« La prison n’est qu’un espace muré qui cache les échecs de la société. »

mis en ligne le 26 mai 2011
1637PrisonLancés en 2006 à l’initiative de l’Observatoire international des prisons (OIP), les états généraux de la condition pénitentiaire se proposaient de rendre les murs plus transparents, à défaut de les faire tomber. Par le biais d’un questionnaire détaillé, détenus et personnels de l’administration pénitentiaire étaient invités à s’exprimer sur l’état des prisons et les moyens à envisager pour aboutir à une situation digne d’un État de droit, selon l’expression de Gabriel Mouesca, alors président de l’OIP.
Cette forme d’audit, inédite, ne manquait pas de pertinence après les nombreux rapports officiels (constats des commissions d’enquête parlementaire et sénatoriale, puis du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe), tous accablants, qui pointaient une « humiliation pour la République ». C’est dire si l’humiliation pour les détenus allait de soi !
Les états généraux de la condition pénitentiaire visaient à interpeller les politiques, alors en lice pour la présidence, sur une urgente et ambitieuse réforme de la politique pénale. Certes, les anarchistes ne goûtent guère les assaisonnements de la sauce punitive, ni cette façon de demander aux principaux intéressés comment ils préféreraient être châtiés.
Reste que, si l’on veut de toutes ses forces faire disparaître ce cancer social qu’est la prison, on peut aussi, en attendant, tâcher de réduire au minimum la douleur subie.
Par milliers, les détenus avaient répondu à l’invitation, suivis – assez timidement, il faut le dire – par certains fonctionnaires de l’administration pénitentiaire. Les observateurs furent même assez surpris par la qualité des réflexions élaborées par les taulards, animés d’un esprit citoyen qu’on ne rencontre pas toujours à l’extérieur des hauts murs.
Nul doute qu’au fond des cellules, un espoir – mince sans doute, mais un espoir quand même – était né de cette libération de la parole. L’espoir d’un changement. La présence de Robert Badinter, sous l’égide duquel se tenaient les états généraux, ne manquait pas de poids, lui qui déclarait à l’époque : « Je suis convaincu que l’histoire retiendra le nom de celle ou de celui qui, en assumant la présidence, aura à cœur d’entreprendre un véritable projet de réforme de la condition pénitentiaire. L’exemple de François Mitterrand, s’agissant de la peine de mort, témoigne après un quart de siècle que, dans le bilan d’un président, figurent au premier rang les actes d’humanité qu’il a eu le courage politique d’accomplir. »
Des paroles fortes, qui occultaient un peu un autre bilan auquel l’ex-garde des Sceaux n’était pas étranger, car conséquence directe de l’abolition de la peine capitale : l’extension des peines dites de sûreté et, de là, l’instauration d’une peine de mort lente pour les condamnés au long cours.
On sait comment finissent les nobles élans, déclarations d’intentions ou annonces de mesures exceptionnelles, passée la crise qui les a fait naître : aux oubliettes.
Les oubliettes, justement, dont les effectifs – contraints et forcés – ont passé le cap historique de 64 584 détenus au 1er mai 2011. Voilà un record dont le prolétariat en fête se serait bien passé ! Certes, on précise que le taux de surpopulation carcérale est de 115 %, au lieu de 126 % en juillet 2008 1. Cela fera une belle jambe aux encagés, heureux d’apprendre que le délire sécuritaire est plus ou moins contenu par l’accroissement du parc pénitentiaire, puisque 6 000 nouvelles places se sont « ouvertes » – oh, pas longtemps – depuis deux ans, et 70 000 de mieux sont attendues à l’horizon 2018.
« Peines plancher », criminalisation à outrance, chasse aux sans-papiers, réduction des dispositifs d’aménagement de peines et de libération conditionnelle, suppression de la grâce présidentielle…, autant de paramètres expliquant cette fuite en avant, qui n’est d’ailleurs pas propre au « pays des droits de l’homme ». Un peu partout en Europe, les taux de surpopulation carcérale explosent : pays Baltes, île de Chypre dotée d’une unique prison qui, en 2004, battait tous les records avec un taux de 160 % (du fait des arrestations massives de migrants) 2, ou encore l’Italie avec, en 2006, 20 000 taulards de plus que la capacité théorique des prisons. Situation aussi alarmante au Québec, face à laquelle le gouvernement libéral n’a d’autre perspective que la création de nouvelles structures d’enfermement. Idem à Madagascar où, du fait des lenteurs administratives et du désintérêt du ministre de tutelle, l’inhumanité progresse à grands pas. Liste non exhaustive, hélas.
Situation explosive ? Sans doute. Mais le propre du libéralisme, désormais intégré à tous les domaines de l’activité humaine, est de générer des situations toujours modulables. Ainsi celle des bons élèves dont les prisons affichent des taux d’occupation plus raisonnables. Un exemple : en janvier 2010, le parlement néerlandais a donné son feu vert définitif à la location par la Belgique de 500 cellules de prison aux Pays-Bas. La Belgique devra en contrepartie verser 30 millions d’euros par an (soit un loyer de 5 000 euros par mois pour une cellule, selon le ministère de la Justice néerlandais). Les premiers transferts de prisonniers ont commencé le mois suivant.
Belles perspectives au sein de cette Europe démocratique toujours en construction…
Retour en France, à l’amorce d’une nouvelle campagne présidentielle.
« Il faut passer d’une culture du tout enfermement à une culture du tout contrôle », estimait le député socialiste Dominique Raimbourg, à l’occasion d’une proposition de loi (rejetée en commission) pour « prévenir » la surpopulation carcérale. C’était le 17 novembre dernier.
Électeur, te voilà donc prévenu.



