Bordeaux contre les centres de rétention administrative

mis en ligne le 19 janvier 2012
1656Art112Le samedi 17 décembre 2011, à 13 heures, le cercle libertaire Jean-Barrué, à Bordeaux, accompagnait dans un de ses « coups » l’équipe de Art112 qui s’active dans ce genre d’actions depuis déjà une trentaine d’années (oui, vous avez bien lu).
C’était sans doute le mauvais jour, le mauvais endroit, la mauvaise heure, mais c’est ce qu’aime ce groupe dont les membres savent négliger les contingences et, par-dessus tout, ont décidé de mettre à tout jamais leur ego artistique en sommeil. Ce serait le 106e coup (ou quelque chose comme ça) de ces plasticiens de l’instant qui interviennent sans autorisation sur la voie publique et qui prennent grand soin de ne rien détruire ni détériorer.
« En vérité, détruire, c’est le « scandale » assuré, pis, c’est le sésame pour se faire connaître ! La tentation est grande, mais trop facile et, pour tout dire, inintéressante de notre point de vue. Le crayon ou le pinceau peuvent parfois faire plus de dégâts qu’une bombe. »
Autre faux souci, le coût financier de l’action : « Moins c’est cher, mieux c’est ! » L’idée sous-jacente est de montrer que tout le monde peut faire des « grands quelque chose » avec des « petits riens ».
Et pour quelle retombée médiatique ? En effet, ça rapporte quoi cette énergie et ces « euros jetés par la fenêtre » ? Rien, disent-ils, rien d’autre que du plaisir, surtout du plaisir ! Un « coup », c’est tout à la fois un acte poétique et une action politique qui procède de l’art de la rue (street art), de l’art éphémère, du happening !

Art112 en action
Nous étions à presque une douzaine du cercle libertaire, place du Parlement, sous un ciel gris avec des averses à répétition quand ont surgi trois personnages (mais ils sont quatre) masqués et uniformément habillés de violet à seule fin d’être… vus. Porteurs d’un étrange objet fait de clés surdimensionnées rassemblées sur un anneau. On pouvait lire « issue de secours » sur un porte-clés et ailleurs leur signature : art112.
L’objet fut déposé sur la place devant lequel nos trois personnages observèrent cinq minutes d’immobilité. Puis ils disparurent. Pour le passant qui presse le pas, l’objet est énigmatique, insolite, mais on se retient d’être plus curieux, on n’ose s’approcher, on craint de toucher, on ne sait pas si on a le droit. Les enfants, eux, tâtent la chose pour voir si c’est du vrai et sautent par-dessus en riant. Puis l’objet est abandonné là, laissé à un champ de questionnements, à la curiosité bienveillante des passants, à la malveillance d’autres, ou au travail de propreté des nettoyeurs administratifs de la ville. Cela fait partie du jeu.
À noter pourtant la grande indécision de la plupart devant un objet qui n’est ni anodin ni méprisable et qui est déposé comme ça sans que l’on sache sa provenance. À 23 h 30, les clés avaient disparu.

Le quotidien du coin
Dans un court texte, intitulé « Les clés du centre de rétention », le journal Sud-Ouest du 18 décembre 2011 rend compte de la chose. Il écrit entre autres : « Autour d’eux et pendant tout le temps de la performance, le cercle libertaire de Jean-Barrué 33, entendez la Fédération anarchiste de Gironde, a distribué des tracts pour sensibiliser les Bordelais contre les rétentions administratives. Des centres accusés par la Fédération anarchiste d’« être une zone de non-droit » où « les gestes désespérés se multiplient et les actes de résistances et de solidarité aussi » selon leurs termes. Les militants réclament la fermeture pure et simple de ces centres. Le CRA de Bordeaux a rouvert ses portes en mai dernier après deux ans de réhabilitation. Réservé aux hommes et situé sous l’Hôtel de police de Bordeaux, il a une capacité de 20 places. »
Les plus curieux de nos lecteurs pourront aller consulter le site de ces éveilleurs de passants pressés ou en promenade en tapant « art112 » sur la Toile. Ils y trouveront toutes les photos des « coups », mais aussi de courts textes d’accompagnement qui ont une réelle valeur littéraire, textes auxquels le public de la rue n’aura pas accès.
Le cercle avait donc préparé un tract sur les centres de rétention administrative que quelques personnes daignèrent prendre en posant quelques questions.

