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Littérature
par Patrick Schindler le 31 juillet 2022

Coming août, voici le rat noir.

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Un peu de poésie grecque pour entamer ce mois d’août : Apprentissage de Titos Patrikios. Les gens du Pont de Dimitris Lyacos. Poèmes dans l’obscurité de Nikos Karouzos.
Une fois n’est pas coutume : deux aperçus des milieux de la bourgeoisie à la fin du XIXème siècle. Le premier dans le Paris de Marcel Proust. Le second dans le Brésil colonial avec Dom Casmurro et les yeux de ressac de Joaquim Maria Machado de Assis.
Saut de puce en Belgique sur les traces du sulfureux champion-cycliste, Frank Vandenbroucke. Découverte de « l’esthétique macabre » du Nécrophile de Gabrielle Wittcop. Et pour terminer, focus sur nos racines : Sapiens de Yuval Noah Harari.

« Il faut beaucoup de talent pour rendre un peu de génie supportable » André Gide

Titos Patrikios : Apprentissage



Titos Patrikios est né à Athènes en 1928. Son père et sa mère étaient acteurs. Patrikios fait des études de droit, s’engage très jeune dans la résistance grecque sous l’occupation et échappe de peu à la mort. Il est arrêté et déporté pendant la dictature qui suit la guerre civile. En prison, il se lie avec Yannis Ritsos. Exilé à Paris et Rome dans les années 60/70, il publie son premier recueil de poèmes et étudie la sociologie et la philosophie à la Sorbonne, travaille comme journaliste, avocat et traducteur. Son œuvre est profondément marquée par son expérience politique, de l’exil, de la pauvreté et de la recherche de l’amour.



Dans Apprentissage (éd. Desmos, Cahiers rouges), Michel Volkovitch a choisi de traduire quelques poèmes tirés des recueils de Titos Patrikios de 1954 à 1993, « comme les feuilles d’un vaste et unique journal de bord qui s’étendrait sur près de quarante années ».
Morceaux :
Trois dimensions : « Les baisers dans son corps ont pris racine / au point que même après sa mort / ils restent et grandissent / comme des ombres » Cicatrices : « Qu’on le veuille ou non / le temps a refermé bien des blessures / Et qui peut voir qu’elles se traînent / sans un mot sous la peau / comme des araignées intérieures ». Voyage : « Je brisais ton corps comme une canne à sucre / aux articulations une à une / buvant le jus par les fissures ». Cloisonnement : « Tu t’es donnée à moi tout entière mais sans livrer / le dernier mot que je voulais t’arracher / Comme celui qui à la Sureté donna tout le monde / sauf le premier, l’homme qui l’avait recruté ». Un billet : « Ce billet qu’écrivit / un camarade de lycée en terminale / en cours de grec ancien / « Je veux avoir une vie si riche / que je pourrais dire que j’ai vécu » / Depuis trente-cinq ans / je suis sans nouvelles ». Embrouille : « Je veux que mes prochains poèmes soient un peu embrouillés / non par souvenir ou désir de surréalisme / mais pour empêcher que les autres comprennent / que je n’arrive pas encore à les comprendre ». Contact : « S’ils ne peuvent pas toucher, connaitre le corps de l’autre / les humains ne partagent pas leurs secrets ». La surprise : « Je découvre surpris tout au fond de moi / que je pleure encore la révolution perdue / en sachant bien pourtant que tôt ou tard / j’aurais moi aussi le sort / de ceux que les révolutions victorieuses écrasent ». Les bagages : « Avec mes compagnons d’école je découvrais le monde / et aujourd’hui leur moindre coup de fil m’ennuie » …

Dimitris Lyacos : Les gens du Pont



Dimitris Lyacos est né en 1966. Il grandit à Athènes, où il entame des études de droit avant de passer quatre années à Venise, puis étudier la philosophie à l’University College de Londres. Il a travaillé trente ans sur sa téthralogie Poena Damni qui développe le thème des « procès des âmes condamnées en enfer et qui ont à y endurer la perte de la vision de dieu ». Dimitris Lyacos vit entre Berlin et Athènes. Des critiques anglo-saxons ont comparé ce jeune auteur grec presqu’inconnu dans son pays, à Dante, Kafka, TS Eliot, Cioran ou encore, Beckett !



