Güle güle - au revoir - à Tayfun Gönül anarchiste et premier objecteur de conscience de Turquie

C’est avec tristesse que je t’apprends que Tayfun Gönül, le premier objecteur de conscience de Turquie, a rendu les armes pour la dernière fois de sa vie fin juillet, foudroyé par une crise cardiaque, alors qu’il n’était âgé que de 54 ans.
Médecin de formation, lui qui était entre autres l’auteur de Anarchizm nedir ? (Qu’est-ce que l’anarchisme ?), il avait choisi de ne pas exercer sa profession parce que « toutes les institutions ont pris les codes des casernes comme modèle pour leurs opérations internes durant leur établissement, incluant les écoles et les hôpitaux. Les blouses blanches des médecins en sont l’indication la plus flagrante. L’uniforme sert partout le même objectif : rendre homogène et dépersonnaliser les gens, pour en faire des robots remplissant uniquement leurs fonctions. La couleur de l’uniforme est insignifiante à tel point que je suis concerné. Elle aurait pu tout aussi bien être kaki que blanche », avait-il déclaré lors d’une interview accordée au magazine Sokak (La Rue) en 1990.
Fin des années 1980, Tayfun Gönül ne se contente pas de refuser de tenir une arme, avec son collègue journaliste à Sokak, Tugrul Eryılmaz, il lance sa fameuse campagne « Non au service militaire » qui lui vaudra des procès intentés par le Ministère public de la Cour de Sultanahmet, pour « aliénation des personnels du service militaire ». Une campagne très vite relayée par Metin Münir, qui en fait des gros titres dans le magazine Günes (Le Soleil).
Tayfun avait dédié sa vie aux idées anarchistes et à l’objection de conscience. Il venait encore de participer à La Journée internationale des objecteurs de conscience du 15 mai pour laquelle il a dû signer une décharge pour sortir de l’hôpital alors qu’il venait d’avoir un infarctus. Journée où il s’est encore une fois élevé contre la rhétorique du « drapeau » et du « martyre » employés dans les agences de presse turques et kurdes.
Pour Tugrul Eryılmaz, Tayfun Gönül « a planté les graines de l’éveil contre le militarisme en Turquie ». Alors que le simple fait de participer à une manifestation de soutien à un objecteur de conscience est passible de poursuites pour « éloge d’un crime ou d’un criminel » et pour avoir « provoqué l’hostilité publique envers le service militaire », selon les articles 215 et 318 du Code pénal turc, ils sont de plus en plus nombreux, Turcs comme Kurdes, à déclarer, comme Mehmet Bal ou Enver Aydemir, leur refus de porter une arme, que ce soit pour l’armée turque ou pour le PKK.
Pour information : parmi les pays membres du Conseil de l’Europe, la Turquie est l’un des trois seuls pays à ne pas reconnaître l’objection de conscience, avec l’Azerbaïdjan et la Biélorussie. Et le seul pays ayant demandé son adhésion à l’Union européenne. L’objection de conscience est par ailleurs inscrite dans les critères de Copenhague pour l’adhésion à l’Union européenne.
Le 1^er septembre, Journée internationale de la paix, l’objecteur de conscience Halil Sevda entamait une marche pour la paix de quarante jours, de Roboski à Ankara, en protestation au bombardement récent de ce village kurde par l’armée turque, qui a fait plus d’une trentaine de morts civils, hommes, femmes et enfants.
Après avoir « comme le vent semé quelque part sa graine d’ananar », ainsi que l’aurait dit Ferré, Tayfun Gönül a été enterré au cimetière de Zincirlikuyu sur la rive européenne d’Istanbul, sans bondieuserie aucune, accompagné de fleurs, de guitares, de violons, de clarinettes, de sa famille et d’un groupe de près de deux cents de ses camarades anarchistes.

Aurélien Roulland

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