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Les articles du ML papier
par Quentin • le 5 août 2019
Je l’ai vu le premier !
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Article extrait du Monde libertaire 1807 de juin 2019
Ce processus de dépossession, nécessite deux éléments : une manière de définir l’appartenance à une personne ou entité, et une force répressive qui garantit la propriété. Depuis quelques décennies, une incroyable machine à voler le vivant s’est mise en place.
Retour sur la privatisation de la molécule qui constitue l’alpha et l’oméga du vivant : l’ADN.
Découverte, compréhension et premiers accros
En 1952, un laboratoire de recherche conduit par Rosalind Franklin prend un cliché aujourd’hui historique, une photo qui permis d’élucider la structure de l’ADN (« photo 51 » de son petit nom !), cliché ayant permis à deux hommes, Crick et un autre gars [note] , de concevoir et publier la structure en double hélice de l’ADN en 1953. Mais ils n’ont jamais cité R.Franklin, du moins pas avant que des esprits chafouins ne leur rafraîchissent la mémoire, R.Franklin, quand bien même, ils s’étaient basés sur ses travaux expérimentaux. Cette histoire commence déjà par un vol ! Et doublée de sexisme avec ça, ça commence bien.
« Le vivant représente une banque de données quasi illimitée d’adaptations »
Depuis, nous avons pu apprendre bien des choses qui pointent toutes vers la même conclusion : l’ADN est une molécule pas croyable ! L’entièreté du vivant utilise l’ADN (ou des molécules proches comme l’ARN). Cette molécule est le témoin de l’évolution du vivant, de plusieurs milliards d’années d’évolution, et pourtant, tout organisme peut « lire » une séquence d’ADN, quand bien même celle-ci proviendrait d’une autre espèce. Malgré des millions d’années d’évolution divergente, nous utilisons toujours la même molécule pour transmettre des informations aux générations suivantes que l’on soit un poisson, un champignon, un arbre ou un humain. Et tout ça sans intervention divine, bien entendu !
Non contentes de constituer un langage commun, les molécules d’ADN de l’ensemble du vivant représentent une banque de données quasi illimitée de résultats d’adaptations à un nombre immense de conditions climatiques, de pressions écologiques, d’interactions intra et inter spécifiques, etc. Pour être plus clair, il existe par exemple une très grande diversité de gènes à travers tout le monde végétal qui régule la quantité de sucre produit dans les fruits ou les tiges. Cela répond à des besoins différents en fonction des conditions climatiques, de la quantité de soleil et nombre d’autres facteurs. Il s’agit tout simplement d’être adapté à son environnement. Évidement, si vous êtes agriculteur, pas rebuté par les OGM et que vous voulez faire des fruits plus sucrés, ce genre d’information est utile.
Le problème, c’est que ce constat n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd, mais plutôt dans celle des entreprises de biotechnologies et autres semenciers industriels. On va retrouver une sorte de compilation des méthodes et idéologies que les anarchistes combattent depuis des lustres : capitalisme, répression, accaparement des richesses et catastrophe écologique.
Biotech’ !
Voilà quelques décennies que les grandes entreprises de biotechnologie investissent massivement dans des outils moléculaires qu’elles protègent par des brevets. Le plus connu est sans doute le cas des OGM de chez Monsanto. Ses ingénieurs ont développé une méthode qui permet à leurs plants de maïs de résister à un herbicide, le fameux glyphosate. Cette résistance est conférée par la présence dans le génome des plantes d’une séquence d’ADN, qui provient en fait d’une bactérie. On voit comment une simple séquence d’ADN a pu avoir une importance fondamentale pour vendre leur saloperie dans le monde entier.
Et il s’agit ici de l’exemple le plus connu mais il en existe des centaines d’autres. Si certains sont d’ailleurs tout à fait utiles et utilisés par exemple dans des diagnostics médicaux ou par la recherche fondamentale, les domaines potentiels majeurs sont bien les produits chimiques, les biocarburants, les cosmétiques [note] et les plantes cultivées.
Le point le plus important ici est le fait que Monsanto a breveté son outil, qui est précisément cette séquence d’ADN (tout de même quelque peu bidouillée) et son utilisation en agriculture. Si vous vouliez créer vous même votre maïs résistant au glyphosate, Monsanto vous ferait un procès qui vous laisserait sur la paille [note] . À la rigueur on pourrait se dire qu’on s’en fout parce que de toute façon, on n’en veut pas des OGM. Certes, mais cela ne les empêche pas de breveter tout ce qui leur passe entre les mains !