Lorsque l’on pénètre dans l’univers étrange des Gens du pont (deuxième volume de la tétralogie de Dimitris Lyacos, éd. Le Miel des Anges, trad. Michel Volkovitch), un peu désorientés, nous cherchons des repères.
Si le narrateur nous explique qu’il vient de rejoindre un groupe de « parias » dans la gare de Nikhtovo, il ne nous dit rien de l’époque dans laquelle l’action se déroule.
Un énigmatique « LG » et le narrateur déclinent devant un groupe, un texte abscons, repris parfois par le cœur des femmes. Sorte de psalmodie « mystico-païenne » qui évoque des lieux, des images et des personnages, espèces de revenants : « J’avais de la terre dans les yeux / qui me piquait / Puis j’ai dormi, me suis réveillé encore à cause des chiens qui étaient venus et / aboyaient de là-haut / J’ai crié / Ils ont eu peur et / sont partis et / je me suis rendormi ».
Le texte qui se déroule sur le mode incantatoire antique, suggère une atmosphère semblable aux prières des prêtres d’Antioche, la patrie d’Héliogabale. Ou, des esquisses échappées du Théâtre et son double d’Antonin Artaud. Récit surprenant, magique, synopsis « prêt à l’emploi » dont nous serions les premiers spectateurs …

Nikos Karouzos : Poèmes dans l’obscurité



Dans la postface de Poèmes dans l’obscurité (trad. Nicolas Pallier et Michel Volkovitch), l’éditeur, Le Miel des Anges nous explique que Nikos Karouzos, né en 1926 à Nauplie, contemporain de Yannis Ritsos et d’Odysseas Elytis [note] et victime d’un destin tragique et solitaire, est mort à Athènes, alcoolique et indigent à l’âge de 64 ans, après avoir « soigneusement bousillé sa vie » ...
Sa vie ? La seule poésie. On l’a prétendu surréaliste et religieux. S’il a renié le premier mouvement, il ne s’est intéressé à la religion que comme source d’images. Qu’on en juge « Nous respirons des mers dans l’étroit bénitier / Nous les clous de la croix ».
Proche d’un Kafka ou d’un Beckett, les poèmes de Nikos Karouzos, cet « anarchiste irrécupérable » ressemblent à un long monologue angoissé. Mais pourquoi a-t-il été si longtemps laissé dans l’ombre alors que ses contemporains furent adulés ?




Petites phrases glanées le long de ses recueils parus de 1961 à 1990 :
Dans l’obscurité : « Ne lui parlez pas il est chômeur / les mains dans les poches / comme deux grenades ». Le chemin du poète : « C’est un chemin tout tracé / par endroits des épines / par endroits de beaux tapis / Que le malheureux ensanglante ». Les champs : « La grandeur de cette mouche qui reprend / ses rondes affamées / innombrables / sans effort apparent ». Et puis, des odes dédiées à Héraclite, à Marc Aurèle, Mozart, Wagner, Jacques Prévert, Constantin Kavafis, ou encore à Scardanelli [note] . Au « beau » Modigliani : « Ivre à trois heures du matin / il tambourina contre la porte d’un ami / pour lui demander des poèmes de Villon et se mit à les lire pendant des heures tout haut / gênant l’univers entier ». Au Marquis de Sade : « qui rendit sa tombe invisible au monde ». A Lénine et Ghandi : « Dehors tout gazouillait / "Les oiseaux", murmura Ghandi / Lénine : "La mitraille" ! » Kafka : « Se trouvant par hasard la veille [de sa mort] / il a ri de tout son cœur quand la tête / à guignol / de la marionnette la plus folle / tombant d’une étincelante épée / son bonnet rouge est resté droit en l’air ».

« Et moi, quand vais-je dessoûler ? », écrit Nikos Karouzos arrivé au terme de sa vie…

