Espagne : la crise vote à droite

mis en ligne le 1 décembre 2011
1653EspagnePas de surprise en Espagne : la droite (Parti populaire, PP) sort victorieuse des élections législatives du 20 novembre. Ou plus exactement le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) en sort grand perdant : par rapport à 2008, le PP ne gagne qu’à peine 4 points, tandis que le PSOE dégringole de 15 points (43,6 % en 2008, 28,65 % en 2011). Ces deux dernières années, la crise aura fait chuter les gouvernements de plusieurs pays : Royaume-Uni, Hollande, Danemark, Irlande, Portugal, sans oublier l’Italie et la Grèce. Et donc l’Espagne. Le PSOE, déjà largement battu aux municipales de ce printemps, paye sa gestion de la crise qui a consisté depuis un an et demi à supprimer des postes dans la fonction publique et à procéder à des coupes budgétaires tous azimuts. Pour les électeurs, le retour au pouvoir de la droite ne peut pas être pire que ce qu’ils connaissent actuellement. Voire. Celui qui prendra ses fonctions de Premier ministre dans trois semaines environ, Mariano Rajoy, l’a joué Churchill au petit pied : « Je ne vous promets rien, mais je suis sérieux et je vais faire mon possible. » Pas de quoi être rassuré ! Le señor Rajoy, dont le programme n’a longtemps consisté qu’à insulter Zapatero, le leader socialiste au pouvoir, s’est fait ces derniers temps l’apôtre de la rigueur à l’instar des politiciens partout en Europe ou ailleurs. À croire qu’avant, nous autres en bas, on s’amusait comme des fous en claquant l’argent qu’on n’avait pas, alors qu’en haut lieu on planchait pour trouver des solutions destinées à nous sauver malgré nous !
Mais trêve de plaisanteries, le résultat est là, l’illusion parlementaire fonctionne encore : plus de 70 % des inscrits se sont rendus aux urnes, et la droite obtient son meilleur score de la période post-franquiste. Les socialistes, en accédant au pouvoir il y a sept ans, avaient trouvé 2 millions de chômeurs comme cadeau de bienvenue ; ils en laissent 5 millions à leur départ : bravo la gestion en faveur des couches populaires !
Mais répétons-le, le mirage électoraliste a encore fonctionné : seulement 30 % d’abstentions. Les voix conjointes des révolutionnaires et des « indignés » ne sont pas parvenues à affaiblir suffisamment les deux principaux partis, que ce soit le PSOE avertissant qu’avec la droite ce sera pire, ou le PP promettant… rien de précis, si ce n’est – comme ailleurs – de réduire le déficit. On devine très bien l’avenir immédiat : accélération des coupes budgétaires dans les services publics où les salaires sont déjà bloqués depuis un an et demi, et privatisations à tout va. Une seule promesse du vainqueur de dimanche : il ne touchera pas aux retraites (nous savons bien que ce genre de promesses n’engage que ceux qui y croient).
Bien sûr, le PSOE encore au pouvoir jusqu’à mi-décembre (en principe) ne se faisait aucune illusion sur le résultat de ces élections ; Zapatero ne se représentait pas comme chef de file des socialistes et avait cédé la place à son bras droit au gouvernement : Alfredo Pérez Rubalcaba, lequel conjurait ses compatriotes de ne pas remettre entre les mains du PP le « pouvoir total ». Raté là aussi : avec 186 sièges, la droite obtient la majorité absolue et va avoir les mains libres pour mettre en œuvre sa politique réactionnaire.
Le bilan est lourd pour les socialistes : ils perdent donc leur majorité aux Cortès (Parlement espagnol) et au Sénat, après s’être fait étriller aux municipales, au printemps dernier. Leur candidat – Rubalcaba – a cherché durant toute sa campagne à faire oublier que jusqu’à il y a trois mois, il faisait partie du gouvernement qui était aux affaires, ne combattant pas l’injustice et ne remettant pas en cause le capitalisme, mais se contentant de le gérer. Mieux que la droite ? Avec les mêmes méthodes assurément : suppressions de postes dans la fonction publique, diminutions ou suppressions des aides et allocations… Le ras-le-bol avait pris la forme de l’« indignation » le 15 mai dernier ; son cri de ralliement : changer les règles du jeu, puisque tous les gouvernements de droite ou de gauche font en sorte que rien ne change. La fameuse alternance ne sert qu’à enfumer la population. Les treize ans de droite qui ont suivi mai 1968 en France ont été relayés par quatorze ans de présidence « socialiste », puis à nouveau par seize années de droite. On cherche encore la différence fondamentale : fin de l’exploitation ? Du capitalisme ? En Espagne aussi droite-gauche-droite se sont succédé pour en arriver au désastre actuel. Surprenant ? Oh que non, en tout cas pas pour les anarchistes qui dénoncent depuis toujours l’illusion parlementaire ; et cette illusion ne disparaîtra pas en votant pour des « petits » partis censés mieux représenter les travailleurs, n’en déplaise à certains indignés. On a heureusement pu voir certaines pratiques autogestionnaires reprises par des groupes de manifestants de plus en plus importants, ne se réclamant d’aucune organisation (même libertaire), mais fonctionnant de manière horizontale, sans délégation de pouvoir, et rejetant systématiquement toute tentative de récupération par qui que ce soit. Toutefois les indigné se sont divisés, comme ils l’avaient annoncé, entre ceux qui ont voté pour de « petits » partis comme IU (Gauche unie : communistes plus écologistes) et ceux qui se sont abstenus – comme les anarcho-syndicalistes. Le résultat de ce boycott des élections (30 % au lieu de 26 % en 2008) peut paraître décevant et on s’attendait à mieux, mais il faut le mettre en parallèle avec les résultats des deux partis institutionnels : plus de quatre millions d’électeurs perdus par le PSOE, mais seulement 500 000 gagnés par le PP. Pour beaucoup, droite ou gauche ne signifie plus grand-chose dans leur quotidien et les raisons de lutter contre le pouvoir (qu’il soit de droite ou de gauche) vont devenir de plus en plus évidentes, avec les mesures prévues pour maintenir un système basé sur l’exploitation de la population laborieuse par une minorité occupée à augmenter ses profits. Les libertaires refusent d’abandonner leur souveraineté à un politicien (fût-il d’un « petit parti »). Ils acceptent par contre de déléguer mandat à un membre de leur classe, exploité comme eux, et non pas « professionnel de la politique ou de la révolution ». Et le mandat ne consistera pas à quémander une plus grosse part du gâteau capitaliste, mais à en finir avec ce système qui nous entraîne avec lui au fond du gouffre. Une bonne partie des indignés sont d’accord là-dessus, reste pour la majorité d’entre eux à franchir le pas qui les décidera à non pas réclamer plus de démocratie, mais à en finir avec ce cache-sexe de l’exploitation capitaliste.
Pour les représentants de la minorité au pouvoir en Espagne, un seul but : retrouver la confiance des marchés ; un seul moyen : faire payer leur crise par les exploités. C’est le même refrain que nous entendons en France. Alors ici, en Espagne ou ailleurs, un même objectif : radicaliser les luttes, réinvestir l’espace public et refuser de payer leur dette. Ce système capitaliste que nous subissons, nous n’en voulons plus, donc combattons-le, partout et chaque jour. Indignés ? Il y a trop longtemps que nous le sommes, passons la vitesse supérieure.