Le Patronat face aux 35 heures
Fin 1997, après le sommet sur l'emploi d'octobre où l'avant-projet sur les 35 heures a été exposé pour la première fois, Jean Gandois, jugé trop conciliant avec les socialistes au pouvoir, est débarqué de la présidence du CNPF. Le baron Seillières le remplacera avec pour objectif de contrer le projet Aubry. La presse le qualifiera bêtement de «tueur» des 35 heures.
La révolte semble gronder. Déjà, Michelin parle de délocaliser et 85% des patrons se disent opposés aux 35 heures. Leurs organisations font campagne avec pétitions, campagne de presse, états-généraux, lobbying à l'Assemblée et menacent de quitter les organismes paritaires.
Mais dès la mi-janvier, le ton change. Les cabinets d'expertises sont submergés par les demandes de renseignement sur les 35 heures, certains patrons affirment leur total décalage vis-à-vis du CNPF (magasins Unico, EDS Informatique, Orangina, Bonduelle, Crédit Mutuel de Bretagne...), le pôle Eau de la Générale des eaux, la Fédération Nationale des Cinémas français, les laboratoires Boiron parmi bien d'autres signent des accords sur les 35 heures. Les petits patrons artisans des professions libérales et de l'agriculture négocient avec l'équipe de Martine Aubry. Le front patronal du refus n'aura pas tenu longtemps !
Lors du forum de L'Expansion de janvier, Seillières lâche : «le CNPF n'a pas à décréter sa loi aux entreprises». Quelques jours plus tard, interrogé par le journal Les Échos, le «tueur des 35 heures» affirme : «le CNPF étant légaliste, il ne s'opposera pas à la loi une fois qu'elle sera votée. [...] Je n'ai jamais pensé que les 35 heures devaient entraîner des réactions-sanctions de notre part.». Marc Blondel dira même : «E.-A. Seillières n'est pas l'homme de ses déclarations», le syndicaliste avouant qu'il avait rencontré un «autre Seillières, pas si fermé que ça» à la réduction du temps de travail (RTT).
Toujours plus
Pour bien comprendre cette volte face, il faut encore évoquer la loi de Robien (1996), projet de droite sur la RTT qui a largement inspiré Martine Aubry. En deux ans seulement, il s'est trouvé près de 1 500 entreprises pour signer un accord type Robien ; comment penser encore sérieusement que les patrons sont opposés à la RTT ? La raison du succès : la remise en cause des salaires dans 40% des accords, et la renégociation des horaires vers plus de flexibilité.
À travers le projet socialistes on retrouve les mêmes ingrédients que dans la loi de Robien : (cf. ML précédents) : larges exonérations au patronat, possible remise en cause des rémunérations (gel ou baisse des salaires), probable recours aux contrats à temps partiels peu onéreux pour le patronat, gain de productivité, remise en cause du SMIC. Avec, en prime pour les entreprises, une possible paix sociale imposée par les relais syndicaux et politiques de la gauche plurielle désireuse de calmer les esprits revendicatifs.
Non contents de celà, les patrons utilisent le paravent social de la loi Aubry pour dénoncer les conventions collectives. Avec parfois l'accord du gouvernement ou son silence. Les banques, l'industrie sucrière, les grands magasins renient les conventions pour gagner plus de souplesse encore : annualisation, précarité renforcée, remise en cause des horaires sont exigés des salariés. Sous couvert de lutte contre le chômage et de partage du travail.
Regardons la réalité en face : à travers ce projet de RTT, la gauche permet des avancées incontestables... pour le capitalisme qui pourra accentuer la pression sur le monde du travail. C'est ce qui fait que Seillières est prêt à revoir à nouveau Jospin : lui et ses congénères ont beaucoup plus à gagner qu'il n'y paraissait au début. Ici aussi, la gauche se fout de la justice sociale et de la protection des salariés. Elle maintient et gère les rapports de force capitalistes.
Jusqu'à quand ?