Marcel Proust : un roman parisien



Pour les 150 ans de l’écrivain, le Musée Carnavalet propose Marcel Proust, un roman parisien, ouvrage collectif édité par Paris Musées. Ou plus exactement, un roman des lieux de Paris qui hantent La recherche du temps perdu. L’album s’ouvre sur la magnifique toile de Gustave Caillebotte qui représente des toits de Paris sous la neige. Suit, une chronologie des principales dates de la vie de Marcel Proust illustrée de cartes postales, de photos de la famille Proust et de celles de ses amants et amis (Renaldo Hayn, Ruskin, Alfred Agostinelli, Céleste Albaret, etc.). On aborde ensuite l’histoire de trois générations de la famille maternelle de Proust, les Weil. Ses ancêtres arrivés à Paris sous le Ier Empire (les juifs ayant obtenu le droit de se déplacer en France en 1791), jusqu’à la naissance du petit Marcel. Les Weil, de « vrais Parisiens », comparés aux nombreux provinciaux débarqués plus tard de leurs provinces. Etablis dans le Marais comme fabricants de porcelaine. Proust s’inspirera de leur histoire pour créer notamment, le personnage de Swan, pivot de La recherche du temps perdu.
Fuyant les désordres de La Commune de Paris, Jeanne Weil accouche de Marcel chez un de leur oncle, à Auteuil. Son jardin servira de modèle au jardin de Combray du début de La recherche. Les Proust emménagent ensuite boulevard de Malesherbes, non loin du parc Monceau et du jardin des Champs Elysées où vont jouer, Marcel et son petit frère Robert. Nouveau déménagement rue de Courcelles. Proust fait ses études au lycée Condorcet où il rencontre ceux qui pour la plupart resteront ses amis : Daniel Halévy, Jacques Bizet, etc. Nous traversons ensuite les différents quartiers de Paris dans lesquels Proust a évolué et a écrit la quasi-intégralité de sa Recherche.
Roland Barthes remarque que Marcel Proust a passé au second plan de son œuvre, l’architecture de la capitale et pour cause : Proust détestait le Paris du baron Haussmann. Il préféra placer ses héros, telle la duchesse de Guermantes dans les hôtels particuliers des restes du Paris aristocratique ou tel, le sulfureux baron de Charlus dans les « lupanars pour garçons » des quartiers ouvriers.
Nous partons ensuite sur les traces des nombreux salons littéraires que Proust fréquenta. Ceux, aristocratiques ou bourgeois des Bizet, de Robert de Montesquiou, de Marguerite de Saint-Marceaux ou encore, celui de la comtesse de Greffulhe, qui ont inspiré ceux décrits dans La Recherche. Plus loin, Luc Fraisse nous rappelle que Proust était loin d’être un piéton de Paris [note], reclus qu’il fut à partir de 1910, dans sa chambre par sa maladie. C’est donc dans les livres d’image, dans la presse et dans la littérature que Proust construisit le décor extérieur de son roman. Pour les intérieurs, Proust « totalement indifférent au décor du sien » s’inspirera de ceux de ses amis et relations. Témoins autant de photos qui illustrent ce chapitre. Chapitre dans lequel, Sophie Basch fait remarquer que la plupart des ameublements décrits dans La Recherche sont l’œuvre des femmes, alors que tout au long du XVIIIème siècle l’ameublement était dévolu aux hommes. « Mélange d’ancien/moderne » chez Madame Verdurin et à contrario, « meubles témoins historiques », chez Oriane et Odette.
Un autre chapitre nous montre combien Marcel Proust, lui-même un temps rédacteur mondain, fut friand de la presse tout au long de sa vie. En effet, à son époque, « les mondanités se vivaient autant dans les salons que dans les journaux destinés à un public aristocratique et issu la grande bourgeoisie ». C’est de la presse que sont issus les pages les plus noires de La Recherche : les affreux commentaires antisémites du Baron de Charlus ou les pages consacrées à la Terreur révolutionnaire.
Autre chapitre passionnant : celui consacré aux « parisiennes de Proust ». Selon lui, durant cette fin de siècle, elles ont pour vocation, rien de moins que « cultiver à elles-seules l’esprit de Paris », des « cocottes offertes à tous » à ces « duchesses, poèmes d’élégance ». De se promener « où il faut être vue », parées de leurs accessoires de séduction : les « chaussures rouges stylisées » de la duchesse de Guermantes, l’ombrelle d’Odette, « la femme fleur ». Les hommes « dont le rôle est de mettre en valeur les femmes », ne sont pas en reste : cultivant la liberté des mœurs et les bonnes manières. Le haut-de-forme très spécial du baron de Charlus.
A présent, les lieux où l’on peut croiser tout ce beau monde : dans les cafés, les pâtisseries ou les restaurants et les palaces (dont les menus sont magnifiquement illustrés). Sans oublier les théâtres lyriques et les endroits plus populaires : les cafés concerts et les music-halls où l’on se précipite pour entendre Yvette Guilbert et Mayol. Plus loin sont évoqués « les bruits de Paris » qui remplissent bien des pages de La Recherche. Ceux des marchands ambulants, des chevaux et ceux plus harmonieux qui comme la fameuse Sonate de Vinteuil. Un passage est consacré aux nouvelles inventions qui trônent dans beaucoup de pages de La Recherche. Le téléphone, le « théâtrophone », etc.
Et puis les grands événements qui émaillent le roman, les rebondissements de l’affaire Dreyfus et les premiers bruits de la « grande » guerre avec les bataillons coloniaux qui battent le pavé parisien. L’envers du décor : le Paris des « invertis », « leurs jeux et feintes, techniques de reconnaissance et danses subliminales de séduction afin de s’identifier sans jamais se dénoncer, l’inversion des dominants/dominés dans les relations sexuelles ». Le Paris des domestiques, ces « témoins discrets, fantômes dépositaires de secrets sans nombres, ces « riens » qui sont au cœur de tout ».
Ce voyage au cœur du monde proustien, s’achève sur la photo qui est dans l’œuvre et la vie de Marcel Proust, ce fétichiste pour lequel « la photographie étant ce qui dure chez une personne ». Sa véritable boulimie de portraits, accumulations iconographiques : cubistes, impressionnistes, surréalistes. Cet ouvrage, un régal pour tous les sens, n’est pas donné. Aussi est-il conseillé de le consulter en bibliothèque.

