Il faut beaucoup d’abnégation pour, malgré le silence et l’aveuglement de certains, penser les rapports complexes et pourtant riches qu’entretiennent anarchistes et juifs jusqu’aux recoins les plus sombres de l’antisémitisme. Pierre Sommermeyer nous le rappelle, c’est en 2019 seulement que la Fédération Anarchiste a adopté une motion reconnaissant la nécessité de lutter contre l’antisémitisme.

Le livre de Pierre pointe l’absence de débat chez les libertaires sur les conséquences de la destruction des juifs d’Europe et de l’apparition du négationnisme, conséquences majeures pour comprendre les enjeux du monde contemporain. Mais longtemps, on le sait, les libertaires ont été obsédés par la seule guerre d’Espagne, parangon de toute leur culture, horizon indépassable, thème d’un nombre incalculable de livres anarchistes, alors qu’on cherchera en vain, ou presque, des textes évoquant l’action des libertaires durant la seconde guerre mondiale, ou des textes sur l’extermination qui concerna pourtant de nombreux anarchistes juifs.

Sur ce constat, le livre reprend l’histoire aux années de création du mouvement anarchiste, il ne fait pas l’impasse sur la méconnaissance et les clichés péjoratifs de certains, Proudhon, Bakounine, réduisant le juif au capital juif, comme si tous avaient été de riches banquiers. Sur ces représentations judéophobes se greffera bientôt la théorie du complot juif portée par un Drumont.

On apprend beaucoup dans Anarchistes et juifs, en particulier sur certaines proximités entre la religion du livre et l’aspiration à une société anarchiste. Des clés pour comprendre la présence historique des juifs dans le mouvement libertaire. On suit, non sans nausées les itinéraires empruntés par la peste antisémite au cœur du mouvement par un Rassinier de sinistre mémoire, un Pierre Guillaume et la librairie la Vieille Taupe. Les errements de certains qui au nom de la juste cause palestinienne se mirent à nier l’importance de la Shoah dans le sillage d’un Faurisson.

Pour autant le fait de quelques-uns ne doit pas jeter le discrédit sur tous.

Il faut se saisir des questions sur l’antisémitisme ou l’antisionisme, et en ce sens le livre de Pierre, prolongé par de riches annexes est une étape essentielle à la prise en compte de la spécificité de la Shoah et des prolongements de celle-ci qui vont jusqu’à la création d’Israël et à la géopolitique du Moyen-Orient.

Thierry Guilabert

Anarchistes et juifs, Pierre Sommermeyer. Éditions Libertaires – 2021.
174 pages, 14 euros. En vente à la librairie Publico.