Un premier mai agité à Milan

mis en ligne le 6 mai 2015
1775MayDayLe 1er mai dernier à Milan, entre 20 et 50 000 personnes ont manifesté à l'occasion de la fête des travailleurs et des travailleuses et notamment contre l'Exposition Universelle (ou Expo) qui ouvrait ses portes le même jour. Durant cette manifestation, un millier de personnes ont attaqué la police et les vitrines du trajet.
Il est important de comprendre un peu la situation de l'Expo pour comprendre cette manifestation, étant donné qu'habituellement, elle ressemble plus à une techno parade qu'à une journée de lutte et que cette manifestation est désertée par les anarchistes.
Tout d'abord, rappelons que cet énorme événement qui se déroule tous les quatre ans environ est toujours au service des multinationales et au détriment des prolétaires. Par exemple, pour celle-ci, les financements sont à 90 % publiques pour des retombées quasi exclusivement privées. Notons aussi que cette Expo en particulier est entachée de diverses aspects peu reluisants. On peut parler notamment de liens quasi ouverts avec des mafias (plusieurs responsables ont été arrêtés en janvier dernier pour ces liens). On peut aussi évoquer les dépassements de budgets et les retards systématiques dans les chantiers, qui ont fait encore davantage grimper la note. Citons aussi les expulsions de lieux occupés et d'habitants en retard de paiement. La mairie avait annoncé 200 expulsions avant l'Expo, mais les luttes et les résistances populaires ont permis d'en éviter une grande partie. Enfin, l'Expo demande des milliers de travailleurs et travailleuse gratuits, des « volontaires pour l'Expo », des jeunes qui travaillent pour l'honneur et « parce que ça fait bien sur le CV ». De grosses luttes contre ce travail gratuit ont eu lieu et aujourd'hui la majorité des postes reste vacante. Il y aurait de nombreux aspects à traiter sur l'Expo (l'interdiction du droit de grève pour les ouvriers des chantiers de l'Expo, la volonté d'interdire la manif du 1er mai et de forcer les travailleurs de la Scala à travailler ce jour-là, la publicité partout, les coupes budgétaires dans l'éducation, la destruction de parcs publiques pour faire des immeubles etc), mais de bons articles existent sur le sujet, concentrons-nous sur le 1er mai.
Les « assemblées du mouvement » (autonome) nationales ont annoncé cinq grandes journées de lutte contre l'Expo et son monde :
Le 29 avril, une manifestation, qui a rassemblé 1 500 personnes contre un rassemblement fasciste. C'était la première fois qu'une telle manifestation avait lieu pour s'opposer au défilé fasciste, qui, lui, a lieu tous les ans.
Le 30 avril, une manifestation nationale étudiante, qui a peu rassemblé (entre mille et deux mille personnes) et qui s'est fini en affrontement, comme souvent les manifs étudiantes ici. Et ouverture du camping pour accueillir les non-milanais.
Le 1er mai, que nous évoquerons plus bas.
Le 2 mai, un appel à des « actions diffuses contre l'Expo », c'est à dire que chaque groupe organise l'action qu'il préfère, ce qui a donné un tour de la ville en vélo, des banderoles affichés ou un pique-nique devant un des sponsors de l'Expo, entre autres choses.
Et le 3 mai, une grande assemblée pour décider des suites à donner durant les six mois de cet événement.
Parlons du 1er mai spécifiquement. Un appel national et international a été lancé et force est de constater qu'il a été suivi. Par exemple, à la manif antifa du 29 mai, les slogans en italien étaient au moins aussi nombreux que ceux en allemand, en grec ou en espagnol. Le camping ouvert pour les non-milanais réunissait plusieurs centaines de personnes, sans compter celles qui se sont fait loger dans des lieux occupés ou directement chez des militants. La police faisait monter la pression en expulsant la plupart des étrangers qu'elle attrapait, en attaquant les centres sociaux (officiellement pour chercher des choses illégales pour le 1er mai), en contrôlant à la sortie des gares et en bloquant les cars s'approchant de Milan.
Ce qui a été globalement décidé, après de nombreuses discussions parfois houleuses, est que ceux et celles qui souhaitaient être « violents » devaient s'en prendre uniquement à la police, en un point précis, dans le but de faire une brèche et surtout (chose normale en Italie, où le respect de la diversité tactique est quelque chose d'essentielle mais qui a eu du mal à être accepté par certains internationaux, notamment français) sans mettre en danger la manifestation. L'objectif n'était pas forcément de casser des trucs (bon, les vitrines de banque, c'était toléré) mais surtout d'attaquer la police, ce qui est plutôt bien accepté en général, dans les mouvements italiens.
Pour leur part, les anarchistes milanais ont décidé de faire un cortège unifié derrière la banderole « Expropriamo Expo » (Exproprions l'Expo). Milan n'est pas une ville avec un très gros mouvement anarchiste, mais ce cortège a réuni plusieurs centaines de personnes et était loin d'être ridicule. La manifestation était divisé en trois secteurs (les collectifs autonomes, puis les travailleurs et enfin les partis politiques), le cortège anarchiste était intégré au secteur des travailleurs. Des camarades de toute l'Italie ont fait le déplacement et la Fédération Anarchiste Italienne comptait une délégation assez honnête.
Le mot d'ordre de « pas de casse sauf sur les flics » a été plutôt bien respecté dans un premier temps mais devant la quasi absence de police, il a été oublié par quelques uns et les première vitres ont commencé à tomber au bout d'un tiers de la manifestation. Notons que des interviews de policiers dans les journaux italiens parlent du fait qu'ils avaient comme consigne de ne pas intervenir. De ce fait, il y a eu très peu d'arrestations : 11, dont un policier en civil (la vidéo fait beaucoup rire sur les réseaux sociaux) et cinq personnes pour avoir tabasser le vice-préfet. Plus la manif avançait, plus le nombre de vitrines cassées augmentait. La police a chargé pour la première fois au moment où la première voiture a brûlé (au total 22 voitures brûlées et une centaine endommagées) ce qui a entraîné un mouvement de panique dans la manifestation, les partis politiques sont partis (bon débarras) mais les cortèges des collectifs, des syndicats et des anarchistes ont forcé la police à ne pas couper la manif en deux et, sous la pluie, nous avons terminé la manifestation aux cris de « Exproprions l'Expo, Exproprions tout ».
Suite à cette manifestation, des appels sur Facebook à nettoyer la ville ont été lancés par d'« honnêtes citoyens » : plusieurs dizaines de milliers de personnes sont allées, dimanche, volontairement, gratuitement et avec leur propre matériel, nettoyer les murs de la ville, Milan étant une ville particulièrement taguée. Ils étaient assez agressifs avec toute personne essayant de leur expliquer pourquoi être contre l'Expo. La conseil régional (dirigé par la Ligue du Nord, équivalant du Front National) a annoncé qu'il prendrait des mesures contre les Centres Sociaux milanais.
L'assemblée du 3 mai a refusé, respect de la diversité des tactiques oblige, de se dissocier des gens qui ont cassé des choses, malgré les demandes très insistantes de toute la classe politique.
L'Expo s'est inaugurée devant une assistance quasi vide, les hôtels sont remplis à même pas 40 % de leurs espoirs et la ville de Milan a embauché une entreprise spécialisée dans la dissimulation de travaux. Notons que plusieurs morceaux de pavillons se sont déjà écroulés, blessant gravement une touriste qui est encore à l'hôpital.

Bali
Groupe Regard noir de la Fédération anarchiste