Joaquim Maria Machado de Assis : Dom Casmurro et les yeux de ressac



Machado de Assis, fils d’un mulâtre (lui-même fils d’esclave affranchi) et d’une mère blanche d’origine portugaise, est né en 1839, au sein d’une famille pauvre dans la banlieue de Rio de Janeiro. Ecrivain discret, autodidacte et très cultivé, Machado ne fréquenta pourtant que l’école primaire publique, avant de vaquer à de petits emplois. Il fut témoin de l’abolition de l’esclavage au Brésil et de la proclamation de la république. Parallèlement à son parcours de fonctionnaire, il mena une intense carrière littéraire. Abordant tous les genres, il visait notamment dans son œuvre, l’école réaliste, sur un ton à la fois ironique et pessimiste. Réputé comme étant l’un des plus grands écrivains classiques brésiliens, son nom reste encore relativement peu connu en-dehors de la sphère lusophone.



Stephan Zweig a dit de Machado de Assis : « Conteur né, le mélange d’humour léger et de scepticisme délibéré donne à chacun de ses romans un charme tout spécial ». En avant-propos de Dom Casmurro et les feux du ressac (éd. Métaillé, traduit du Brésilien par Anne-Marie Quint), Machado de Assis nous explique le choix du titre de son roman. En brésilien, Casmurro signifie « bourru », petit surnom qu’on lui donna car on le trouvait peu attentif dans la conversation. Il nous explique ensuite la motivation qui le poussa à écrire ce roman : « rendre plus légères les ombres plus inquiètes chez Faust » !
Le roman démarre sur une série de portraits : les personnes qui ont entouré l’enfance du narrateur. Dona Gloria, sa mère veuve, « une personne aussi sensible qu’adorable » qui a quitté son domaine d’Itaguai à la mort de son mari et vit dans un quartier de Rio. Outre son fils Betinho (Bento), elle est entourée de ses esclaves (époque oblige !), de l’oncle Cosme « avocat d’affaires, homme gras et lourd, le souffle court et les yeux somnolents » et de la cousine Justina, « à la nature faite d’aigreur et d’acrimonie ». Ces deux derniers, également veufs.
Poussée par son mentor, le docteur José Dias (médecin charlatan, espèce de Tartuffe « invité permanent de la famille ») et liée par un vœu qu’elle a fait au Seigneur à la naissance de Betinho, Dona Gloria prend pour devoir d’envoyer son fils au séminaire. Ce qui rend si pressante cette décision, c’est que par un funeste après-midi de 1857, José Dias a dénoncé les amours adolescentes de Betinho et de Capitolona (dite Capitou), la fille de leurs voisins, âgée de quatorze ans. Betinho va alors recourir à tous les stratagèmes afin d’échapper au séminaire, y compris, pourquoi pas, s’adresser directement au pape !
C’est ainsi que nous entrons dans l’histoire peu banale de Betinho. L’histoire d’une amourette adolescente qui, au premier abord peut paraitre bien naïve et légère, mais qui va s’achever de la manière la plus inattendue. Une histoire racontée à la manière irrésistible de Machado de Assis qui portraite sans indulgence, la bourgeoisie naissante du Brésil colonial. Histoire ponctuée des nombreuses réflexion philosophiques de son auteur (mais aussi parfois de Dante ou de Montaigne), en général sous la forme de simples évidences. Quelques exemples : « Le mensonge souvent est aussi involontaire que la transpiration […] Il est comme ces servantes qui s’empressent de dire au visiteur que "Madame est sortie" ». Celui-ci : « Pour celui qui écoute, la bouche est aussi source de jouissance ». Ou encore : « Il y a des âmes garnies de grilles comme des couvents ou des prisons, d’autres comme des chapelles ou des bazars, d’autres encore sont de simples hangars ou des palais somptueux ». Ainsi au tout venant.
Comme l’explique dans l’ouvrage, un « vers amateur de livres » : « Nous ne choisissons pas ce que nous rongeons, n’aimons ni ne détestons ce que nous rongeons : nous rongeons » !