Un peu d’histoire
C’est dès 1980 que la loi autorise l’exécution par la force d’une mesure d’expulsion du territoire ou d’éloignement d’étrangers et la privation de liberté sur simple décision administrative.
En 1981, sous Mitterrand, la rétention administrative est légalisée et organisée ; des lieux de privation de liberté sont créés qui ne dépendent pas de l’Administration pénitentiaire. Le gouvernement socialiste ne prend pas position contre l’enfermement des sans-papiers, il l’officialise.
1981. Durée de rétention : 7 jours maximum et exécutée dans les locaux administratifs.
1984. Création des centres, l’accompagnement social et juridique des « retenus » est confié à la Cimade.
De 1993 à 1998, la durée de rétention maximale passe de 7 à 10 puis à 12 jours.
2003. La loi Sarkozy porte la durée à 32 jours et chiffre pour la première fois des objectifs de reconduite à la frontière : 2004, 15 000 ; 2005, 20 000 ; 2006, 25 000.
2005. L’« accueil » des enfants en rétention devient possible (projet d’habilitation de centres à cet effet).
2006. Calendrier d’extension et construction de centres dont la capacité passera de 1 200 à 2 000 places.
2009. Le centre de rétention de Bordeaux est incendié le 19 janvier mais demeure au commissariat central, quartier Mériadeck.
2011. Durée de rétention maximale portée à 45 jours.
Ces centres ne font que prolonger la tradition d’enfermement dédiée à des populations diverses : réfugiés politiques, victimes de génocides, déplacés, victimes économiques, exploités et « indésirés ».

Mais qui sont ces « retenus » ?
Qu’ont-ils fait pour être enfermés ? Ils sont en situation de demande ou de renouvellement de papiers : demandeurs d’asile déboutés, jeunes mineurs devenus majeurs et donc irréguliers, individus aux titres de séjour non renouvelés, etc.
Pour certains, ces mesures interviennent après nombre d’années de vie en France où ils ont construit leur vie, tissé des liens, développé leurs repères, etc. Pour d’autres, c’est l’espoir d’une vie meilleure qui disparaît. Toujours des vies humaines, des familles brisées et humiliées ! Ils n’ont pas quitté leur pays par plaisir mais à cause des guerres, des régimes dictatoriaux, pour leur survie économique, etc.

Ces retenus sont des exploités
C’est toute la logique d’exploitation de la force de travail par le capital qui s’applique là avec la complicité des gouvernements liée aux exigences des entreprises :
− Les gouvernements fabriquent « du » sans-papiers (électorat oblige, soutien aux entreprises oblige).
− Le patronat bénéficie d’une main-d’œuvre docile et toujours moins coûteuse, entraînant derrière elle son lot de travailleurs pauvres, de chômeurs et de sans-papiers toujours plus nombreux dans les centres.
Les stratégies de la grande entreprise sont le moteur des flux migratoires humains. Méfions-nous des tentatives de division des travailleurs avec ou sans papiers ! Ne nous laissons pas diviser !
Que se passe-t-il dans les centres ?
Les textes qui encadrent semblent garantir aux enfermés un certain nombre de droits. Mais la réalité est tout autre : exiguïté, conditions d’hygiène et d’alimentation indignes, vexations, humiliations, insultes, menaces, fouilles, privation de soins, violences physiques, etc.
Le centre de rétention administrative est une zone de non-droit pour les enfermés. Les gestes désespérés s’y multiplient (mutilations, suicides, etc.) ; les actes de résistance et de solidarité aussi : nombreuses grèves de la faim, révoltes, tentatives d’évasion, incendies, etc.
Disons que les sans-papiers ne sont pas dangereux mais qu’ils sont en danger !

Cercle libertaire Jean-Barrué