Patrick Buisson, bras cassé aux petits pieds

mis en ligne le 13 mars 2014
Il ne faut jamais s’étonner de la déloyauté des gens de pouvoir, des vrais, des durs, des tatoués, des costauds à la mâchoire carrée. Le pouvoir, c’est-à-dire la volonté objective et délibérée de domination physique ou mentale, par la force, la persuasion ou la ruse, est sans doute ce qu’il y a de plus pervers et de plus nocif dans les rapports sociaux. Confiez votre voix ou votre pauvre petit pouvoir et vous verrez qu’il y aura sans délai un grossier pour en abuser. C’est un peu ce qui se passe avec cette récente affaire d’écoutes clandestines, qui, si elle ne devrait pas tarder à se dégonfler, éclaire crûment la vie et les mœurs de la cour et des courtisans.
Patrick Buisson, puisqu’il s’agit de lui cette fois-ci, n’a rien à envier à toutes ces éminences grises, âmes damnées des décideurs, fayot intégral et faux-cul de première, reçu sans doute major à l’agrégation de concierge, incarnation de ce qui se fait de pire dans les tentatives d’influence sous couvert d’une onctuosité toute chrétienne. Un sacré lapin de garenne. En parfait homme de l’ombre, l’espionnage minable auquel il s’est livré en dit long sur les pratiques et la mentalité de l’extrême droite dans laquelle il a fait ses classes. Délation, curiosité malsaine sont sans aucun doute les seules valeurs morales de ce sinistre pantin. Directement issu du sérail maurrassien, nationaliste un peu royaliste, catholique un peu intégriste le 21 janvier 2012, le pape Benoît XVI bien connu pour son ouverture d’esprit le promeut, dans la salle ducale du palais du Vatican, commandeur de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand, Patrick Buisson s’est parfaitement accommodé du flou idéologique de la fin de mandat de Nicolas Sarkozy, rendu nécessaire par sa volonté d’être réélu.
Mais, entendons-nous bien malgré tout, sa présence parmi les petits marquis ne doit rien au hasard. Lorsque Sarkozy fait appel à lui en 2004, le ministre de l’Intérieur de l’époque n’ignore rien du pedigree de celui dont il sollicite les lumières. Patrick Buisson lui-même, né en 1949 d’un père ancien camelot de l’Action française, n’a jamais caché ses racines maurrassiennes et son parcours au sein de l’extrême droite française. Violemment anticommuniste, l’étudiant en histoire à Nanterre était devenu une figure de proue d’un syndicat anti-Mai 68 et se définit comme un membre de la génération Occident. Tout ce qu’on aime. La culture de la trahison dont il vient de faire la preuve n’a eu aucun mal à trouver son chemin avec un tel palmarès. Un vrai dégoût et une vraie envie de lui coller des baffes. Mais, dans ce sinistre milieu, Buisson ne peut rien seul. Réseaux, relations, carnet d’adresses épais comme un annuaire pour, au bout du compte, se faire chouraver les cassettes et retrouver les retranscriptions dans la presse, c’est quand même un peu risible. Et pour ceux et celles qui ont lu ces retranscriptions, il faut reconnaître qu’elles sont parfaitement anodines et inintéressantes au possible. À supposer que Le Canard enchaîné garde en réserve les meilleurs moments, et il en est capable, c’est bien le principe de regarder dans les trous de serrure dont il faut s’offusquer parce que sur le fond…
Ce genre de pratiques n’est cependant pas bien nouveau. On se souvient qu’une cellule antiterroriste de l’Élysée dirigée par Christian Prouteau fut créée par François Mitterrand en 1982. Près de 3 000 conversations concernant 150 personnes dont 7 pour des raisons qui ont été jugées contestables, ont été enregistrées entre janvier 1983 et mars 1986. Les écoutes, que les initiés appelèrent les « bretelles du président », ont cessé en 1986. Elles ont directement concerné plus d’un millier de personnes. Sept anciens collaborateurs du président furent à l’époque condamnés dont Gilles Ménage, ex-directeur de cabinet adjoint de Mitterrand (six mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende pour « atteinte à l’intimité de la vie privée ») et Christian Prouteau, dirigeant de la cellule antiterroriste et ancien chef du GIGN (huit mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende), ainsi que Louis Schweitzer, ancien directeur de cabinet de Laurent Fabius, sans oublier l’ancien gendarme Paul Barril, condamné pour le recel des données secrètes de la cellule à six mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende et lui-même devenu plus ou moins mercenaire au Rwanda au moment où il ne fallait pas trop. Toute cette bande de joyeux garnements n’a qu’une envie, qu’on lui confisque son pouvoir, quitte à foutre son nez dans nos slips, dans nos crânes et dans nos cerveaux. Mais cela reste du pipi de chat à côté des pratiques récemment révélées de la NSA états-unienne qui étend la manie de l’indiscrétion au niveau du grand art. Et là, Patrick Buisson a encore de grands progrès à faire. Bras cassé aux petits pieds, si j’ose dire, un petit effort et il pourra jouer dans la cour des grands garçons. Mais, en attendant, sa capacité de nuisance en a pris un coup ; la naïveté des espionnés aussi, mais placer sa confiance et son amitié dans un individu pareil est pire qu’une erreur, une grave faute. Les libertaires, quant à eux, s’ils ne sont pas à l’abri des infiltrations, ont appris à régler leurs comptes autrement que par des déclarations vertueusement outragées et il est au demeurant des circonstances où la fréquentation des salles de sport rend parfois service.