Olivier Haralambon : Le versant féroce de la joie



Après avoir été coureur cycliste pendant 10 saisons, Olivier Haralambon se dirige vers une carrière de rédacteur-photographe. En 2014, il publie Le Versant féroce de la joie, un roman sur le destin tragique du coureur belge Frank Vandenbroucke, mort en 2009, à l’âge de 35 ans.



Dans la préface du Versant féroce de la joie (éd. Premier parallèle), Olivier Haralambon raconte ses « rares et fugaces » rencontres avec Frank Vandenbroucke. Rencontres inaltérables : « Tour à tour arrogant et chaleureux, Frank savait inspirer du même geste tendresse et agacement. Je n’ai été pour lui qu’un moment singulier peut-être, dans la foule indistincte de ses courtisans ». Franck et Olivier n’ont en effet partagé que quelques repas au cours desquels, ils n’ont « laissé filer que quelques confidences ». Une manière pour Olivier Haralambon de nous avertir que sa biographie n’est en somme qu’une espèce de « bain rêvé où copulent la joie et la tristesse » !
Tristesse dès le prologue, puisque nous y assistons aux derniers instants du « champion capricieux ». Perdu dans une grande chambre en désordre, abandonnée par la mère de sa seconde fille. Après avoir vidé une bouteille de Petrus 61, Franck s’apprête à commettre le geste fatal.
Nous remontons alors le temps jusqu’en 1974. Date de naissance de Frank Vandenbroucke (dit VdB) dans une famille de Wallonie picarde belge. Famille de cyclises de pères en fils. Le fils Franck « né pour être champion » vit ses premières années entouré des siens dans l’Hostellerie familiale, entre sa mère, Chantal, son père Jean-Jacques, mécanicien de course et son oncle bien aimé ancien champion cycliste, Jean-Luc. Tous plein d’affection pour le petit Franck, monté en selle dès son plus jeune âge. Franck qui, marque du destin, à l’âge de quatre ans est renversé par une voiture. Son genou plâtré pour de longs jours durant lesquels comme tout cycliste « il fait des rêves d’impuissance, de jambes immobiles, de jambes qui s’agitent sans trouver d’appui ». Rétabli, adolescent surdoué, il observe tout, apprend tout dans « une ascension indolore et prodigieuse ». Précoce, à seize ans il intègre la Ligue vélocipédique, gagne à peu près toutes les courses, entrecoupées des rechutes de son genoux. Fabuleuse aventure que celle de VdB, ce « Don Juan de la pédale privilégié des fées ».
Fabuleuse jusqu’à ce qu’il croise sur sa route son pire ennemi : la drogue. Ascension au paradis puis, déchéance totale. Sur le ton d’une intimité parfaitement restituée grâce à la plume d’Olivier Haralambon : rien n’y manque. Pas même les expressions virilistes de ce « champion noceur timide et égocentré » qui se dit « fier comme une bite » quand il franchit le premier la ligne d’arrivée ! Les féministes apprécieront l’image… En tous cas, bien riche idée que celle des éditions Premier Parallèle d’avoir permis à Olivier Haralambon de nous livrer ce vibrant hommage à VdB, ce « fulgurant Albatros de la Noordzee, aux cuisses de géant » !

Gabrielle Wittkop : Le Nécrophile



Gabrielle Wittkop est née à Nantes en 1920. Sous l’occupation, elle rencontre à Paris un déserteur allemand homosexuel, âgé de vingt ans de plus qu’elle. Ils se marient en 1947, dans une union que Gabrielle, féministe et homosexuelle assumée, qualifie « d’union intellectuelle ». Elle encourage son mari atteint de la maladie de Parkinson à se suicider à leur domicile de Frankfurt-Am-Main, avant de le faire elle-même en 2002. Gabrielle Wittcop est l’autrice d’une littérature « dérangeante, macabre et souvent placée hors de la « morale » souvent apparentée à celles du Marquis de Sade, de Villiers de L’Isle Adam, de Lautréamont, d’Edgar Poe et de Marcel Schwob.



