Les dindons de la farce électorale

mis en ligne le 3 mai 2012
1671DindonsLe philosophe Gilles Deleuze a dit quelque part qu’à chaque campagne électorale, le « niveau de la connerie » montait. Celle de 2012, semble-t-il, n’échappe à la règle, tant s’en faut. La mélenchonomania qui a saisi « le peuple de gauche », en incluant une foule de suivistes diplômés, n’est pas pour rassurer. L’illusion électorale crée une euphorie éphémère, mais qui, durant les quelques mois qu’elle dure, fait planer sur un nuage rose – voire nappé de rouge pour les mélalenchoniens – ceux qui y cèdent. Il n’était que de voir la multitude enthousiaste rejouer sur le mode de la farce électorale la « prise de la bastille » à l’appel de leur grand homme du moment. Comme d’habitude, il n’y aura aucun lendemain qui chante après ces heures de liesse, sinon de nouvelles déceptions. Mais pour tous ces gens qui y ont cru, cette illusion lyrique dérisoire aura rendu un instant palpitante cette période post-politique qui n’en finit pas de s’éterniser.
Une fois de plus, face à l’injonction électoraliste « Votez ! », les esprits critiques démissionnent, y compris les plus « radicaux » (sur le papier et dans les amphi universitaires), pour s’exécuter sans broncher. S’agissant de l’élection de cette année, le vote Mélenchon a fourni un nouveau cas d’école en matière de « crétinisme parlementaire », comme aurait dit Marx, encore que la Ve République, que tous ces « contestataires » se gardent de contester, lui donne une allure plutôt présidentielle.
Était-on obligé de voter pour un individu qui prétend incarner « l’autre gauche » (vieux serpent de mer parlementaire insubmersible, lui aussi), qui fut sénateur PS à 35 ans, mitterrandolâtre ne doutant jamais de la grandeur de son mentor, et jospiniste de choc dans un gouvernement qui comptait le flic Chevènement et le poujadiste Claude Allègre ? Car les états de services passés de Mélenchon ne sont pas de l’ordre du détail, ni de l’histoire ou, en tout cas, d’une histoire close. Le mitterrandisme n’est pas une chose ancienne, définitivement derrière nous. Nombre de tares de la gauche française ou de ce qui passe encore pour tel en viennent directement : l’invisibilité des ouvriers (spécialement s’ils sont étrangers), l’argent-roi qui désormais est le seul critère d’études réussies, la conversion au marché, à l’entreprise et au profit, l’atlantisme assumé. En refusant de revenir, ne serait-ce qu’avec une autocritique de circonstance, sur son soutien passé au mitterrandisme, Mélenchon montre qu’il est resté fidèle à cette période de dés•orientation et de corruption politiques généralisées. Ce qui devrait ne dire rien qui vaille pour l’avenir à ses partisans, si ceux-ci, au moins parmi les moins jeunes, n’avaient pas la mémoire si courte et, pour d’autres, des envies d’ascension sociale si pressantes. En outre, la fidélité à un homme qui n’avait d’autre principe que sa réussite politique personnelle est plus que déconcertante. Qu’est-ce qui garantit, en effet, que Mélenchon ne mettra pas ses pas dans ceux de Mitterrand, après avoir fait la courte échelle à Hollande, son successeur pâlot à la tête du Parti Solferino ? Entre Saint-Just et Mitterrand, Mélenchon a déjà choisi : le ralliement « sans conditions » à Hollande, intimé à ses troupes, implicitement considérées comme un troupeau par l’intéressé, dès les résultats du premier tour connus !
Premier signe d’un tournant droitier annoncé : la justification que le co-président du PG donne à la « rigueur » imposée en 1982-1983 par un chantage sous l’égide de Delors et de la Commission européenne. Selon Mélenchon, cette austérité « de gauche », aurait été due à des circonstances imprévues et extérieures. Qu’est-ce qui aujourd’hui assure que de telles circonstances ne se reproduiront pas ? Certainement pas les économistes dont Hollande s’est entouré, parfaites incarnations de « la finance » vomie à longueur de meetings par le Führer du Front de Gauche. Après avoir conseillé Sarkozy, Philippe Aghion, Michel Aglietta, Daniel Cohen, Elie Cohen, Jean-Hervé Lorenzi, Jacques Mistral, Thomas Pikettyv et autres suppôts des banques, faisaient de même et en même temps avec Hollande, allant jusqu’à appeler publiquement à voter pour lui deux semaines avant le premier tour. Et ce n’est pas non plus la « révolution citoyenne » prônée par Mélenchon qui nous rassérènera car, à vrai dire, cette expression est oxymorique, pour ne pas dire une contradiction dans les termes puisqu’elle réconcilie l’idée de «révolution» avec « dîner de gala », comme n’aurait pas dit Mao, qui réunira certains citoyens plus citoyens que d’autres, triés sur le volet, sous les lambris de l’Élysée ! C’est dire à quel point ce mot d’ordre est spécieux, et il faut tout le confusionnisme idéologique des têtes pensantes de la « gauche de gauche » pour y déceler un slogan galvanisant. Idem pour l’« insurrection civique », autre oxymore, où est entendu que « civique » concerne le vote stricto sensu, soit la soumission à la logique étatique de la représentation.
On pourrait continuer à pointer les éléments inquiétants du discours mélenchonien ainsi que ses positions politiques, quitte à devoir subir les foudres de ses fans, d’autant plus furieux que beaucoup, au fond, sont conscients du simulacre d’événement – et donc de la supercherie – que constitue l’irruption de Jean-Luc Mélenchon sur la scène politicienne. Chacun sait, par exemple, que le slogan « Prenez le pouvoir » avec sur l’affiche le visage du chef en gros plan nous ramène à la belle époque du culte de la personnalité. Et pourtant, nombreux sont ceux qui, malgré tout, acquiescent. Que personne n’ait pointé cela est tout à fait étonnant. Et en dit long, en tout cas, sur ce que les électeurs de Mélenchon entendent par « démocratie ». C’est là un concentré typique de bêtise électoraliste. Il faut dire que les campagnes électorales créent des dynamiques peu propices à la lucidité.
Que fera le Front de Gauche, une fois aux affaires, une fois gagnées les circonscriptions qui ont été promises depuis des mois en catimini, à ses caciques et ceux du PCF ? En quoi formeraient-ils un nouveau « cartel des gauches », avec le PS et les écolocrates pour faire bon poids, qui, pour la première fois, résisterait au « mur d’argent »? La manifestation de la Bastille, pas plus que celles qui ont suivi à Toulouse et à Marseille, ne répondaient à cela : elles n’étaient des rassemblements moutonniers pour un nouvel homme providentiel, mais « de gauche » ! Des manifestations politiquement muettes, en réalité, malgré les braillements des foules attroupées, au sens où aucun énoncé singulier venu du peuple n’a été dit.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


