Abstention, l’extrême droite au pouvoir ?

mis en ligne le 10 mai 2012
1672Abstention− Tu sais que l’abstention peut être responsable de l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite ? Tu le sais ? Alors ? Tu as réfléchi pour les élections ? Tu ne vas toujours pas voter ?
− À ton avis, mon camarade ?
− Bon, bon, après, faudra pas venir pleurer quand les fachos seront au pouvoir, quand ce sera trop tard.
− Ah, je m’y attendais à celle-là. Tu sais bien que ça n’a rien à voir.
− C’est un peu court ta réponse. Il est bien connu que les électeurs de droite et d’extrême droite, eux, se déplacent ; jamais ils ne manqueront une élection. Alors qu’à gauche, les taux d’abstention ne cessent d’augmenter.
− C’est exactement ce que je te dis ; les gens qui veulent du social, ils ne vont plus voter ; ils croient surtout aux luttes. C’est parce qu’ils ont compris, d’abord, que l’organisation collective basée sur la délégation de pouvoir inconditionnelle ne sert à rien. La délégation de pouvoir telle que nous la pratiquons en nous en remettant au système parlementaire ne sert à rien.
− Moi, je te parle des fachos. C’est du sérieux !
− Et moi, je te réponds tout aussi sérieusement, et je te dis que ce qui fait monter l’extrême droite, c’est avant tout la misère et la menace de la misère, que c’est voulu, et que ça divise, et que cette division, c’est fait pour nous tenir tous en laisse.
− Moi, je te parle des élections.
− Je sais bien, mais le lien est facile à faire : à force de s’en remettre, par les urnes, aux uns et aux autres, de gauche ou de droite, et à être perpétuellement déçus, la menace de se dresser les uns contre les autres est de plus en plus présente. On cherche des explications à l’échec, des boucs émissaires ! Cela soulage peut-être, mais il reste une amertume ; c’est ça qui fait monter l’extrême droite : l’espoir que ça change indéfiniment déçu. Je te dis qu’il faut prendre le mal à la racine, repenser le système de la représentation et surtout refuser de perdre notre voix.
− La racine du mal ! Tu crois que c’est si simple que ça ? Qu’il n’y a qu’une seule racine du mal social, le crois-tu ?
− Oui, d’accord, ce n’est pas si simple, et c’est même compliqué ; oui, le problème essentiel − et là tu vas dire que je me répète − mais le problème essentiel, c’est l’État, le principe de l’État ; c’est ça qu’il nous faut déconstruire mentalement.
− Dis donc, tu ne vas pas un peu loin ? Tu resteras vraiment toujours un utopiste. Tu parles de déconstruction mentale, que tout se passe dans la tête des gens. Oui, mais la réalité, le présent, t’en fais quoi là-dedans ?
− La réalité ? Parle-moi plutôt d’un abandon à la fatalité. Oui, une fatalité qui nous ronge parce que l’on n’est pas encore assez mûrs pour ouvrir les yeux et regarder en face, regarder ce qui cloche, la situation sociale.
− Et ce qui cloche, c’est ce que l’on pense, tu crois ? Pas ce que l’on fait ?
− En partie, oui ; c’est-à-dire ce que l’on nous a mis dans la tête, l’idée de l’État, de droite ou de gauche, d’extrême droite ou d’extrême gauche. Un État qui a ses propres intérêts à défendre et à sauvegarder, intérêts qui s’opposent à ceux du peuple parce que, avec l’institution de l’État, il y a obligatoirement des privilégiés. Et les privilégiés ce sont ceux qui sont au pouvoir, ce n’est pas le lot de tous.
− Oui, mais quand tu n’auras plus dans la rue que l’armée et la police pour représenter l’État, tu feras la différence alors entre les extrêmes de droite et ceux de gauche. Et puis, on ne peut pas toujours cracher dans la soupe démocratique, on a quand même de la chance d’être en démocratie, ceux qui subissent des régimes totalitaires pourraient te le dire.