Lorsqu’il fut publié en 1972 par Régine Desforges, Le Nécrophile (réédition aux éd. Verticales, augmentée de six collages de l’auteure dans le style des netsukes [note] ) suscita scandale et indignation. Il se présente sous la forme d’un journal écrit par un antiquaire.
Dans la première scène d’une nécrophilie hallucinante et macabre, le narrateur nous présente « une petite fille morte » qu’il a récupérée de nuit dans un cimetière. Celle-ci lui réserve une surprise « comme seuls savent le faire les morts » ! Il nous présente ensuite ses autres maîtresses et amants avec lesquels « il se roule dans l’Hadès ». Toutes et tous finissant jetés dans la Seine, près de Sèvres, une fois que le nécrophile a cessé de jouer avec eux.
Dans son quartier, par son aspect et par le mystère qui l’entoure, ce « hanteur des cimetières parisiens » se fait traiter de vampire. Aussi ressent-il le besoin de se justifier et nous explique comment très jeune, il a été poussé vers ses amours très particulières : « Je ne puis voir une jolie femme ou un homme agréable sans immédiatement souhaiter qu’il soit mort » ! Mais aimer les morts ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes, sinon moraux, du moins matériels. Ce que nous allons découvrir tout au long de ses aventures et ce jusqu’à leur apothéose à Naples « la plus macabre des villes », dans laquelle nous allons croiser entre autres, Gilles de Rais, des adeptes de la Mandragore et de la légende de Gaius Petronius Arbiter [note] .
Mais comme tout a une fin, le narrateur n’est pas sans ignorer qu’un jour « lui aussi tombera dans la mort comme Narcisse dans son image » …
Un roman déroutant.

Yuval Noah Harari : Sapiens, une brève histoire de l’humanité



Yuval Noah Harari est né à Kiryat Ata en Israël, de parents juifs libanais séfarades originaires de l’Europe de l’Est. Il se spécialise en histoire médiévale et militaire, obtient son doctorat au Jesus College d’Oxford en 2002 et devient enseignant à l’université hébraïque de Jérusalem, en 2005. C’est en écrivant Sapiens qu’il se documente sur le traitement des animaux dans l’industrie de la viande et du lait. Horrifié par ce qu’il apprend, il devient végan et pratique la méditation vipassana. Homosexuel remettant en question les idées reçues, il vit avec son mari dans une communauté agricole près de Jérusalem. Fin juillet 2018, Yuval Noah Harari refuse de recevoir une distinction délivrée par le consulat israélien à Los Angeles, afin de protester contre la promulgation par Israël de la loi sur l’État-nation, la qualifiant « d’érosion des normes libérales de base d’Israël » et critique les positions de cette dernière dans le conflit avec les Palestiniens.



