La plus grande démocratie du monde est-elle totalitaire ?

mis en ligne le 9 octobre 2014
Le 12 mai de cette année, l’Inde a élu un nouveau premier ministre. Le corps électoral de ce pays compte plus de 814 millions d’habitants. Comme d’habitude, enfermés dans notre occidentalo-centrisme, ce fait nous a échappé. Qui est donc ce monsieur Narendra Modi, qui a remporté la course ? Le parti le plus souvent au pouvoir depuis l’indépendance, le parti de Nehru et d’Indira Gandhi, a mordu la poussière. Dorénavant, le Bharatiya Janata Party dirige un pays de 1 milliard 250 millions d’habitants.
Mais qui est donc Narendra Modi ?
Il a 64 ans. Il est membre du BJP qui peut être considéré comme un parti de la droite dure. Il a été premier ministre de l’Etat du Gujarat. Il est un hindou nationaliste. Du point de vue économique, il est un libéral. Il est né dans une famille de commerçants d’une des castes supérieures. Il est membre du RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh – en français Organisation nationale-patriotique), un groupe de pression violent, extrémiste et bien sûr antimusulman et antichrétien. Pour le RSS, seules comptent les valeurs hindoues à l’exclusion de toutes autres. En son sein, des unités paramilitaires ont été organisées. L’assassin du Mahatma Gandhi est sorti de son sein. Cette organisation compterait 4 millions de membres et une quarantaine de groupes affiliés, religieux, sociaux, étudiants ou consommateurs.
Au début du mandat de Modi dans le Gujarat, des émeutes éclatèrent qui firent un millier de morts, essentiellement musulmans. Il fut reproché à ce Premier ministre de ne pas être intervenu pour les faire cesser. Voilà donc l’homme qui a été élu triomphalement à la tête d’un pays de 1 milliard 250 000 habitants.

Arundhati Roy et Modi
Le Monde libertaire a ouvert à plusieurs reprises ses colonnes à cette militante radicale non violente. Dès le début de la campagne électorale, elle a pris position violemment contre Narendra Modi. Voici comment elle explique sa victoire : « La croissance rapide et forte du PIB indien s’est arrêtée soudainement et a chuté, et des millions de personnes appartenant à la classe moyenne se sont trouvées dans un trou d’air. Elles attendaient de pouvoir participer à ce formidable envol, raté ! » Le PIB indien est passé de 326 milliards de dollars en 1990 à 1 873 milliards en 2011 et stagne depuis à 1 877 milliards. Elle ajoute : « Ils sont passés de l’ivresse à la panique puis à la colère. Modi et son parti en ont profité. »
Pour A. Roy, l’économie indienne fonctionnait jusqu’en 1991 d’une façon plus ou moins socialiste, au sens où l’économie dépendait essentiellement de l’État. C’est à cette époque que l’Inde se trouve confrontée à la mondialisation et à l’argent privé. Tant que le pays croissait à 10 %, tout allait bien pour le parti qui gérait le pays. Puis, ces trois dernières années, la croissance est passée en dessous des 5 %. Et les classes moyennes se sont retournées vers l’homme providentiel qui promet le retour de l’expansion. Ce qu’elles lui demandent n’implique pas la chasse aux musulmans. Leur demande est plus profonde. Pour Arundhati Roy, ce que ces classes demandent est simple : « Il s’agit de régler ce qui se passe dans les forêts, il s’agit de balayer toute résistance et de remettre les terres aux mains des groupes miniers et du BTP. Les contrats ont été signés il y a longtemps. Modi a été choisi parce que c’est un homme qui n’hésite pas devant une effusion de sang, pas seulement celui des musulmans mais n’importe lequel. Sur ces terres vivent les plus pauvres des populations tribales qui résistent autant qu’elles le peuvent à cette expropriation de leur pays. » L’Inde ne pouvant faire de guerre à l’extérieur, ne pouvant avoir de colonies, est obligée, pour accroître le niveau de vie de sa classe moyenne, de se coloniser elle-même. Modi est donc l’homme pour cela.

Grèves, manifestations, guérillas
Toutes les conditions sont réunies pour que les tensions sociales repartent à la hausse. Une femme se bat dans le nord-est du pays contre une loi donnant tous les pouvoirs à l’armée. Elle utilise la grève de la faim, laquelle est considérée comme une tentative de suicide et donc illégale. Elle est condamnée à un an de prison. Condamnation qui alterne sa vie puisqu’elle recommence dès qu’elle est libérée. Le 22 août dernier, elle a été de nouveau arrêtée par des policières, battue et jetée en prison. Cette femme, Irom Sharmila, conteste cette loi qui donne les moyens au gouvernement indien de coloniser son propre pays.
Les syndicats du charbon ont appelé à la grève pour protester contre la privatisation de 10 % du capital de la compagnie minière Coal India Limited (CIL), contrôlée par l’État. CIL est le plus grand producteur de charbon au monde. Son capital est de 36 milliards de dollars (septembre 2014).
Des manifestations de femmes contre des gangs de violeurs ont été réprimées à coup de canons à eau en Uttar Pradesh (juin 2014).
Au fond des forêts indiennes, parmi les populations aborigènes, la guérilla contre les forces paramilitaires organisées par de petits groupes maoïstes continue.
Tout fonctionne en Inde, la plus grande démocratie du monde.