SNCF : la grève du 6 avril
mis en ligne le 8 avril 2010
La perspective d’une grève reconductible à la SNCF à partir du 6 avril à 20 heures semble enfin se concrétiser, après un long et difficile cheminement des travailleurs du rail et des organisations syndicales ces derniers mois. En effet, après les journées d’action à répétition des 12 décembre, 3 février et 23 mars derniers, la CGT et Sud-Rail viennent de déposer un préavis reconductible. Si cette démarche répond sans aucun doute aux attentes des cheminots qui ressentent chaque jour le service public ferroviaire violenté par les désorganisations en cascades et menacé par les politiques de filialisation et de compétition économique dictées par le dogme du profit et de la concurrence libre et non faussée, il apparaît néanmoins que la partie est loin d’être jouée, tant les stratégies syndicales semblent diverger.Les précédentes réunions interfédérales avaient, dans un souci d’unité (ou de consensus mou, c’est selon…), décidé des journées d’actions et grèves carrées de 24 heures, la date du 3 février étant présentée comme un ultimatum de l’interfédérale à la direction avant la grève reconductible et unitaire. Le patron faisant sourde oreille aux revendications exprimées, Sud-Rail proposa logiquement aux cheminots de reconduire le mouvement après la journée de grève et de manifestations interprofessionnelles du 23 mars sur les mots d’ordre unificateurs de l’emploi, des retraites et des salaires. La suite fut sans surprise, Sud-Rail appela seul les cheminots à convoquer les assemblées générales souveraines pour débattre des suites du mouvement, la CGT ayant dès la veille annoncé une prochaine grève reconductible pour début avril avec l’Unsa et la FGAACFDT ; la grève avorta le jour même, à l’exception de quelques rares sites qui reconduisirent le mouvement pour la forme.
Désormais exclu de l’interfédérale pour ne pas avoir respecté le calendrier imposé par la première organisation syndicale, Sud-Rail publia le 29 mars une lettre ouverte à la fédération CGT des cheminots pour proposer un nouveau cadre syndical unitaire pour la grève du 6 février. Il faut savoir, même si cela peut sembler parfois être un prétexte à l’inaction, que la grande majorité des agents SNCF attendent malgré tout beaucoup de leurs organisations syndicales, que la division syndicale est un facteur de résignation non négligeable et que les cheminots ont besoin d’une unité syndicale, du moins de façade, pour se sentir en confiance et s’investir dans un mouvement de grève déterminé et reconductible. Dans ce cadre, l’absence de la CGT dans une grève ou de Sud-Rail dans une autre constitue un obstacle difficilement surmontable. (L’histoire a néanmoins démontré que lors des grèves de 1986-1987 et 1995, pour ne citer qu’elles, les cheminots ont su se mobiliser et s’organiser pour créer l’unité à la base et dans la lutte qui faisait défaut au niveau des bureaucraties syndicales.)
Sud-Rail s’étant désormais aligné sur le calendrier imposé par la CGT, les difficultés ne s’arrêtent pas là. Il eût été trop beau de voir le syndicat majoritaire proposer aux cheminots une grève tous services reconductible par assemblées générales ; de fait, la CGT n’a pas déposé un préavis reconductible commun à tous les cheminots mais plusieurs de différentes modalités, ainsi, pour le 6 avril au soir, ne sont concernés que les roulants, agents de conduite et contrôleurs, les agents du fret, et ce, sur une base reconductible. Les cheminots du matériel, de l’équipement, du commercial, des services administratifs, du transport « non-fret » ne pourront, quant à eux, que faire grève seulement le 8, et ce, dans le cadre d’un préavis limité à 24 heures. Aux revendications unificatrices de la défense du service public ferroviaire, du RH0077 (conditions de travail), de l’emploi, des retraites et des salaires risquent désormais de se substituer des revendications catégorielles qui, si elles n’en sont pas moins légitimes, modifient radicalement la nature du mouvement et sa capacité à unir les travailleurs du rail de tous les services. Sud-Rail a de son côté déposé de nouveau un préavis reconductible commun à tous les agents, à partir du 6 avril.
Quelles que soient les suites de la grève du 6 avril, les cheminots de toute l’Europe manifesteront le 13 avril à Lille, la dernière eurogrève des travailleurs du rail datant de 1992. À l’initiative du syndicat britannique RMT, première force syndicale dans les chemins de fer et transports outre-Manche, des milliers de cheminots venus d’Angleterre, d’Irlande, de Belgique, de Suisse, d’Italie, d’Espagne, d’Allemagne, du Portugal, de Grèce et de France manifesteront devant l’Agence ferroviaire européenne mise en place pour imposer aux salariés, et aux usagers, du rail une organisation et des critères de fonctionnement basés uniquement sur le profit pour les actionnaires du privé, donc une exploitation accrue des salariés, une remise en cause de la sécurité ferroviaire. Et dans le même registre du pourquoi faire simple et unitaire quand on peut faire compliqué et seul dans son coin, la CGT organise ce même 13 avril à Paris, devant la direction de la SNCF, sa propre « journée d’action européenne des cheminots » en collaboration avec la très libérale Confédération européenne des syndicats.
Grève du 6, eurogrève du 13, deux occasions pour les cheminots de s’approprier leurs luttes et de réaliser l’adage : l’unité fait la force ! Il apparaît donc absolument vital pour le développement de cette grève et le succès des revendications que les assemblées générales s’emparent des enjeux de ce mouvement, écartent rapidement tout risque de confusion préjudiciable à la détermination et à l’unité des cheminots et définissent des bases claires et solides d’une grève reconductible tous services. Pour cela, les assemblées générales sur chaque site doivent, sachant que rien n’est jamais acquis, réaffirmer leur souveraineté et leur autonomie vis-à-vis des bureaucraties syndicales. Elles doivent s’organiser en comités de grève interservices mandatés et révocables par les AG.
Face aux journées d’actions sans lendemains et sans perspectives, face à la résignation rampante, face au sectarisme et à la collaboration de classes des confédérations syndicales, les anarchistes ont des propositions concrètes pour les individus en lutte et en quête d’émancipation : l’action directe des travailleurs en dehors et contre les parasites bureaucrates et politiciens pour la conquête de l’égalité économique et sociale, par la grève générale et expropriatrice et autogestionnaire, pour la société communiste libertaire !