Réforme pénale : encore une montagne qui accouche d’une souris

mis en ligne le 11 juin 2014
1744PrisonsMoins de quinze jours après le recul du gouvernement sur l’examen de la loi sur la famille, qui a été repoussée aux calanques grecques sous la pression de l’UMP, la droite s’en reprend déjà à sa cible préférée : Christiane Taubira. Notons, au passage, une fois n’est pas coutume, le bon goût de cette dame qui a eu le courage et l’intelligence de ne pas chanter La Marseille, ce chant nationaliste à consonance belliqueuse et raciste, lors de la commémoration de l’abolition de l’esclavage… Depuis, tout ce qui vient de la ministre sent le souffre pour la droite. Cette dernière juge sa réforme pénale trop laxiste. Pourtant, dans son cadre, ce projet de loi tend à « renforcer l’efficacité des sanctions pénales », concrétisant l’engagement de campagne de Hollande de supprimer les peines plancher pour les récidivistes, créées sous Nicolas Sarkozy et perçues comme « contraires au principe de l’individualisation des peines ». Explications. Le texte est, de fait, très controversé, et il a fait l’objet de plus de 800 amendements dont 650 de l’UMP (!). Il entend pourtant aussi prévenir la récidive en évitant les sorties « sèches » de prison, et crée une nouvelle peine de probation, la contrainte pénale.
Bon, avant d’aller plus avant, commençons par examiner ce que lui reproche la droite, qui s’est fait le relais des syndicats de police, via Georges Georges Fenech, un ancien magistrat qui demande le retrait de cette réforme « qui présente[rait] à l’évidence une menace grave pour la paix sociale ». Mise en mal d’image avec l’affaire Bygmalion, histoire de faire oublier le non-aveu de Copé sur le montage financier de la campagne de Sarkozy en 2012, l’UMP a sauté sur le premier (et terrible fait divers) : l’arrestation d’un des suspects de la tuerie du musée juif de Bruxelles, délinquant multirécidiviste qui aurait basculé vers l’islam radical en détention. Pour les élus UMP, la réforme de « calinothérapie » (admirez la recherche sémantique du terme…) de la ministre de la Justice ne ferait que pousser le prisonnier quidam dans les bras de réseaux du Jihad… Une analyse un peu restrictive, comme si les intégristes étaient tous en prison… Ce serait trop beau ! Pour sa part, l’UDI estime que la réforme pénale va « à l’encontre d’une nécessaire sanction et d’une indispensable réparation, dans l’intérêt des victimes ».
Mais écoutons, à présent, le contre-argumentaire de la garde des Sceaux : « On m’accuse de vider les prisons alors qu’on vient de battre deux fois des records de surpopulation carcérale. » Bon, c’est peut-être le bon argument que la droite voulait entendre, mais sûrement pas par nous autres anarchistes, opposés depuis l’origine au système pénitentiaire qui détruit l’individu sous prétexte de le punir. Nous ne pouvons que penser à l’excellent ouvrage de Michel Foucault Surveiller et punir, dans lequel l’auteur, soutien inconditionnel du Groupe d’information sur les prisons (GIP), aux côtés de Sartre et de Jean Genet dans les années 1970, étudie « l’apparition historique de la prison sous sa forme moderne en commençant par constater la disparition de l’application en public de la peine de mort au profit d’exécutions cachées par le secret des murs ». Une évolution, toujours selon Foucault, « révélatrice d’une révolution de la façon selon laquelle le pouvoir se manifeste au peuple ».
Mais, revenons-en à Christiane Taubira, qui s’est appuyée sur les conclusions d’une « conférence de consensus d’experts », pour « sortir de la démagogie et de l’irresponsabilité et enrichir l’arsenal répressif ». Aïe aïe, aïe ! Qu’est-ce-que cela cache donc encore ? Dans le projet de loi, la contrainte pénale, exécutoire en milieu ouvert et d’une durée comprise entre six mois et cinq ans durant laquelle l’auteur d’un délit serait soumis à des obligations et interdictions, a, sous la pression de Manuel Valls (tiens, tiens…), changé plusieurs fois de contenu. À l’origine, la ministre était favorable à ce qu’elle englobe les autres peines alternatives à la prison (sursis avec mise à l’épreuve, semi-liberté…), mais tandis que Valls était encore ministre de l’Intérieur, il tenait ce projet pour trop laxiste. Depuis qu’il est devenu Premier ministre, l’Élysée, ce béni-oui-oui, n’a bien sûr pas su résister au charme du refrain répressif. Du coup, faisant semblant de soutenir Christiane Taubira lors des dernières questions au gouvernement, il a joué un double jeu en souhaitant que « l’équilibre du texte soit totalement préservé »… À quel équilibre pensait-il ? Le côté de la balance bien rempli par les lobbyistes de l’UMP, qui, du coup, peuvent jouer sur les mots et sur du velours… Alors que le texte du gouvernement prévoyait que cette peine probatoire ne puisse être prononcée que pour les délits passibles d’un maximum de cinq ans de prison, la commission des lois de l’Assemblée l’a étendue à l’ensemble des délits (dix ans de prison maximum).
Christiane Taubira a été obligée d’avaler la couleuvre et la demande de François Hollande dès le lendemain de « respecter le compromis d’origine », ce qui va se traduire par un amendement du gouvernement pour rétablir la version initiale. Sauf que le rapporteur (PS) de la commission et la chef de file des députés socialistes sur le texte sont attachés à cette extension de la contrainte pénale. Depuis, dix associations et syndicats de professionnels de la justice, dont le Syndicat de la magistrature, la Ligue des droits de l’homme et le Syndicat des avocats de France, ont regretté la timidité du gouvernement. Les Verts vont, encore une fois, pouvoir s’agiter et faire les guignols devant le perchoir : ils entendent ouvrir des débats, notamment sur la rétention de sûreté… Comme, de toute façon, personne ne les prend au sérieux. Telle est la rançon électoraliste… Pour leur part, les radicaux de gauche pourraient obtenir satisfaction sur une de leurs propositions : l’interdiction de l’incarcération de femmes enceintes. Belle affaire, même si nous sommes ravis pour ces dernières. Et, une fois de plus, la montagne va accoucher d’une souris… Encore une belle leçon de la nullité du jeu politique où, aujourd’hui, droite et gauche partagent au final les mêmes valeurs sur un air de consensus. Il y en a marre du consensus. Nous autres anarchistes, ce ne sont pas des réformettes qui nous ferons changer d’avis sur les prisons surchargées de ce pays, où les malades atteints de maladies graves (cancers, VIH, etc.) ne sont pas soignés et crèvent à petit feu dans l’indifférence générale. Ces prisons qui poussent au suicide. Selon la dernière étude disponible des chercheurs de l’Inserm et de l’administration pénitentiaire, on enregistre en moyenne le suicide d’un détenu presque tous les trois jours : 112 d’entre eux se sont donné la mort en 2011, 117 en 2012, plus d’une centaine encore en 2013, qu’ils soient en détention ou en aménagement de peine. Presque toujours des hommes, et presque toujours par pendaison (à près de 95 %), à l’âge moyen de 37 ans… Évidemment, la surpopulation des prisons n’y est pas pour rien. Le nombre de personnes écrouées a plus que doublé depuis les années 1960, mais le taux de suicide a presque quintuplé en cinquante ans. C’est pour l’ensemble de ces raisons que nous autres anarchistes luttons pour la destruction du système carcéral. Pour nous, la prison, l’isolement et la punition ne sont pas des solutions aux problèmes sociaux, mais au contraire des outils pour renforcer le système. Nous pensons qu’aucune réforme n’améliorera le monde carcéral. Les prisons ne servent à rien. Pierre par pierre, mur par mur : nous détruirons toutes les prisons !



