongent…
En quoi la prison tue
Les contraintes du milieu carcéral ont des effets propres et peuvent engendrer des troubles de toutes sortes, en partie liés au défaut d’interactions avec l’environnement. On aura beau faire toutes les études du monde pour voir qui est le plus exposé au suicide, mettre des dispositifs aussi loufoques qu’hypertechniques, on ne changera pas le cadre de la prison.
En effet, le cadre de la prison est celui de la contrainte. Ou plutôt des contraintes. L’espace se rétrécit, le temps s’allonge et le corps est meurtri. Ainsi, l’espace éprouvé au quotidien est un espace clos, fermé, qui ne peut être ouvert que par l’autre (le surveillant qui détient les clés), un espace subi, figé, où l’autre fait intrusion à tout moment (l’œilleton comme métaphore du regard de l’autre auquel on ne peut se soustraire), un espace angoissant où domine le sentiment d’être pris au piège.
Quant à la contrainte temporelle, elle est double. À la fois quotidienne (l’emploi du temps est régi par l’organisation pénitentiaire), elle s’inscrit aussi dans le temps judiciaire sur lequel ni l’individu ni le système pénitentiaire n’a véritablement de prise.
En ce qui concerne la contrainte du corps, celle-ci résulte des deux autres. Étriqué, le corps perd toute intimité, jusque dans ses pensées. L’impression d’être constamment surveillé, la crainte des fouilles corporelles et l’humiliante promiscuité rendent le corps totalement dépossédé.
Ces multiples attaques peuvent effectivement le fragiliser jusqu’à la décompensation pathologique et/ou jusqu’au suicide.
Voilà pourquoi il faut couper le mal à la racine et détruire toutes les prisons. Les anarchistes ne le répéteront jamais assez : Feu à l’État, feu aux prisons !
Romain, groupe Sanguin (14) de la Fédération anarchiste
1. Commission d’enquête de l’Assemblée nationale. Situation dans les prisons françaises, documents d’information de l’Assemblée nationale, 2000, n° 2521.
2. UHSA pour « Unité hospitalière spécialement aménagée » dont la première a vu le jour à Lyon en mai 2010.