un mouton sans berger

le 5 mai 2012
(suite)
un anarchiste qui est du côté du peuple plutôt que du côté de la pureté de sa doctrine, et qui sait bien que malgré tout le résultat de l'élection a une incidence sur les vies, ira mettre un mettre un bulletin Hollande dans l'urne de façon à ce que le peuple se débarrasse de la plaie Sarkosyste.
Puis il préparera lucidement, n'ayant pas le monopole de la forme de révolution que le peuple est capable de porter, avec ses camarades de bonne volonté, la suite de la lutte pour la société démocratique, socialiste, ce qu'il veut, mais évitera de semer la division et la confusion.
Bien au contraire, il utilisera son esprit critique et sa force d'action pour infléchir, au coeur même du mouvement social, que certains aient ou non choisi de passer par les urnes, les formes d'organisation et les pratiques, les revendications, de façon à ce qu'elle reflètent ce qu'il y a de plus émancipateur dans sa doctrine.
Dézinguer Mélenchon en employant les mêmes méthodes qu'Alain Soral et s'oublier dans le mépris d'une fraction du peuple qui a les oreilles ouvertes aux idées révolutionnaires et le cerveau qui tourne pour le bien commun ne m'apparait pas très constructif par les temps qui courent...choisis ton camp camarade et par le bulletin de vote choisis ton meilleur ennemi!

un mouton sans berger

le 5 mai 2012
"Une fois de plus, face à l’injonction électoraliste « Votez ! », les esprits critiques démissionnent, y compris les plus « radicaux » (sur le papier et dans les amphi universitaires), pour s’exécuter sans broncher. S’agissant de l’élection de cette année, le vote Mélenchon a fourni un nouveau cas d’école en matière de « crétinisme parlementaire », comme aurait dit Marx, encore que la Ve République, que tous ces « contestataires » se gardent de contester, lui donne une allure plutôt présidentielle. "

Une affirmation mensongère qui souligne bien la vacuité de l'analyse.
Un anarchiste dont l'esprit n'aurait pas démissionné, c'est-à-dire qui ne s'enferme pas dans des dogmes et des rabâchis identitaires, saurait voir dans les discours sur la VIème République, et la République Sociale, un coin dans les esprits pour s'y infiltrer plus avant (si tant est qu'il sache s'attirer l'oreille du peuple et lui faire prendre les vraies Bastilles du moment).
Un anarchiste qui se respecte, c'est-à-dire qui ne regarde pas la réalité sous l'angle d'un point de vue idéaliste petit-bourgeois, verra dans la donne politique actuelle que la situation est loin d'être à l'offensive, puisqu'il n'a pas même pas su lui et son groupuscule organiser une résistance au détricotage des acquis de la lutte et de leurs traductions en lois.

