Une utopie à réaliser
mis en ligne le 3 décembre 2009
La génération qui a vécu mai 1968, pouvait être utopiste, car elle avait la chance de voir le futur et ses promesses se dérouler devant elle avec l’espérance d’une plus grande « humanitude », comme l’entend Albert Jacquard. Mais qu’en est-il aujourd’hui en 2009, pour les enfants qui entrent à l’école ? Quel futur se dessine pour eux ? Quels possibles peuvent-ils espérer ?
Ne leur laisse-t-on pas la responsabilité de la survie de notre planète ?
Ne leur laisse-t-on pas la responsabilité de rendre le monde bien plus démocratique et solidaire pour ne pas sombrer dans les régressions intégristes et sécuritaires ?
Il faut en finir avec mai 1968 ! *
Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui accusent mai 1968 d’être responsable de l’individualisme, du déclin de la morale, du rejet de l’autorité et de la violence qu’il occasionne.
Bien sûr, une certaine conception de l’individualisme a permis les acquis, les conquêtes, le combat contre les discriminations, et sans doute le renforcement de la reconnaissance des droits des êtres humains. En revanche l’individualisme exacerbé que l’on côtoie aujourd’hui, atomise la société et la menace de sombrer dans un chaos qui entraînera toujours plus d’intolérances, d’exclusions, de rivalités et de concurrences. Cet individualisme est un véritable terreau pour le libéralisme économique qui se charge de l’entretenir et de le développer.
Ce modèle économique vise particulièrement les enfants comme consommateurs et comme vecteurs de consommation des adultes. C’est un système qui joue sur le pulsionnel, le « tout, tout de suite », et qui place l’enfant dès son plus jeune âge dans un monde publicitaire, télévisuel et virtuel pour le formater à son idéologie.
En ce vingtième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, on ne peut que s’indigner de cet état de fait. Seuls les enfants qui ont un environnement familial vigilant sont protégés et ce sont toujours les mêmes : ceux à qui s’adresse la « fameuse égalité des chances » et qui arrivent à l’école avec le bon costume d’élève, des cartables et la tête bien remplis de la bibliothèque familiale, des dernières sorties culturelles… Les autres constituent des proies faciles, à la recherche par tous les moyens d’un bonheur publicitaire inaccessible.
Le rôle de l’éducation...
Les systèmes éducatifs sont porteurs d’une conception idéologique de la société, aussi bien par leur structure que par le contenu de leurs programmes.
Un modèle éducatif qui prône l’autoritarisme, l’obéissance passive, la compétition, la performance individuelle et la transmission verticale de savoirs simplifiés, morcelés et appris par cœur, ne formera pas le même individu qu’un modèle qui met en valeur la réussite personnelle dans une communauté coopérative, la production et la création de savoirs en confrontation avec la complexité du monde et la participation de tous à la gestion démocratique de la vie et des activités communautaires.
... et celui de la pédagogie Freinet ?
Bien que la pédagogie Freinet soit une pédagogie octogénaire, elle demeure toujours nouvelle et d’actualité, car elle n’a guère influencé les pratiques pédagogiques des enseignants !
Aujourd’hui, avec les dernières mesures gouvernementales et les nouveaux programmes, nous assistons à une grave régression dans les instructions officielles. C’est pourquoi, pour beaucoup de jeunes enseignants, la pédagogie Freinet représente une alternative progressiste de résistance, car elle propose d’autres finalités pour l’éducation :
– une éducation qui conduit l’enfant vers l’homme ou vers la femme, citoyen ou citoyenne capables de prendre sa place dans la société et d’agir à son tour sur elle.
– une éducation qui établit d’autres modes de relation entre les personnes, entre les connaissances et les cultures, en offrant des situations de coopération, d’entraide, de partage, d’apprentissage par et avec l’autre et en laissant le temps de les construire ;
– une éducation qui forme des individus désireux d’appréhender le monde dans sa complexité et conscients d’appartenir à l’Humanité en donnant à chacun les capacités de lire, de comprendre, de créer, et d’articuler ses désirs personnels avec les besoins du collectif ;
– une éducation qui permet le développement des capacités à agir pour un monde humaniste avec des individus libres, responsables, dignes, fraternels, solidaires, coopératifs. Ceci dès les premières années d’école, car le premier monde humaniste pour les enfants, c’est bien sûr celui de la classe où ils peuvent expérimenter des pratiques différentes.
Une toute autre réalité !
En 2009, très peu d’établissements offrent de telles classes, les climats bien souvent ne sont pas toujours sereins ! Les incivilités, les agressions scolaires, la violence juvénile occupent une belle place dans les médias. Régulièrement les journaux évoquent ces violences scolaires et urbaines : À chaque fois on annonce de nouvelles mesures publiques !
