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par Juan Chica Ventura • le 11 octobre 2021
Trois petites notes de musique
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Article extrait du Monde libertaire n° 1831 de septembre 2021
Il existe des chanteurs engagés, en voici trois et pas des moindres : Paco Ibañez, Lluis Llach et Carlos Andreu qui ont des similitudes, tous les trois sont nés en Espagne, ils sont anarchistes et se sont exilés en France à différentes époques.
« Je maudis la poésie conçue comme un luxe culturel pour les indifférents, qui s’en lavent les mains »
Paco, le vétéran, né à Valence le 20 novembre 1934 (le même jour et le même mois que notre compagnon sculpteur anarchiste José Torres qui vient de s’éteindre il y a quelques semaines, c’est aussi la même date que la mort de Buenaventura Durruti). Il fuira Barcelone en 1937 pendant la guerre d’Espagne pour s’installer en France. Son père, ébéniste anarchiste lui apprendra la musique et dès 1952 il commencera à étudier la musique par le violon et finira par la guitare. La passion pour cet instrument l’amènera à assister aux cours du guitariste classique Andrès Segovia. Sa passion s’étendra à la poésie de Francisco de Quevedo, d’Antonio Machado, de Federico García Lorca et de Luís de Gongora. À cette occasion, un album sera réalisé, dont la pochette sera illustrée par la peinture du catalan Salvador Dalí. Il continuera dans le registre de la poésie espagnole, chantera Andaluces de Jaèn (Andalou de Jaèn) du poète Miguel Hernandez, mais aussi La poesia es un arma cargada de futuro (La poésie est une arme chargée de futur) de Gabriel Celaya, Balada del que nunca fue a Granada (Balade de celui qui ne connut jamais Grenade) de Rafael Alberti et surtout A galopar, a galopar (Au galop, au galop). Il chantera les poètes latino-américains, les mots de Pablo Neruda, Nicolas Guillèn, Rubén Dario, César Vallejo, Atahualpa Yupanqui, résonnent dans le timbre de sa voix si particulière et de la musique classique.
Il parvient dans ses chansons populaires de lutte et de résistance à nous faire découvrir le langage et la force de la poésie universelle. Paco, pour avoir été en France, chantera Brassens de manière émouvante et admirable ; les deux chanteurs se rencontreront et ne se quitteront plus. Il s’imprégnera des chansons de Léo Ferré et de Mouloudji. Paco est vraiment un militant contre tous les totalitarismes que ce soit en Espagne, en Amérique Latine ou en Iran, son ardeur et sa conviction sont mises au service des causes qu’il défend.
« Camarades si vous cherchez les printemps libres alors j’irai avec vous, »
Lluis Llach, de la même trempe et cadet de quatorze ans de Paco, né le 7 mai 1948 à Gérone, deviendra à son tour une des figures de proue de la chanson politique et engagée catalane. Il refusera de chanter en castillan, c’est le mouvement de la Nova canço (Nouvelle chanson) : Els Setze Jutges (Les seize juges), en 1969. La même année, il chantera pour la première fois l’Escata (le pieu), un chant d’espoir contre la dictature franquiste, chanson qui au bout d’un an sera interdite en Espagne, mais la décision arrive trop tard, et elle deviendra officieusement l’hymne anarchiste catalan de la résistance au fascisme. Ses concerts sont souvent interdits. Les catalans et la région toute entière se retrouvent dans ses chansons. Recherché par la police, il est obligé de se cacher et devra quitter le pays pour s’installer en France entre 1971 et 1976. Certaines chansons deviendront célèbres, I si canto trist (1974), Viatge a Itaca (1975).