− En tout cas, les démocraties ont tout intérêt à nous faire taire, à nous parler de ceux qui souffrent encore plus que nous ; pourtant, tu sais bien que tout État, dit démocratique ou pas, dès qu’il est contesté va se servir de l’armée et de la police pour se maintenir en place ; tu le dis toi-même. Et tu sais que, si c’est nécessaire, des gouvernements de gauche feront matraquer les manifestants ; c’est monnaie courante, à toute époque, dans tout pays. Le pouvoir concentré, centralisé détruit tout espoir d’équité, de partage et de solidarité. Alors, pourquoi maintenir un système qui favorise ceux qui s’installent au pouvoir avec notre aide mais au détriment de tous les autres ? Pourquoi ne pas imaginer un autre système qui ne favoriserait pas l’installation de pouvoirs durables, par exemple ?
− Mais c’est dans la nature de l’homme de vouloir le pouvoir ! Tu n’empêcheras jamais qu’il y en ait toujours qui veuillent prendre le pouvoir sur les autres. Toute l’histoire de l’humanité le prouve. Tu prends n’importe quel groupe réuni, aussi bien pour des raisons professionnelles que militantes, ou même amicales, et aussitôt quelques-uns prendront le dessus sur tous les autres. Tu ne peux pas l’empêcher.
− Aie ! Aie ! Aie ! Tu ne vas pas un peu trop vite dans le pessimisme ? Rappelle-toi tout de même les nombreux exemples d’organisation horizontale ; que ce soit dans des sociétés dites primitives dont le principal souci, précisément, était de prévenir la prise de pouvoir par certains. Et puis souviens-toi d’organisations sociales inédites : la Commune de Paris en 1871, la Catalogne en 1936, la Kabylie dans les années 2000, la commune d’Atenco au Mexique de 2001 à 2003, leurs réalisations concrètes qui auraient perduré si…
− Peut-être, mais on ne refait pas l’Histoire et, quand même, tu ne peux pas nier que ça a été une avancée de voter, même si notre influence est limitée. Il y en a qui se sont battus pour que, aujourd’hui, dans les démocraties, nous ayons au moins le droit de dire ce que nous pensons.
− Ce n’est pas parce que beaucoup y ont cru, une majorité, que ce n’est pas une tromperie. Si « la dictature, c’est ferme ta gueule, la démocratie, c’est cause toujours ». Oui, on peut dire ce que l’on pense, mais on n’est jamais entendus. C’est ça que tu considères comme une avancée ? Et le système marche tellement bien que nous n’arrivons même plus à imaginer qu’il est possible de boycotter le vote et que l’on peut s’organiser autrement. Oui, s’il y a eu des avancées réelles, elles ont été gagnées par des luttes, pas par les urnes.
− Quand même, il y a des programmes ; à nous d’être sérieux et de les étudier, de près, pour être en mesure de choisir celui qui se rapproche au mieux de nos idées.
− Mais de quels programmes parles-tu ? Ceux exposés pendant les campagnes électorales ? Mais quand as-tu vu qu’ils sont appliqués, que les promesses sont tenues ? Et puis, écoute, retiens bien ça, jamais un seul candidat élu n’a proposé l’idée d’une loi qui l’obligerait à tenir ses engagements électoraux.
− Il n’empêche que si seuls ceux qui veulent l’égalité, la répartition des richesses, plus de justice, si seuls ceux-là ne vont pas voter, les autres, les capitalistes, les fachos et les intégristes vont nous passer devant. Moi, c’est ça qui me fait peur.
− Pourtant, quand tu entends à la radio, à la télé, les appels insistants à voter, ces appels relayés très largement par tous les médias réunis, ça ne te donne pas à réfléchir ? Non ? Tu ne crois pas qu’ils ont peur de l’abstention ? Je dis que ce serait les décrédibiliser, les discréditer que de tourner le dos à leur farce. Ce serait les désarmer. Et, en tout cas, l’action anti-électoraliste peut permettre de passer à autre chose, de penser autrement, de poser le problème de la délégation autrement. Car je le dis : notre voix dans l’urne nous empêche de parler par la suite, cela nous rend muets.
− Je vais réfléchir…
− Si je peux te rassurer, je te dirai que ce n’est pas l’abstention qui met l’extrême droite au pouvoir : l’extrême droite est le fruit direct de tout un système qui ne peut se maintenir qu’en nous divisant, en nous opposant les uns aux autres. Rappelle-toi de ça, même si tu vas voter.