Cédric

le 11 mai 2012
Bonne réflexion de ce mouton, certe je ne vote pas pour ce genre d'elections mais ce méprit pour les gens qui votent commence à être fatiguant...

Kovitch

le 12 mai 2012
Merci aux commentaires qui précèdent. ils me rassurent quant au désordre qu'ils remettent un peu en place face à cet article que j'ai trouvé particulièrement infect, misérabiliste au possible, dogmatique et usant de méthodes passablement détestables pour démontrer la vacuité supposée, et d'un chef, qualifié de "führer", et de ses ouailles imbéciles, malhereusement l'auteur n'est pas allé jusqu'au bout de la logique - il aurait probablement du les nommer en plus de moutons de sections d'assaut de la social démocratie, mais ça aurait fait vraiment mauvais genre.

lautrekovitch

le 12 mai 2012
Je ne suis pas un lecteur assidu du monde libertaire mais attentif, surtout en temps d'élection et en sortant du salon du livre libertaire, cet article m'est littéralement tombé des mains. Haine à peine masquée du petit peuple à travers de belles envolées idéalistes, rejet de toute l'entreprise quelle que soit visiblement ce qui s'y passe par l'association de ceux qui s'y adonnent (et peu importe ce qu'ils y mettent ou investissent, visiblement tous pareil) à une supposée classe sociale et radicalité associée à celle-ci (de papier et des amphis, petits bourgeois mus par le désir de l'ascension sociale)... Incapacité à prendre en compte les dimensions multiples et désabusées du vote de beaucoup bien plus proches de nombreux anarchistes et des mouvements sociaux radicaux que d'une adhésion au PCF ou au PG...

nestorkoviç

le 12 mai 2012
Au final, on se demande si à force de dénoncer si rapidement le représentant sans plus de précision, sans jamais parler du mouvement, s'il ne croit pas plus que ceux qu'il dénonce à un représentant parfait et intéressant à une élection.

J'en passe et des meilleures, à commencer par cette accusation aussi ignoble que pathétique de "Führer" contre un candidat qui a fait malgré tout son ascension sur le vide sidéral dans la classe politique institutionnelle depuis plusieurs années de mots qui n'ont rien de si naïf et dont on ne peut que se réjouir qu'ils refassent surface même à la faveur d'une élection bourgeoise et sans lendemain : le peuple, les classes sociales, le refus de la résignation, l'insurrection (certes citoyenne, civique etc...mais la radicalisation n'est pas une donnée biologique innée) mais surtout sur l'antifascisme et l'insulte envers les fascistes et le FN contre une normalisation bien acquise dans les médias ...


Par ailleurs, le long passage sur "il a soutenu Mitterrand, c'est un salaud, un apparatchik, il ne renie même pas, et n'a pas fait son autocritique", suivi de références soi-disant d'auto-dérision à Mao, on se demande vraiment si on doit en rire ou en pleurer tant la métA force de réfuter le mouvement en ne s'appuyant que sur la personnalisation voulue, fournie par les institutions et travaillée en partie par l'équipe de campagne, on se demande une nouvelle fois lequel sera le plus servile dans le jeu de la dénonciation des servilités) Par ailleurs, le long passage sur "il a soutenu Mitterrand, c'est un salaud, un apparatchik, il ne renie même pas, et n'a pas fait son autocritique", suivi de références soi-disant d'auto-dérision à Mao, on se demande vraiment si on doit en rire ou en pleurer tant la méthode rappelle de bien trop mauvaises histoires pour en croire ses yeux en les voyant dans un papier libertaire.

koviçenfinfini

le 12 mai 2012
Mais, du haut de sa chaire universitaire, pourfendeur de la boboïsation de Paris et de la banlieue, visiblement tout ce qui ne pense pas rond n'est que mouton. Bel ethnocentrisme et mépris de classe qui se masque derrière les beaux jours de la radicalité.

A ce tarif-là, je revendique le droit d'être un sale naïf, populiste, servile petit bourgeois et si impuissant qu'il s'en remette, sans se démettre, une fois de temps à un papier dans un bocal sans que ça l'empêche d'être ensuite là où il faut.

Ah le "Führer" je l'ai entre les dents franchement, dévaluer l'histoire comme ça, ça me fait penser à un certain petit imbécile qui vient de partir de son palais et qui s'amusait à jouer avec les périodes les plus dramatiques en les mélangeant aux plus pathétiques pour enfoncer les cerveaux dans l'obscurité.

Salutations libertaires.