Avec la rage au cœur, l’espoir fait vivre !

mis en ligne le 24 novembre 2011
Il faut bien justifier sa fonction. Confrontée à une vague de suicides qui décime la population carcérale – 83 au cours des neuf premiers mois de l’année 1 –, l’administration pénitentiaire (AP) ne pouvait rester inactive. Ce n’est pas qu’en prison le suicide soit nouveau. Dans ces lieux qui demeurent « une honte pour la République », dixit nos sénateurs, le désespoir fauche dans le tas depuis toujours : automutilations, agressions entre détenus, morts cérébrales, morts volontaires…
Et depuis toujours, l’AP tâche d’y remédier. On préconisa d’abord cette vie au grand air qui vous requinque un type – Cayenne pour les adultes, Mettray pour les gosses –, des colonies pénitentiaires qui furent autant d’enfers philanthropiques. Progrès technologique aidant, on a essayé le téléviseur, pensant que cet objet phare de la civilisation des loisirs ne pouvait trouver meilleur public que la plus oisive des populations et lui faire oublier sa dégradation permanente. Ce n’était pas encore suffisant, alors on y a ajouté les neuroleptiques, drogues légales qui, dans les crânes prisonniers, chassent les idées noires et même toutes les autres. Dernièrement, on étreignit les fameux « kits anti-suicide » dont on entend moins parler depuis que des détenus, décidément incorrigibles, se suicident avec.
Un nouveau dispositif est testé depuis presque deux ans : les codétenus de soutien (CDS). Leur rôle consiste, après trente heures de formation dispensée par la Croix-Rouge, à détecter d’éventuels candidats au suicide parmi leurs compagnons de misère puis, sous réserve d’un accord de la direction, de les recevoir dans leur cellule pour tâcher de leur remonter le moral. Comme si la solidarité n’existait pas ! Chaque jour, en taule, des détenus qui ne se connaissent pas, se parlent et s’épaulent. Chaque jour, en taule, des mains tendues vers celui qui est tombé, l’aident à se relever. Chaque jour, en taule, des mots s’échangent pour consoler une peine, apaiser un tourment, comprendre une détresse. Chaque putain de jour.
Certes, cette fraternité élémentaire mais fragile ne peut pas tout. Parvenues à un paroxysme et passé le cap de l’indicible, certaines douleurs deviennent muettes. Celles-là sont souvent mortelles à l’homme qu’elles submergent, et cette constatation est valable de part et d’autre des hauts murs. Aussi, si l’AP croyait un tant soit peu à sa dernière trouvaille, elle la proposerait à la direction de France Télécom ou à celle de Renault. Le désespoir que fabriquent en gros et en détail le capitalisme et l’État, n’explique qu’en partie les suicides. Ces décisions ultimes sont prises, hélas, en l’absence d’espaces de solidarité plus larges et mieux compris où la désespérance changée en révolte fonde les luttes collectives, et donne un sens à l’existence. Dira-t-on jamais assez que la résignation est un suicide quotidien ?
Si, pour le moment, on se supprime davantage en prison qu’ailleurs, c’est qu’on y fabrique plus de désespoir. Que l’administration pénitentiaire l’admette au lieu de bricoler ces pitoyables dispositifs dont le seul but, inavoué bien sûr, est de se délester, ne serait-ce qu’un peu, de sa responsabilité. Que la société dans son ensemble l’admette et elle devra se rendre à l’évidence que l’enfermement ne sert à rien sauf à amorcer des bombes à retardement, et elle verra que les vrais criminels, moins nombreux mais plus redoutables, sont ceux qui débitent de la misère à la chaîne et imposent le minimum à la multitude. Et ceux-là sont libres !
Il y a peu 2, un détenu de la maison d’arrêt de Fresnes dénonçait, dans ces pages, les fouilles intégrales pratiquées sans vergogne par le personnel pénitentiaire malgré de nouvelles dispositions législatives qui limitent et encadrent strictement cette pratique dégradante pour les détenus. Cette lettre courageuse – son auteur l’avait signée – s’achevait par un appel demandant au Monde libertaire et sans doute plus largement à la Fédération anarchiste, de dénoncer le scandale et d’intervenir afin qu’il cesse.
Le Monde libertaire sera toujours aux côtés des opprimés et des exploités pour relayer leurs colères et donner davantage d’écho à leurs luttes. Ces derniers pourront aussi compter sur les autres titres de la presse libre, sinon libertaire, qui leur fourniront d’utiles tribunes.
Il faut cependant préciser une chose. Organisés à la Fédération anarchiste ou ailleurs, les anarchistes n’ont pas pour habitude d’agir par procuration, encore moins par substitution. Nous nous placerons aux côtés, non en tête, des détenus en mouvement pour poursuivre ensemble le combat pour la liberté et l’abolition de ce cancer social qu’est la prison.
Quelques mois avant le courrier de ce prisonnier de Fresnes 3, nous publiions l’article d’un détenu de la centrale de Saint-Maur appelant à la création d’un syndicat de prisonniers pour défendre leurs droits minces mais constamment bafoués 4. Le détenu en question s’appelle Omar Top El Hadj. Évadé de la centrale de Moulins-Yzeure en compagnie de Christophe Khider, tous deux repris, il compte parmi les « longues peines » particulièrement surveillées. Or, en mai 2009, peu après la fin de sa cavale, Omar demandait publiquement à la ministre de la Justice, à l’époque Rachida Dati, d’être euthanasié car « sans la possibilité de parler à un ami et de le voir, sans contact humain, à quoi bon endurer ce calvaire plus longtemps ? »
En l’espace de deux ans, Omar Top El Hadj est passé du désespoir à la lutte, de la mort à la vie. Sa proposition est imparfaite ? Peut-être, mais elle définit un objectif : l’organisation des prisonniers par eux-mêmes pour l’amélioration maximale de leur condition. Tant de choses restent à faire dans les prisons ! La chose n’est pas facile, certes, et le chemin semé d’embûches et de dangers. Mais l’objectif assigné n’est pas inaccessible pour peu que, parmi les détenus, des éléments moteurs et opiniâtres s’attellent à la tâche.
L’exemple d’Omar Top El Hadj est à suivre. Et dans la stratégie que les prisonniers auront à cœur d’élaborer, on pourra compter sur l’appui actif des anarchistes, amoureux de la liberté – cette force de vie ! –, et ennemis de toutes les prisons – ces abattoirs de l’humanité !

Stéphane, groupe Claaaaaash de la Fédération anarchiste




1. Si toutefois l’on admet que, dans le nombre, ne se cachent pas quelques authentiques « bavures » maquillées en suicides.
2. Voir le Monde libertaire n° 1650 (10 au 16 novembre 2011).
3. Voir le Monde libertaire n° 1636 (19 au 25 mai 2011).
4. On peut s’interroger sur la pertinence de la forme juridique envisagée – ici, le syndicat – car il y a fort à parier que les syndicats de matons empêcheront, par des moyens que le pire des patrons n’oserait pas, l’organisation solidaire des taulards. Peut-être l’organisation en coordinations, intra et inter prisons, sera plus appropriée et permettrait des mouvements plus larges incluant, pourquoi pas, d’anciens détenus toujours combatifs ?