« Ils volent des baignoires » : racisme et idées reçues à l’encontre des Roms

mis en ligne le 19 mai 2011
1636RomsSébastien : Des copains en parlaient sur Internet. Il y en a un qui a dit : « Il y a des Roms, ils font plein de bruit, j’espère qu’ils vont partir. »

Francis : Les voisins ont fait une pétition pour que la mairie expulse les Roms, avec des prétextes hallucinants : ils s’introduisent chez eux, ils volent des baignoires…

Sébastien : Au collège, tout le monde se rassemblait devant la grille. Dès que les Roms se garaient, ils disaient « Ils ont volé la voiture », et tout le monde les insultait. À ce qui paraît, des Roms disaient que l’un de nous avait lancé une pierre sur eux, qui avait touché des gens, et ils montraient quelqu’un du doigt. Après, tout le monde disait « Ils vont te fusiller à la sortie », « Ils vont te frapper », « Ils vont te violer », même.

Sylvie : Est-ce que tu peux raconter l’histoire quand tu es revenu en disant il y a un enfant du camp Rom qui jetait des cailloux sur une voiture ?

Jérémie : C’était une voiture qui était là depuis le début de la rentrée, cassée, en morceaux. Il leur aurait dit : « Cassez-vous, ça vous regarde pas ! »

Sylvie : Sauf qu’il y a un truc qui va pas : ils savent pas parler français… On les voit partout. Comme ils ont pas d’endroit spécifique à eux, il y a un côté comme ça, une population qui s’infiltre, tu peux la retrouver dans ta poubelle, dans ta baignoire, ici en train de casser une voiture, là en train d’en voler une. Je me demande si c’est pas lié au fait qu’on les voit comme n’ayant pas de lieu fixe, généralement parce qu’on les vire de partout : puisqu’ils sont nulle part, ils peuvent être partout. En fait, vous en saviez rien s’ils venaient du camp ou pas. Dans la cité Truillot (à côté du camp), on va pas expulser tout un immeuble parce qu’on pense qu’il y a un voleur. Vous trouveriez pas ça incroyable, de punir tout le monde pour une faute qu’aurait commise une personne ? C’est ça aussi le racisme : généraliser à partir d’un cas particulier. Jérémie, tu es allé voir les Roms dans le camp avec un copain. Personne d’autre n’a voulu venir ?

Jérémie : Les autres copains disaient « Vous êtes fous, ils vont vous kidnapper ».

Sylvie : Est-ce qu’il y a du racisme en général, dans votre collège ?

Sébastien : Pour eux, c’est pas être raciste de les insulter.

Jérémie : On est allé faire du sport dans le gymnase où étaient les Roms et ils disaient « Ça pue les gitans ».

Sylvie : C’est curieux, comme s’il y avait une espèce d’unité, tout le monde contre les Roms. Pourtant, dans votre collège, il y a toutes sortes de gens, vous êtes habitués à vivre ensemble. Pourquoi ils détestent spécialement les gitans ?

Sébastien : Il y en a, chez eux c’est tout petit, et il y en a d’autres qui ont une plus grande maison, et ils leur disent « T’as une toute petite maison » et tout ça. Du coup, je pense qu’ils se vengent un peu sur ceux qu’ont même pas de maison.
Ils les insultent et ils ont peur des Roms en même temps. Ils disent qu’ils vont les taper.

Laurent : Si des enfants s’expriment comme ça, c’est aussi parce que derrière il y a des adultes. Ça me rappelle mon enfance, les romanichels, comme disaient les gens, quand ils arrivaient dans le village, toutes les portes se fermaient, tout ce qui traînait dans les jardins était rangé, c’était la parano totale. Ça me fait penser à ces réflexes d’identités nationales auxquelles adhèrent parfois les nations. Quand il y a un ennemi commun, les différences vont s’évanouir, au moins pendant un temps, pour créer un phénomène d’unité ; et là, ce phénomène d’unité se fait sur des gens qui sont les étrangers, parce que, dans une ville où on est déjà habitué à vivre ensemble entre communautés différentes, il y a une autre communauté qui s’est faite par-dessus, celle des gens qui sont là qui vivent ensemble plus ou moins bien ; et l’étranger arrive et va cristalliser sur lui un rejet avec parfois des mots utilisés particulièrement violents.

Sylvie : Dans la littérature populaire, les gitans sont des kidnappeurs, et en général ça intervient dans une histoire où un petit bébé de haute lignée a été volé par une gitane. Elles kidnappent les enfants, ils oublient toutes leurs origines, et on les retrouve plus tard grâce à une tâche de naissance ou les habits de bébé que reconnaissent les véritables parents. Est-ce que vous avez déjà vu des films ou des bandes dessinées où on voit des gitans ?