Sapiens, une brève histoire de l’humanité (traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, éd. Albin Michel) nous raconte l’histoire de Sapiens, ce petit animal « insignifiant par rapport à l’univers » !
Il s’agit d’un ouvrage de vulgarisation. Mais, d’une vulgarisation que l’on pourrait qualifier « d’intelligente », puisqu’elle repose sur un nombre impressionnant de références, sources, croquis et découvertes des plus récentes grâces aux avancées de l’analyses d’ADN.
La première partie de l’ouvrage « La révolution cognitive » cherche à savoir comment Sapiens a réussi « trop rapidement » à arriver en haut de la chaîne alimentaire. Comment a-t-il réussi à neutraliser ses concurrents (Neandertal et Dénisoviens) et devenir un animal dominant qui s’est répandu de -70 000 à -11 000 avant notre ère, de l’Afrique à l’Amérique du Sud ? Yuval Noah Harari confronte les deux grandes théories qui s’affrontent aujourd’hui chez les anthropologues : celle du métissage et celle du « remplacement ». Comment Sapiens est-il devenu un « animal social » ? Grâce au langage, au partage des mythes communs ? Harari essaie d’imaginer ce à quoi pouvait ressembler le mode de vie des petits groupes de chasseur-cueilleurs itinérants. Quelles étaient, leur nutrition, leurs maladies, leurs comportements sociaux, leur sexualité, leurs rapports entre sexes ? Que lit-on sur les fossiles osseux et les artéfacts laissés par Homo Sapiens ? Etaient-ils animistes ? Déistes ? Etaient-ils violents ? Comment s’y prirent-ils pour coloniser leurs premières îles, à partir de - 85 000 (Florès) et dans quelles conditions les premiers marins commencèrent-ils à caboter en Indonésie, avant d’essemer les îles de l’Océanie et d’atteindre l’Australie après qu’elle eut subit une terrible catastrophe climatique ?
Nous arrivons alors à la seconde partie de l’ouvrage : La révolution agricole. Fût-elle « un grand bond en avant pour l’humanité ou la plus grande escroquerie de l’histoire » ? Cette révolution qui débuta vers -9 000 dans le triangle Turquie / Iran / pays du Levant, apporta-t-elle plus d’avantages que de désagréments à Sapiens ? L’auteur passe d’abord au peigne fin, les avantages (l’arrivée de l’écriture, des premiers textes et codes juridiques qui entraînant une remise en cause totale de l’ordre social). Pour les inconvénients : la dégénérescence animale domestiquée, la création de la propriété, des privilèges, des armées, des guerres, des … prisons, etc. !
Dans la troisième partie « L’unification de l’humanité » Yuval Noah Harari inspecte les trois piliers induits par la révolution agricole. Le premier : l’argent (depuis la première monnaie connue, le grain d’orge apparue à Sumer en -3000), son aspect unificateur et ses effets pervers. Le second : les empires (organisation politique la plus courante depuis -2500 ans, avec la création du premier empire akkadien en Mésopotamie). Quels ont été les conséquences des empires sur les micro-cultures ? Enfin, troisième pilier : les religions « universelles ». Qu’apporta d’abord, l’animisme primitif à Sapiens sinon sa domination sur les animaux ? Quid du polythéisme, lui-même absorbé par les trois religions monothéiques apportant la première distinction entre « le bien et le mal » ? Qu’apportèrent-elles aux hommes, mais surtout qu’infligèrent-elles au monde ? Long focus ensuite sur les « nouvelles croyances modernes » qui leur ont succédé : les humanismes libéraux, socialistes et « évolutionnistes ». Ceci nous amenant à réfléchir sur « tous les possibles ayant été négligés » durant cette partie de l’évolution d’Homo-sapiens.
Dans la quatrième partie « La révolution scientifique », Sapiens prend enfin conscience de son ignorance. Il remplace alors les « sciences narratives » par les observations modernes des Newton, Franklin, Einstein, etc. Et ce, dans tous les domaines. Et si les sciences de la physique, les mathématiques, les statistiques, la mécanique quantique et la médecine réparatrice n’avaient eu pour objectif commun que l’atteinte de la « vie éternelle » ? ... Yuval Noah Harari prend le temps de s’arrêter ensuite sur quelques-une des « grandes inventions », agrémentées de savoureuses réflexions. Pour n’en citer qu’une, celle de Talleyrand au sujet de la révolution : « On peut tout faire avec des billonnettes, sauf s’assoir dessus » ! Et que sont les guerres, sinon des « obsessions modernes dépendantes d’un financement à but politique, économique et religieux sont des productions scientifiques » ?
Le chapitre suivant, « Mariage de la science et de l’Empire » évoque les grandes découvertes à partir du XVIIIème siècle faites par des Européens à l’époque où « l’Europe n’était qu’un nain en comparaison des géants Indiens et Chinois ». Explorations motivées par « l’obsession de la cartographie d’un monde encore à découvrir et le décryptage des civilisations oubliées », mais qu’ont-elles amené au juste en contrepartie et ce, jusqu’au milieu du XXème siècle, à part la multiplication des épidémies et le massacre de peuples indigènes entiers « par des colons cupides et peu scrupuleux, au nom de la supériorité de la race blanche » ?
Dans « La révolution permanente », Yuval Noah Harari passe en revue les grands changements générés par Homo Sapiens lorsqu’il commence à se projeter dans l’avenir. Quelles ont été les conséquences de l’apparition du crédo capitaliste, du développement du crédit basé sur la confiance et du libre marché ? Qu’a entrainé l’individualisme poussé à son paroxysme ? La dégradation écologique ira-t-elle « jusqu’à transformer le globe en un grand centre commercial de béton et de plastique et les humains en "tribus de consommateurs" » ? Et qu’a apporté le nucléaire de positif ? La raréfaction des guerres (sinon les civiles) ? La paix serait-elle plus lucrative que la guerre ? En sommes-nous pour autant, plus heureux que les chasseurs-cueilleurs ? D’ailleurs, qu’est-ce exactement que « le bonheur », question subjective rarement abordée par les historiens ?
La dernière partie de l’ouvrage aborde « Les nouvelles sciences » qui ont détrôné la « sélection naturelle » : le génie biologique, le génie cyborg et le génie inorganique. Si certaines ont produit des résultats époustouflants (comme les micro-puces pour aveugles ou les bras bioniques), en quoi d’autres sont-elles carrément inquiétantes ?

Sapiens n’est en fait, que l’introduction au deuxième tome de la trilogie : « Homo Deus » (ou quand Sapiens se prend pour un dieu !), que nous vous proposons d’aborder dans notre prochaine rubrique. En refermant la dernière page du premier tome, Sapiens, on peut déjà en conclure que les « Sapiens avancés » n’ont toujours pas à ce jour, résolu les deux obsessions majeures du « Sapien original ». A savoir : la maladie et la mort ! A suivre ...