1. Encore faut-il rester prudent à la lecture des pourcentages officiels, adaptables et adaptés en fonction des intérêts du jour. Ainsi, à la maison d’arrêt de Sequedin (Nord), l’Ufap Unsa Justice s’est récemment fendue d’un tract dénonçant l’artifice qui a permis à la direction de l’établissement d’augmenter la capacité d’accueil, passant de 638 à 1 051 places. Comment ? En doublant les lits dans de nombreuses cellules, normalisant ainsi une situation de fait, c’est-à-dire deux voire trois détenus par cellule de 10 m2. « Un tour de passe-passe qui permet d’éviter les amendes de la Cour européenne des droits de l’homme », selon le syndicat pénitentiaire.
2. Record battu, depuis, par la France et ses établissements de Béthune, Nîmes, Perpignan, Strasbourg, Carcassonne, entre autres, avec respectivement 212 %, 182 %, 177 %, 172 %, et 161 %.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


fhr76

le 30 mai 2011
… Et pourtant tout acte criminel, s’il n’est pas pathologique, s’il n’est pas lié à une défaillance du jugement, est exclusivement imputable à l’environnement et non à l’individu lui-même.
Que le crime soit le fait d’un « nanti » ou d’un « pauvre », il trouve toujours sa source dans la Société car irrémédiablement elle induit, de part son organisation inégalitaire et autoritaire, le comportement de chacun. La convoitise en est toujours la raison dans une Société reposant sur les inégalités, la division et la culpabilité où tout s’acquière et rien ne se partage, mais où chacun doit accepter sa condition, ordre naturel des choses, la Loi. Et c’est le « nanti » qui convoite toujours plus ou qui craint de perdre ce qu’il possède, le « pauvre » qui convoite par nécessité, pour vivre, ou aspire à devenir « nanti » sans en avoir les moyens...
(L’argument que pour un environnement donné, tous ne sont pas criminels ne tient pas car il exclut une autre réalité : les différences individuelles, notre capacité de tolérance et de soumission est différente (quantitativement et qualitativement, par nature et par acquis) d’une personne à une autre !)
La convoitise existerait-elle dans une société Egalitaire, Fraternelle, Solidaire ? On sait (par la recherche en psychologie et en anthropologie) que non ! C’est une réalité, mais une réalité passée sous silence quand elle n’est pas déniée par cette Société fondée depuis des millénaires sur la loi du plus fort et donc de l’inégalité ; qu’un certain nombre (ceux qui possèdent le pouvoir, les plus forts) trouve intérêt à préserver. Abjecte !

fhr

le 30 mai 2011
La prison m’apparait comme étant à la fois la réponse (clairement affichés avec les prisonniers politiques) à tout ce qui peut gêner la bonne marche de la « bonne » Société (celle qui détient le pouvoir sous toutes ses formes (économique, politique, religieux)) et le maintien de celle-ci.
La Justice considère comme coupable voir criminel et donc punissable, tout individu ne respectant pas les Lois édictées par la Société et donc ne respectant pas la Société elle-même. Cependant, considérer les causes réelles d’un comportement criminel renvoie à deux possibilités soit l’individu a agi malgré lui, soit il a agi par contrainte. Si la première cause (médicale) est plus ou moins examinée, la seconde est tout bonnement dénigrée du fait de l’inévitable implication de la Société elle-même comme « source » du comportement délictuel.
Si, parfois, la Justice tient compte des circonstances atténuantes (mais en imputant toujours à l’individu la responsabilité de ses actes et de ses choix) elle ne va jamais plus loin que la prise en compte de facteurs contigües, faisant abstraction des facteurs plus généraux, plus diffus, mais aux effets insidieusement pervers (sociologiquement et psychologiquement pathogènes) : les inégalités (accès aux biens matériels et culturels, les loisirs, l’éducation, le travail…) soit, le système (politique, économique et social) dans son entier. Ce refus de prendre en compte cette réalité n’a qu’un objectif : protéger la « Société » d’une mise à la vue de tous de la réalité de son incongruité. Alors, comment, en effet, la Justice pourrait-elle juger quelqu’un coupable si elle venait à imputer la responsabilité de tel ou tel acte à la Société ? Elle condamnerait la Société et non l’Individu ! …