Privatisation du vivant
C’est ce que l’on peut lire dans cet article de Science intitulé « Contrôle des entreprises et gouvernance mondiale des ressources génétiques marines » qui nous explique que 13 000 séquences d’organismes marins ont été enregistrées et brevetées, donc privatisées, dont à peu près la moitié par la seule compagnie BASF, autre géant de la chimie. Ces compagnies sont littéralement en train de breveter le vivant, en tamponnant leur nom sur tout ce qui pourrait éventuellement leur servir. Elles font la chasse à cette nouvelle ressource qu’est l’information génétique. Elles mettent ce qu’elles trouvent sous brevet, empêchant par là le reste de l’humanité d’y avoir accès. C’est le mécanisme qui aboutit à la dépossession des ressources naturelles par une poignée de voleurs qui ont de l’éthique comme une girouette. De quel droit ces personnes vont pêcher une méduse, séquencer son génome et le breveter pour dire ensuite : « ça c’est à moi » ?! Cette privatisation du vivant est pour le moins révoltante. Souvent, les brevets sont justifiés par le coût du développement. Ça n’est même pas le cas ici, la plupart des séquences viennent de bases de données publiques ! D’ailleurs 2 % des séquences brevetées viennent d’organismes inconnus. On accumule aveuglément les ressources, apothéose capitaliste. Il ne faut plus imaginer les patrons qui nagent au milieu des pièces d’or, mais bien dans un océan de disques durs… Le seul domaine de la biotechnologie marine devrait atteindre une valeur de 6,5 milliards de dollars en 2025, et comme il n’y a aucune régulation dans ces eaux internationales, qui représentent quand même la moitié de la surface de la planète, c’est carrément open bar !
« 98 % des brevets ont été déposés dans seulement 10 pays »
Dans les régions sous contrôle d’un État, les accords au niveau de l’ONU stipulent qu’on ne peut pas aller récupérer ce que l’on veut où l’on veut, à moins que l’on obtienne l’accord du pays en question, ce qui n’est pas une grosse difficulté dans bien des cas. Tout ça pour dire qu’il y a des centaines de façons de récupérer ces séquences d’ADN à fort potentiel.
Ensuite, elles sont enregistrées au niveau international via le « Traité de coopération sur les brevets », établi en 1970, donc très adapté à ce genre de questions comme vous pouvez l’imaginer ! Voilà comment l’appropriation du vivant se développe. Et bien entendu, grâce à ce traité international, toute personne qui enfreindrait le brevet se retrouverait avec une offensive légale de grande ampleur à son encontre. Voilà pour la répression et le verrouillage du système. Ce genre de traité est censé garantir l’usufruit des ressources de la planète à l’humanité toute entière, mais malgré les lois internationales qui disent que les ressources des eaux internationales appartiennent à tout le monde, ça appartient quand même plus aux pays riches ! En effet, 98 % des brevets ont été déposés dans seulement 10 pays, tous se trouvant parmi les pays les plus développés de la planète. Bien consciente que beaucoup de pays n’ont pas les moyens ou les structures pour exploiter ces ressources, la logique des requins capitalistes est très simple : avant que les autres ne se hissent à notre niveau, il est urgent de tout s’accaparer pendant que nous avons l’avantage. Il est aussi très important de noter que c’est bien la garantie légale des structures étatiques puissantes (USA, EU) qui permet cela. Si ces compagnies ne pouvaient pas compter sur la répression de ces institutions à l’encontre de quiconque ne respectant pas leur brevet, elles seraient sans doute bien moins entreprenantes. C’est le système classique que nous dénonçons depuis longtemps : le capital et ses outils répressifs s’épaulent pour s’approprier les richesses du monde.
Leur jungle
Comme pour les compagnies pharmaceutiques, c’est l’argument du progrès qui est avancé. Si on ne promet pas des milliards de bénéfices à une poignée d’investisseurs, il n’y aura jamais de fonds pour toute cette recherche, nous dit-on. Il est apparemment farfelu de se demander pourquoi les êtres humains travailleraient de concert autrement que dans l’optique capitaliste. Nous sommes apparemment bien trop dissolus pour pouvoir fonctionner sans relation d’argent. Sans la promesse de devenir encore plus riche, personne ne bougerait le petit doigt pour aider ou coopérer avec d’autres. Et nous devrions remercier ceux et celles qui nous dépossèdent de ce que nous créons et produisons, de bien vouloir réinvestir une petite partie de la richesse produite par les peuples dans la recherche et le développement ! C’est cette logique de jungle [note] que le système capitaliste veut nous faire accepter comme dogme. La propagande des patrons, dirigeant.es, dictateurs et chef.fes de tout poil veut nous faire croire que nous sommes tous prêts à nous entretuer sans eux, qu’ils sont la « garantie nécessaire au progrès ». C’est pourquoi nous sommes sommés de trouver normal que les connaissances (en plus des pouvoirs et moyens de répression), soient concentrées entre leurs mains ou celles des spécialistes sans éthique ni indépendance qu’ils s’achètent.
« Il faut ajouter le combat pour la réappropriation des connaissances »
Comme fut prônée au XIXe siècle la réappropriation des moyens de production, il nous faut désormais y ajouter le combat pour la réappropriation des connaissances. Cela est d’autant plus nécessaire pour pouvoir décider ensemble des utilisations que nous en voulons faire. Personnes ne doit pouvoir interdire l’accès à ce qui à été développé au cours des siècles par des millions de personnes. C’est comme si après avoir construit une maison collectivement pendant 100 ans, une seule personne changeait la serrure et s’enfermait à l’intérieur, en en faisant sa propriété. Cela ne te révolterait pas ?
Quentin
Liaison FA Londres
PAR : Quentin
Liaison FA Londres
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