En 1976, il reviendra en Catalogne avec un grand concert au Palais des Sports de Barcelone pour fêter son retour qui donnera lieu au disque Barcelona Gener, mais c’est surtout en 1985 que Lluis donne un concert exceptionnel au camp de Barça devant un public de 110 000 personnes, un double disque rappelle cette performance Camps del Barça 6 julio de 1985. Cette même année il perd sa mère et lui rendra hommage dans son album Maremar. En 1986/87, pour le cinquantième anniversaire de la mort de Federico García Lorca, Lluis interprétera Norma y Paraiso de los Negros (Norme et paradis des Noirs). Il rendra hommage aussi à tous les réfractaires au service militaire dans la chanson Insubmis et donnera plusieurs concerts de soutien à une association d’insoumis. Il ne cessera de se produire partout dans le monde jusqu’en 2007 où il donnera son ultime concert dans des villages de son enfance à Vergès, pour s’engager dans une carrière plus politique, mais ceci est une autre histoire ; ce qui ne l’empêchera pas d’écrire son quatrième roman. Son premier roman Memoria de unos ojos pintados (Les yeux fardés) sera un succès de librairie.
Ne chante pas la mort… « Viva la vida » !
Pour finir cette série de portraits, voici Carlos Andreu, chanteur, poète, acteur et écrivain libertaire comme il aime se nommer, fils de migrant aragonais, né en 1938 à Sant Felin de Llobregat. Il devra s’adapter à n’étudier qu’en castillan. Il décidera de partir en France pour apprendre la langue, car Carlos est très amateur des mots, mais surtout il explique à ses parents que pour réussir dans la vie il faut parler plusieurs langues. Le voilà parti à Paris en 1962, où il va suivre un cours d’art dramatique au théâtre de la ville tout en continuant à écrire de la poésie en castillan, en se rapprochant des classiques espagnols. Il fera une grande découverte en tombant sur un ouvrage de poésie de César Vallejo et en sera perturbé au point qu’il détruira toutes ses poésies de facture classique pour désormais faire apparaître ses nouveaux poèmes. Carlos reprendra la poésie de César Vallejo en chansons et musiques dans les fameux quinze textes sur Espagne, éloigne de moi cette coupe. Un album paraîtra en 1987. Carlos chante César Vallejo en 1988 en se produisant à de nombreuses reprises dans toute la France, en l’interprétant d’une nouvelle manière et en incorporant dans ses chansons des ressources vocales empruntées au théâtre, au cabaret, aux chansons populaires ou à la musique contemporaine. Il poursuivra ses recherches dans cette lignée auprès de ces grands poètes comme le poème célèbre de Fernando Pessoa Tabaccaria ou La Tabaqueria (2010) ou L’Estanc (Le bureau de tabac), ou encore le collectif de plusieurs poètes sud-américains La Piedra cansada (La pierre fatiguée).
Il participera à des galas de solidarité avec des libertaires emprisonnés en France et en Espagne (en 1974, 1975, 1978), un dimanche pour l’Espagne en lutte (en 1976), gala de solidarité avec l’Espagne libertaire (1977), chansons anarchistes à Annecy (1979).
Il formera un groupe qui s’appellera Viva la vida en réponse à Viva la muerte des généraux fascistes espagnols. Un de ses premiers albums Interdit (1974) dénoncera la dictature de Franco et en 1976 un autre album paraîtra Viva la vida. Carlos est un chanteur improvisateur, il est en perpétuelle recherche de sonorité vocale et instrumentale, polyvalent à travers ses chansons, mais aussi ses nombreux morceaux pour les films : Fête royale, (1979), Les yeux des oiseaux (1981) de Gabriel Auer, ses essais sur Gaudí, le scandale (1993), articles sur la culture populaire dans la revue Vendémiaire (1975-1976) et tant d’autres écrits, la liste est bien trop longue. D’une grande activité musicale et littéraire, ses performances ont suscité la curiosité de certains jeunes à découvrir cet oiseau rare qui vit aujourd’hui à Barcelone.
Trois portraits d’artistes d’un talent inestimable, chacun combattant avec un style musical différent toute forme d’autoritarisme. Trois beaux exemples de militance artistique qui resteront gravés comme ces trois notes de musique qui, sans crier gare, nous reviennent en mémoire.