Dialogue imaginé par Flora
Cercle libertaire Jean-Barrué de la FA



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Cédric

le 11 mai 2012
>les gens qui veulent du social, ils ne vont plus voter ; ils
>croient surtout aux luttes.

Au secours, c'est quoi ces conneries?

Genre les 20% d'abstentionnistes ce sont des libertaires qui ne vont pas voté parce qu'ils veulent changer la société ?

Faut revenir sur la "terra ferma" parfois...

julien bézy

le 13 mai 2012
L'attaque violente de cédric qui n'est pas toute seule montre que l'abstention gêne, si elle gêne c'est qu'elle est utile. Oui les luttes sociales sont un moyen efficace de pratiquer la démocratie, voir la Commune, voir 1936...

douille

le 13 mai 2012
L'abstention gêne mais elle ne s'explique pas uniquement parce que les gens de gauche ne vont plus voter. Penser ça c'est se mettre le doigt dans l'oeil

Le Glandeur

le 14 mai 2012
Il faut vraiment que les libertaires arrêtent avec ce délire un brin idéologique qui les fait répéter encore et encore depuis au moins 100 ans "votants = collabos du système".
On est d'accord, voter ne va pas changer le monde. L'important c'est la lutte, d'investir le présent, la vie quotidienne, généraliser les idées et les pratiques de démocratie directe et collective - tout faire pour se bricoler des rêves ensemble et les expérimenter dans le concret. Il n'y aura aucun sauveur qui viendra des urnes, et il est important de répéter cela, de virer de nos crânes ce besoin d'État. je suis d'accord avec ça.
Mais faut qu'on m'explique : en quoi ne pas voter fait avancer nos idéaux ? notre "cause" ? Le schmilblick, quoi ?!
Certes les commentateurs "politiques" ne peuvent s'empêcher de commenter, un brin affolés, les chiffres de l'abstention à chaque élection. Sans doute parce que ça leur fait mal au cul d'avoir à avouer - et d'abord de s'avouer à eux-mêmes - que la "démocratie" représentative telle qu'elle s'exerce en 2012 en Occident, et bien, c'est de la grosse merde.

Le Glandeur

le 14 mai 2012
Mais est-ce que, pour autant, ça change quelque chose aux conduites des élus ? Est-ce que vous êtes vraiment sincères quand vous écrivez que ne pas voter "ce serait les décrédibiliser" ? Parce que franchement il ne me semble pas qu'ils se sentent décrédibilisés, ces gens-là amateurs de pouvoir.
Le meilleur exemple c'est celui des élections européennes de 2009. Plus de 40% d’abstention dans toute l’Europe. (Et encore, il faudrait prendre en compte que ce chiffre est artificiellement gonflé par les pays où le vote est obligatoire. Et qu’on compte également tous ceux qui, par choix ou par contrainte, ne sont pas inscrits sur les listes électorales alors qu’ils sont en âge de voter – soit 40 millions de personnes environ. Et à la limite on peut aussi ajouter tous les votes blancs.) Rapportons tout ça en France. L’UMP, qui avait alors "gagné" les élections, n’avait fait que 10,8% selon les statistiques officielles. Un électeur sur dix, même pas si on veut compter de façon un peu honnête : on est très loin du compte. Ça n’avait empêché aucun leader de fanfaronner. Et par la suite d'appliquer leur programme ultra libéral.
Ne pas voter n'a jamais rien empêché.
Il faut arrêter d'être dans l'idéologie, fut-elle libertaire. Il faut penser stratégies, je crois.

Le Glandeur

le 14 mai 2012
Pour ma part j'aurais tendance à penser qu'il vaut mieux avoir au pouvoir un Mélenchon qu'un Sarkozy, parce que le premier s'inscrit dans un parti qui cherche à développer la "démocratie participative" dans son fonctionnement quand l'autre n'hésite pas à envoyer le GIGN pour déloger les grévistes. Bon Mélenchon c'est loin d'être parfait, hein, mais ce que je veux dire c'est qu'il n'y a quand même pas la même vision de l'humain, du monde social derrière chacun des hommes ou femmes politiques. Il faut réfléchir à ça : dans quel monde pourra-t-on déployer le plus notre puissance d'agir collective ? expérimenter des modes de vies alternatifs ? Plus le parti au pouvoir est "de gauche", plus je crois qu'il y a de la place pour nous, pour qu'on déploie dans le présent nos rêves, nos utopies.
Certains sont pas d'accord avec moi. Dans "L'Appel" par exemple, ils pensent plutôt que la gauche fonctionne comme une machine à détourner de l'expérimentation de vie alternative, puisqu'elle la gauche au pouvoir c'est synonyme d'espoir pour beaucoup de gens, ça les fait sombrer dans l'attente d'un sauveur, et finalement c'est contre productif pour nous. Mais faut dire aussi qu'à 'L'Appel' ils sont dans un délire catastrophiste, qu'ils pensent que plus tout va mal et mieux c'est pour la probabilité d'une "insurrection qui vient".
Bref, on est pas obligé d'être d'accord mais l'important c'est d'envisager le vote dans sa dimension stratégique. Pertinent, utile ? Pourquoi, comment ? Après on vote ou pas, j'en ai vraiment rien à foutre d'ailleurs, mais le discréditer comme ça, en amont de toute réflexion un peu sérieuse comme vous semblez faire, c'est assez naze.

Le Glandeur

le 14 mai 2012
Parce que des arguments du genre "notre voix dans l’urne nous empêche de parler par la suite, cela nous rend muets" ça n'a aucune pertinence : d'où, parce que j'ai foutu un putain de papier dans une boite, je fermerai ma gueule ? Ça serait accepter les injonctions de la bourgeoisie libérale, c'est sans doute ce que bien des dirigeants veulent, mais ça fonctionne pas dans la réalité. Si je veux mettre le bordel, c'est une question d'envie - le vote n'a rien à voir dans tout ça.