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Le cercle noir

le 15 juin 2014
Michel Foucault, putain mort de rire, une tête de con élitiste pour bourgeois qui déclarait qu'il fallait toujours que 10% de ses écrits demeurent incompréhensible pour le lecteur moyen...

Sinon vous écrivez:
"cette dame qui a eu le courage et l’intelligence de ne pas chanter La Marseille, ce chant nationaliste à consonance belliqueuse et raciste"

Passons sur "la Marseille", vous deviez être mal réveillés, mais sachez que "le sang impur qui abreuve nos sillons" n'était pas celui des ennemis des révolutionnaires comme le pensent les gauchistes de 15 ans; mais c'était celui-là même des révolutionnaires qui comparaient leur propre sang à celui des aristocrates de sang bleu, pur lui... C'était donc bien le sang des paysans, du bas peuple, qui allait couler pour défendre leur terre.
Bref, Taubira d'ailleurs est une guiche inconsistante et s'intéresser à ce que raconte l'UDI de Jouanno a autant d'intérêt que collectionner les chewing-gums machés par Johnny... On s'en cogne.

Le seul point d'accord concerne la fin des prisons: les prisons ne servent à rien, les châtiments corporels seraient bien plus efficaces pour toutes ces petites frappes qui pourrissent la vie des gens qui ne peuvent faire autrement que de vivre à leur contact.
Et une fois de plus, votre positionnement sur cette histoire n'a que peu d'intérêt et ne se place que du côté du coupable, jamais de celui de la victime.

Phaenomen

le 17 juin 2014
Détruire les prisons, je veux bien... Mais pour aller vers quoi, après?

Il y aura-t-il toujours des crimes inacceptés par la société? Je pense que oui.

Mais devrions nous encourager un système de Vendetta, où celui qui aura un cercle relationnel pour le protéger, autrement dit, le favorisé, sera avantagé par rapport à l'exclu, au soit disant marginal qui aura préféré vivre par lui même?
Cela reviendrait à recréer un système bourgeois, à la longue, qui favoriserait les groupes dominants par rapport aux individus.

Donc détruire les prisons, oui. Mais avant tout, créer une justice sociale, produite par la communion d'idée des individus. Je pense plutôt à une justice solidaire, et préventive, qui passerait par une éducation faite par tout le monde.

Eduquer plutôt qu'incarcérer. Et faire réfléchir avant de punir.