Patrick Schindler, individuel FA Athènes






PAR : Patrick Schindler
individuel FA Athènes
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Athènes . Rendez vous féministe et solidaire était donné le 8 mars
En Arès, le rat noir hellénophile attend le printemps.
Hommage au philosophe, René Schérer
Pour un mois de février à ne pas mettre un rat dehors...
Le rat noir a fait au gui l’an neuf : merveille : son œuf mensuel.
Grèce. Un Rom de 16 ans tué par un policier pour un vol à 20 €
Pour finir l’année avec le rat noir
Commémoration du 17 novembre 1973, hier à Athènes
Ballade en novembre pour le rat noir
Finies les vendanges en octobre, le rat noir fomente en tonneau
"C’est en septembre que je m’endors sous l’olivier." rêve le rat noir
Le rat noir lit à l’ombre en juillet
Gay Pride Athènes 2022
En mai, le rat noir lit ce qui lui plaît.
En avril, le rat noir ne se découvre pas d’un livre.
Encore un peu du rat noir pour mars
Le rat noir de mars
Vite, le rat noir avant que mars attaque...
Février de cette année-là, avec le rat noir.
Une fin de janvier pour le rat noir
deux mille 22 v’là le rat noir
Le Rat Noir de décembre...
Un rat noir de fin novembre...
Début novembre, le rat noir est là
Octobre, nouveau message du rat noir
revoilà le rat en octobre
Le message du rat noir, fin septembre
La rentrée du rat noir
La fin août du rat noir
Mi-août, voilà le rat noir !
Le rat noir, du temps de Jules au temps d’Auguste
Le rat, à l’ombre des livres
Interview de Barbara Pascarel
Le rat noir, fin juin, toujours le museau dans les livres
Un bon juin, de bons livres, voilà le rat
On est encore en mai, le rat lit encore ce qui lui plait
En mai le rat lit ce qui lui plait
Fin avril, le rat noir s’est découvert au fil de la lecture
Un rat noir, mi-avril
Une nouvelle Casse-rôle sur le feu !
Qu’est Exarcheia devenue ?
V’là printemps et le rat noir en direct d’Athènes
Le rat noir de la librairie. Mois de mars ou mois d’arès ? Ni dieu ni maître nom de Zeus !!!
Librairie athénienne. un message du rat noir
Le rat noir de la librairie athénienne. Février de cette année-là.
Le rat noir d’Athènes mi-janvier 2021
Le rat noir de la bibliothèque nous offre un peu de poésie pour fêter l’année nouvelle...
Volage, le rat noir de la bibliothèque change d’herbage
Octobre... Tiens, le rat noir de la bibliothèque est de retour...
Le rat noir de la bibliothèque pense à nous avant de grandes vacances...
Maurice Rajsfus, une discrétion de pâquerette dans une peau de militant acharné
Juin copieux pour le rat noir de la bibliothèque.
Juin et le rat noir de la bibliothèque
Mai : Le rat noir de la bibliothèque
Séropositif.ves ou non : Attention, une épidémie peut en cacher une autre !
Mai bientôt là, le rat de la bibliothèque lira ce qui lui plaira
Toujours confiné, le rat de la bibliothèque a dévoré
Début de printemps, le rat noir de la bibliothèque a grignoté...
Ancien article Des « PD-anars » contre la normalisation gay !
mars, le rat noir de la bibliothèque est de retour
Janvier, voilà le rat noir de la bibliothèque...
Vert/Brun : un "Drôle de couple" en Autriche !
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1er décembre, journée mondiale contre le sida : les jeunes de moins en moins sensibilisés sur la contamination
A Paris, bientôt de la police, partout, partout !
Les Bonnes de Jean Genet vues par Robyn Orlin
N° 1 du rat noir de la bibliothèque
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le 4 août 2022 12:47:11 par M. Victor

Cher Patrick,
Tu fais ( comme toujours ) une analyse de textes étonnante, les livres dont tu parles sont des raretés qui jamais n’auraient pu être approchées sans toi. Je retiens surtout le Sapiens de Harari. J’attends impatiemment ta recension du deuxième ( Homo deus ). Tu dis que c’est une vulgarisation, est-ce tout de même sérieux ? Les sujets abordés sont ceux qui nous préoccupent en priorité, alors ma curiosité est totale !
Amitiés
MV

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le 4 août 2022 15:58:02 par Patrick

Merci MV pour ton commentaire. Si j’ai employé le mot vulgarisation, c’est que dans son premier tome, Harari prend les thèmes fondamentaux des sujets qu effectivement sont au cœur de nos préoccupations, mais ce n’est que dans les deuxième et troisièmes tomes de sa trilogie qu’il ne fait plus de "vulgarisation" mais tente d’y apporter des réponses que je dirais "concentrées", donc rendez-vous à la prochaine rubrique !...
Filakia.