Maroc : mondialisation partout, exploitation toujours

mis en ligne le 7 juin 2012
La mondialisation tant vantée par le patronat s’avère être plutôt l’exploitation généralisée. Dans le précédent Monde libertaire 1, nous avons évoqué la grève des ouvrières marocaines de l’entreprise espagnole Nufribel, implantée à Souss-Massa. Un article de Moha Oukziz 2 nous apprend que le capitalisme français n’est pas en reste. Lui aussi est implanté au Maroc, par exemple avec Soprofel Idyl, groupe agro-alimentaire ayant son siège social à Châteaurenard (Bouches-du-Rhône), et avec les mêmes méthodes : faibles rémunérations, pas de respect de la législation du travail, etc. Comme chez Nufribel, l’activité de l’entreprise est la production, le conditionnement des fruits et légumes et leur commercialisation. 95 % des exportations sont à destination de l’Europe, du Canada et de la Russie. Le groupe emploie au total plus de 12 000 salarié-e-s dans ses différentes fermes et usines de conditionnement. Là aussi les salaires sont bas, la précarité grande, les accidents du travail fréquents et en constante augmentation ; on peut aussi y constater d’autres pratiques courantes, comme la non-inscription de nombre d’ouvriers auprès des caisses sociales, et le harcèlement sexuel à l’encontre du personnel féminin.
Face à ces conditions de travail, les salariés se sont organisés et ont constitué un bureau syndical qui s’est rattaché à la Confédération démocratique du travail (CDT). La réponse de Patrick Puech, dirigeant français de l’entreprise, ne s’est pas fait attendre : tous les membres du bureau syndical ont été licenciés. Protestations et manifestations contre cette décision sont restées lettre morte. La « justice » marocaine, quant à elle, s’est fait comme d’habitude le relais du patronat et a invoqué l’article 288 du Code pénal, qui criminalise le droit de grève, pour condamner en première instance les ouvriers grévistes et engager des poursuites contre les syndicalistes.
Précisons que les licenciements chez Soprofel Idyl sont pratique courante : deux mille depuis 2008, sans dédommagement ni indemnités, ou alors dans le meilleur des cas, des sommes dérisoires s’élevant à 500 dirhams (47 euros).
Toutefois, un accord avait pu être signé par le biais d’un comité de conciliation qui stipulait : la réintégration des travailleurs licenciés et la représentation syndicale reconnue pour trois salariés.
Mais à ce jour, sur trente licenciés, seuls neuf ont pu retrouver leur poste, les autres se voyant proposer une indemnité de 3 000 dirhams (285 euros). Devant la non-application de l’accord et après de multiples démarches auprès de la direction du groupe ainsi que des autorités locales pour que soit respecté l’accord signé, les ouvriers se sont tournés vers la CDT, à laquelle leur syndicat est rattaché. Centrale réformiste qui les ignore complètement, fidèle à sa collaboration de classe. L’Économiste 3 rapporte les propos des patrons français et marocains qui estiment que dans les exploitations agricoles de la région (Souss-Massa) « il y a trop de grèves » ; le journal concluant que « les syndicats ne contrôlent pas vraiment leurs troupes ».
En désespoir de cause, six ouvriers sont en grève de la faim sous une tente plantée devant le siège local du groupe, ce qui leur vaut en plus d’être menacés de poursuites judiciaires. Cette situation ne fait que mettre en évidence la collusion patrons/justice ainsi que l’intégration au système étatique de la CTD qui n’apporte aucun soutien à une de ses sections dès qu’il y a conflit ouvert avec le patronat.
Toujours au Maroc, mais ceci n’a rien à voir (quoique…), les rumeurs se font de plus en plus persistantes quant à un accord sur le point d’être conclu entre le gouvernement marocain et les États-Unis, concernant l’installation à Tan Tan (sud du Maroc) d’une base de commandement militaire en Afrique 4. Rappelons à ce propos que depuis des années et malgré les protestations de la population, les soldats américains et marocains procèdent à des manœuvres militaires conjointes. Les dernières réunissaient 900 soldats marocains, 1 200 marines américains avec leurs forces aéronavales. Ces exercices sont les plus importants effectués par les États-Unis en Afrique, et sont évidemment à mettre en relation avec leur volonté d’installer une base pour le commandement des forces armées américaines en Afrique (Africom) dans un pays « ami des occidentaux » (ô combien !) et possédant une ouverture sur l’océan Atlantique. Dans son immense générosité, le Maroc aurait également proposé l’installation d’une autre base au Sahara occidental. Proposition déclinée par les États-Unis en raison du conflit dans cette région avec le Front Polissario (les États-Unis reconnaissent l’administration marocaine de la région mais non sa souveraineté sur celle-ci). Si, comme semblent le confirmer toutes les sources journalistiques, l’Africom s’implante au Maroc, un nouveau foyer de tensions risque de s’y installer. Économiquement ou militairement, le colonialisme change de masque mais perpétue sa présence dans ce pays.







1. Voir Le Monde libertaire n° 1675, « Maroc, exploitation des travailleurs par des entreprises espagnoles ».
2. Journaliste, membre de l’Association marocaine des droits de l’Homme, et d’Europe solidaire sans frontières.
3. Quotidien d’économie marocain.
4. Information plus ou moins au conditionnel, mais relayée par de plus en plus de médias : Afrik.com, Le Matin (d’Alger), Liberté (d’Algérie), Diploweb.com, La Presse et JSS News, entre autres.