Cette médiatisation, telle une caisse de résonance, entretient la peur de la jeunesse, justifie et impose dans l’opinion publique que le répressif l’emporte sur l’éducatif : internats, centres fermés, rejet de l’ordonnance de 1945, comparution immédiate, récidive, portiques, vidéosurveillance…
Il faut restaurer la discipline, l’obéissance, la morale ! C’est la faute aux pédagogues, aux droits de l’enfant. L’école serait malade et les symptômes de sa maladie en seraient : son esprit d’ouverture, sa prise en compte de l’enfant en tant que personne et ses projets de compréhension du monde. La prescription tombe, inévitable : l’école devrait être un sanctuaire où l’enfant apprendrait les choses de la vie, distillées, filtrées, simplifiées selon ses capacités enfantines. Pour qu’il soit sage qu’il ingurgite et récite les devoirs écrits pour lui !
Les écoliers et les collégiens n’auront plus d’autre choix que de sombrer dans l’indifférence ou dans le mépris. Quant à ceux qui n’y arriveront pas, les exclus de la réussite, les absentéistes, les agités, les perturbateurs... dépistons-les le plus tôt possible, soignons les, rééduquons-les et s’ils ne se calment pas, enfermons-les dans des internats, dans des centres fermés, dans des prisons et les écoles des quartiers retrouveront leur sérénité !
La société elle, n’a pas attendu pour enfermer l’enfant dès son plus jeune âge : dans sa différence sociale, culturelle ; dans ses barres d’immeubles, son quartier, sa banlieue ; dans des catégories : défavorisés, étrangers, jeunes, immigrés, délinquants, sans-papiers… ; dans des filières, des remédiations et des soutiens scolaires…
Alors au lieu d’évaluer, de diagnostiquer, de remédier, de soigner, d’exclure, si on proposait, des espaces, des temps, des situations qui n’enferment plus chacun dans des catégories qui permettent de se projeter, de prendre sa place, à distance de toute violence et de devenir des sujets.
Quelle ambition pour l’éducation ! Une éducation qui permet à tous les enfants d’être et devenir des citoyens. Être citoyen à l’école pour devenir citoyen, quel vaste projet !
C’est en pariant sur la liberté, l’autonomie, la responsabilité, la capacité de jugement de l’enfant qu’on va lui permettre de devenir ce citoyen libre, autonome, responsable et capable de vivre avec les autres dans une société démocratique.
L’enfant est une personne à part entière, c’est ce que pose en principe liminaire la Convention internationale des droits de l’enfant. Ce qui permet de lui reconnaître non seulement des droits civils, sociaux ou culturels, mais aussi des libertés publiques, véritables « droits de l’homme de l’enfant ».
Un processus éducatif complexe permet ce passage de la personne au citoyen et c’est ce que les éducateurs et enseignants Freinet appellent l’éducation à la citoyenneté, cela ne ressemble guère à la conception qu’en a l’Éducation nationale qui, elle, réduit cette éducation à des leçons d’instruction civique, voire à des leçons de morale comme le suggèrent les derniers programmes.
Ce processus éducatif complexe prend toute sa place dans la classe coopérative où les enfants prennent vraiment en main, l’organisation de l’activité, du travail et de la vie dans leur école. Ce qui permet à chacun de construire ses apprentissages tout en développant le sens de l’autonomie, de la responsabilité et de la coopération avec les autres.
La personnalisation des apprentissages est au cœur de ce processus, l’enfant peut déterminer un projet de travail correspondant à la fois à ses besoins et à ses capacités. Il va ainsi développer sa personnalité et devenir, par des choix successifs, l’acteur principal de son éducation.
Dans ce processus, la coopération et l’entraide sont indispensables. Si apprendre est un acte individuel, par contre il se place dans une communauté d’apprenants qui coopèrent. Un savoir quel qu’il soit ne vaut que s’il est partagé.
De l’utopie à la réalité
Si nos gouvernants s’entêtent dans leur politique éducative, cela signifie qu’ils renoncent à l’Éducation d’une partie de la jeunesse et c’est tout le devenir de la société qui est sérieusement mise en danger.
Que serait une société qui se construirait sans la totalité de ses enfants !
Pour une planète habitable, pour un monde de paix, pour une société humaniste, il faut :
– l’engagement et la participation de tous les citoyens sans exclusion ;
– que tous les citoyens puissent faire entendre leur avis, proposer des projets et des solutions aux problèmes qui se posent à eux et à leur communauté, s’associer aux débats et prises de décisions et assumer des responsabilités dans leur mise en œuvre ;
– promouvoir les pédagogies coopératives qui mettent en œuvre de véritables situations de pratiques citoyennes pour apprendre à être citoyen en étant citoyen, et ceci, dans tous les différents temps et espaces d’éducation.
Ainsi, dès le plus jeune âge, l’enfant pourra faire entendre son avis, proposer des projets et des solutions aux problèmes qui se poseront à lui et à sa communauté, il pourra s’associer aux débats et prises de décisions et assumer des responsabilités dans leur mise en œuvre.
Catherine Chabrun
*. « Il faut tourner la page une bonne fois pour toutes », Nicolas Sarkozy en avril 2007.