Non, non à la réhabilitation !

mis en ligne le 9 octobre 2013
Donc voilà, il y aura bientôt cent ans, la guerre qui allait modifier profondément le monde occidental débutait. Elle allait durer quatre longues années, d’août 1914 à novembre 1918. Vous aimez les chiffres, vous allez être servi ! En voici quelques-uns piochés sur le site Wikipedia : 60 millions de soldats y prirent part, 9 millions de personnes furent tuées, 20 millions blessées. Nous n’ajouterons pas à cela les victimes de la grippe espagnole ou des révolutions qui éclatèrent en Russie, Allemagne, Hongrie, ni celles du génocide arménien. Cette guerre est honorée, ceux qui y sont tombés du moins, chaque 11 novembre. Monuments, discours, défilés, gerbes de fleurs, sonneries aux morts, tout le rituel fétichiste cérémonial tant républicain que royal s’étale chaque année avec éclat. Pourtant, il y a un petit truc qui fait tache. Quelques centaines de soldats français sont morts, « fusillés pour l’exemple ». Ils sont la mauvaise conscience d’un pays, gauche et droite unies, qui les ont envoyés à la mort. Donc après les lois, décrets, décisions diverses, dont la dernière en date est le mariage dit «pour tous», le pouvoir de gauche va laver cette tache. Enfin disent certains !

Mais que s’est-il passé ?
Bien des livres ont été écrits sur le sujet depuis quelques années. Des films célèbres ont été tournés, des articles ont été écrits, des cris de justice ont été lancés. Donnons juste quelques chiffres pour les comparer à ceux donnés plus haut. Six cent cinquante personnes ont été exécutées, certains refusaient de mourir connement (qui est jamais mort intelligemment ?), d’autres refusaient d’obéir, d’autres étaient là au mauvais endroit et au mauvais moment. À ce moment précis où la hiérarchie militaire sentait qu’il fallait donner des exemples de sa détermination à empêcher toute fuite du front. Il faut comprendre les craintes de ces galonnés. Des congrès internationaux et des rassemblements antimilitaristes avaient eu lieu pendant les années précédant août 1914. Le pouvoir craint alors des désertions et des insoumissions de masse. Jean Jaurès, assassiné quelques jours avant la déclaration de guerre, aurait-il pu empêcher ce massacre ? Pas sûr. Les gauches et la CGT rejoignent l’Union sacrée, et c’est le départ la fleur au fusil pour une guerre courte et joyeuse. La même chose se passe du côté allemand. Le nombre d’insoumis sera minime, certains historiens le chiffrent à 1,5 %. Du côté des anarchistes, la situation n’est pas simple. Pour Kropotkine, les années qui précèdent l’été 1914 sont l’occasion d’exprimer son antigermanisme foncier. Il rejoint Bakounine qui disait déjà au temps de la Commune de Paris : « Si Lyon tombe aux mains des Prussiens, la France sera irrévocablement perdue. » Dès le début, Kropotkine exprima son soutien entier à la guerre, ce qui le sépara de ses amis anarchistes. Milly Witkop, la compagne de Rudolf Rocker, raconte qu’après avoir parlé de la guerre avec cet éminent compagnon, elle souhaita alors « n’avoir jamais entendu de sa bouche ces mots qui, en [son] âme, [la] faisaient souffrir comme une plaie béante ». La publication en 1916 du Manifeste des seize appelant au soutien à la guerre, signé par quinze anarchistes connus dont Jean Grave, Malato, Paul Reclus et bien sûr Kropotkine lui-même, achève la division du camp des anarchistes.

Aujourd’hui de quoi s’agit-il ?
Réhabiliter disent les bonnes âmes de gauche, dont un certain nombre de nos amis pacifistes. Réhabiliter, qu’est-ce que cela veut dire ? C’est rétablir quelqu’un dans ses droits ou faire d’un vieux bâtiment ou quartier quelque chose de neuf. Dans un sens comme dans l’autre, c’est faire disparaître ce qui est. Rétablir ces soldats dans leurs droits, soit, mais quels sont-ils ? Aller se faire tuer ? La réhabilitation de ces fusillés pour l’exemple a un sens terrible. On s’est trompé, on n’aurait pas dû, on s’excuse. C’est ignoble ! Le scandale dans cette affaire, c’est qu’ils furent aussi peu, que leurs bourreaux, les mêmes qui envoyèrent à l’abattoir des millions de soldats, ne furent jamais inquiétés. Au contraire, ils furent honorés, combien de rues, avenues ou boulevards Foch, Clemenceau ? S’il n’y a plus de rue honorant Pétain, ce n’est pas dû à son attitude pendant cette guerre-là mais à celle qu’il eut pendant la suivante. Cette hiérarchie militaire devrait être poursuivie pour crime de guerre, crime contre l’humanité qui, eux, sont imprescriptibles.
Ces « fusillés pour l’exemple » sont l’honneur des peuples en guerre malgré eux. Ils sont coupables de n’avoir ni voulu tuer ceux qui étaient en face ni avoir voulu mourir sous les coups de ces derniers. Ils méritent d’être cités en exemple. Leur réhabilitation ne peut passer que par la condamnation ferme et résolue de leurs fusilleurs. Toute autre attitude ne sera qu’une sinistre plaisanterie, une préparation à la prochaine boucherie, un avertissement à ceux qui voudront désobéir aux ordres. Alors, désobéissons tous !