Juan Chica Ventura
Groupe anarchiste Salvador-Seguí
« Je maudis la poésie conçue comme un luxe culturel pour les indifférents, qui s’en lavent les mains »
Paco, le vétéran, né à Valence le 20 novembre 1934 (le même jour et le même mois que notre compagnon sculpteur anarchiste José Torres qui vient de s’éteindre il y a quelques semaines, c’est aussi la même date que la mort de Buenaventura Durruti). Il fuira Barcelone en 1937 pendant la guerre d’Espagne pour s’installer en France. Son père, ébéniste anarchiste lui apprendra la musique et dès 1952 il commencera à étudier la musique par le violon et finira par la guitare. La passion pour cet instrument l’amènera à assister aux cours du guitariste classique Andrès Segovia. Sa passion s’étendra à la poésie de Francisco de Quevedo, d’Antonio Machado, de Federico García Lorca et de Luís de Gongora. À cette occasion, un album sera réalisé, dont la pochette sera illustrée par la peinture du catalan Salvador Dalí. Il continuera dans le registre de la poésie espagnole, chantera Andaluces de Jaèn (Andalou de Jaèn) du poète Miguel Hernandez, mais aussi La poesia es un arma cargada de futuro (La poésie est une arme chargée de futur) de Gabriel Celaya, Balada del que nunca fue a Granada (Balade de celui qui ne connut jamais Grenade) de Rafael Alberti et surtout A galopar, a galopar (Au galop, au galop). Il chantera les poètes latino-américains, les mots de Pablo Neruda, Nicolas Guillèn, Rubén Dario, César Vallejo, Atahualpa Yupanqui, résonnent dans le timbre de sa voix si particulière et de la musique classique.
Il parvient dans ses chansons populaires de lutte et de résistance à nous faire découvrir le langage et la force de la poésie universelle. Paco, pour avoir été en France, chantera Brassens de manière émouvante et admirable ; les deux chanteurs se rencontreront et ne se quitteront plus. Il s’imprégnera des chansons de Léo Ferré et de Mouloudji. Paco est vraiment un militant contre tous les totalitarismes que ce soit en Espagne, en Amérique Latine ou en Iran, son ardeur et sa conviction sont mises au service des causes qu’il défend.
« Camarades si vous cherchez les printemps libres alors j’irai avec vous, »
Lluis Llach, de la même trempe et cadet de quatorze ans de Paco, né le 7 mai 1948 à Gérone, deviendra à son tour une des figures de proue de la chanson politique et engagée catalane. Il refusera de chanter en castillan, c’est le mouvement de la Nova canço (Nouvelle chanson) : Els Setze Jutges (Les seize juges), en 1969. La même année, il chantera pour la première fois l’Escata (le pieu), un chant d’espoir contre la dictature franquiste, chanson qui au bout d’un an sera interdite en Espagne, mais la décision arrive trop tard, et elle deviendra officieusement l’hymne anarchiste catalan de la résistance au fascisme. Ses concerts sont souvent interdits. Les catalans et la région toute entière se retrouvent dans ses chansons. Recherché par la police, il est obligé de se cacher et devra quitter le pays pour s’installer en France entre 1971 et 1976. Certaines chansons deviendront célèbres, I si canto trist (1974), Viatge a Itaca (1975).
En 1976, il reviendra en Catalogne avec un grand concert au Palais des Sports de Barcelone pour fêter son retour qui donnera lieu au disque Barcelona Gener, mais c’est surtout en 1985 que Lluis donne un concert exceptionnel au camp de Barça devant un public de 110 000 personnes, un double disque rappelle cette performance Camps del Barça 6 julio de 1985. Cette même année il perd sa mère et lui rendra hommage dans son album Maremar. En 1986/87, pour le cinquantième anniversaire de la mort de Federico García Lorca, Lluis interprétera Norma y Paraiso de los Negros (Norme et paradis des Noirs). Il rendra hommage aussi à tous les réfractaires au service militaire dans la chanson Insubmis et donnera plusieurs concerts de soutien à une association d’insoumis. Il ne cessera de se produire partout dans le monde jusqu’en 2007 où il donnera son ultime concert dans des villages de son enfance à Vergès, pour s’engager dans une carrière plus politique, mais ceci est une autre histoire ; ce qui ne l’empêchera pas d’écrire son quatrième roman. Son premier roman Memoria de unos ojos pintados (Les yeux fardés) sera un succès de librairie.
Ne chante pas la mort… « Viva la vida » !
Pour finir cette série de portraits, voici Carlos Andreu, chanteur, poète, acteur et écrivain libertaire comme il aime se nommer, fils de migrant aragonais, né en 1938 à Sant Felin de Llobregat. Il devra s’adapter à n’étudier qu’en castillan. Il décidera de partir en France pour apprendre la langue, car Carlos est très amateur des mots, mais surtout il explique à ses parents que pour réussir dans la vie il faut parler plusieurs langues. Le voilà parti à Paris en 1962, où il va suivre un cours d’art dramatique au théâtre de la ville tout en continuant à écrire de la poésie en castillan, en se rapprochant des classiques espagnols. Il fera une grande découverte en tombant sur un ouvrage de poésie de César Vallejo et en sera perturbé au point qu’il détruira toutes ses poésies de facture classique pour désormais faire apparaître ses nouveaux poèmes. Carlos reprendra la poésie de César Vallejo en chansons et musiques dans les fameux quinze textes sur Espagne, éloigne de moi cette coupe. Un album paraîtra en 1987. Carlos chante César Vallejo en 1988 en se produisant à de nombreuses reprises dans toute la France, en l’interprétant d’une nouvelle manière et en incorporant dans ses chansons des ressources vocales empruntées au théâtre, au cabaret, aux chansons populaires ou à la musique contemporaine. Il poursuivra ses recherches dans cette lignée auprès de ces grands poètes comme le poème célèbre de Fernando Pessoa Tabaccaria ou La Tabaqueria (2010) ou L’Estanc (Le bureau de tabac), ou encore le collectif de plusieurs poètes sud-américains La Piedra cansada (La pierre fatiguée).
Il participera à des galas de solidarité avec des libertaires emprisonnés en France et en Espagne (en 1974, 1975, 1978), un dimanche pour l’Espagne en lutte (en 1976), gala de solidarité avec l’Espagne libertaire (1977), chansons anarchistes à Annecy (1979).
Il formera un groupe qui s’appellera Viva la vida en réponse à Viva la muerte des généraux fascistes espagnols. Un de ses premiers albums Interdit (1974) dénoncera la dictature de Franco et en 1976 un autre album paraîtra Viva la vida. Carlos est un chanteur improvisateur, il est en perpétuelle recherche de sonorité vocale et instrumentale, polyvalent à travers ses chansons, mais aussi ses nombreux morceaux pour les films : Fête royale, (1979), Les yeux des oiseaux (1981) de Gabriel Auer, ses essais sur Gaudí, le scandale (1993), articles sur la culture populaire dans la revue Vendémiaire (1975-1976) et tant d’autres écrits, la liste est bien trop longue. D’une grande activité musicale et littéraire, ses performances ont suscité la curiosité de certains jeunes à découvrir cet oiseau rare qui vit aujourd’hui à Barcelone.
Trois portraits d’artistes d’un talent inestimable, chacun combattant avec un style musical différent toute forme d’autoritarisme. Trois beaux exemples de militance artistique qui resteront gravés comme ces trois notes de musique qui, sans crier gare, nous reviennent en mémoire.
Juan Chica Ventura
Groupe anarchiste Salvador-Seguí
PAR : Juan Chica Ventura
Groupe anarchiste Salvador-Seguí
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