Sébastien : En classe. on nous a montré un petit extrait de film. Une sorte de bidonville. Comme toilette, ils avaient une sorte de toute petite cabine, et comme il n’y avait pas beaucoup d’hygiène, il y avait plein de maladies.

Sylvie : Les Roms sont obligatoirement associés à l’idée de misère et de manque d’hygiène.

Laurent : Il est intéressant toujours de comprendre la culture des gens avec qui on vit ; mais je connais aussi des gens qui lisent des tonnes de bouquins sur les cultures du monde et quand un camp de Roms se met en face de chez eux, ils commencent à penser que, quand même, ça va déprécier le prix du mètre carré, qu’il y a peut-être des solutions humanitaires, oui, mais plus loin si c’est possible. C’est une question de justice : sans même ne rien savoir de la culture, de l’origine ou de l’histoire des gens qui sont là, la situation qui leur est faite est insupportable, et rien que ça c’est une bonne raison pour les soutenir en prenant part à leur lutte.

Sylvie : Sébastien, est-ce que tu as essayé de convaincre tes copains que c’était pas vrai qu’ils kidnappaient, qu’ils avaient pas de fusil, qu’ils volaient pas les voitures, que c’est pas eux qu’avaient jeté les cailloux ?

Sébastien : Au début, ils m’ont écouté. Il y en avait d’autres qui disaient « Arrêtez ça se fait pas » ; mais il y en avait plus contre les Roms, du coup ils écoutaient plutôt ceux-là.

Sylvie : T’as essayé, toi, Jérémie ?

Jérémie : Ils te disent que t’es comme les gitans si tu les défends, ils nous traitent de clochards.

Laurent : On le voit, prendre position pour les Roms, ça peut vouloir dire de la part d’autres enfants ou adolescents être exclu d’une communauté à laquelle on veut à tout prix rester attaché. C’est un phénomène qui touche aussi les adultes, on peut voir la même chose parfois dans des milieux politiques, associatifs ou autres : si quelqu’un est menacé d’exclusion, il va pas avoir du soutien et de la solidarité, au contraire, toute la communauté va se resserrer contre lui pour être préservés eux-mêmes de l’opprobre, de l’assimilation, ou de l’exclusion. Devant une situation qui nécessiterait de la détermination, du courage, de l’affirmation de ce qu’on pense vraiment, on va capituler, faire front commun avec d’autres pour ne pas être à son tour exclus du groupe. C’est aussi comme ça que se développe le racisme.

Francis : Je discutais du camp de Roms avec une copine, d’abord assez compatissante, mais après elle me dit qu’ils pourraient quand même faire un effort pour essayer de « s’intégrer ».

Sylvie : Moi je cherche pas beaucoup à m’intégrer, je te le dis tout net. C’est d’autant plus odieux, que s’intégrer, d’une certaine manière, avoir un endroit où se mettre avec leur famille et qui soit un peu décent, trouver un travail, ils demandent que ça. (D’ailleurs, je refais un appel pour une machine à coudre, parce qu’il y avait une jeune femme qui faisait des travaux de couture avant que leur camp brûle.)

Nicolas : Ils ont légalement l’impossibilité de travailler, même s’ils ont un titre de séjour provisoire c’est souvent sans possibilité de travail ; donc là aussi on leur reproche quelque chose qu’on les empêche de faire.

Francis : L’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris, propriétaire du terrain) a essayé d’accélérer la procédure pour l’expulsion ; mais les Roms ont gagné le procès pour vice de procédure.

Sylvie : Normalement, ça prend plus de temps que ça, mais ils étaient tellement pressés de les virer d’un terrain où il n’y a que de la bouillasse, depuis des années, mais tout d’un coup ça devient très très urgent, il leur faut absolument récupérer ce terrain. L’avocat de l’AP-HP était immonde. À un moment donné, il dit : « J’ai de la compassion pour ces personnes, donc je ne parlerai pas des nombreuses pétitions des voisins qui n’en peuvent plus », etc., il a bien insisté. Il y avait aussi dans les pièces à charge un témoignage d’un employé de l’hôpital qui avait vu un couple secouer la porte du service dentaire (jusqu’à à côté du terrain où sont les Roms) parce que le cabinet dentaire était fermé, et normalement il est ouvert. Il s’est dit que c’était deux personnes qui essayaient de fracturer la porte et, comme la femme était voilée à la musulmane, il en avait déduit qu’ils venaient du camp de Roms ; or ils sont catholiques. On a quand même l’impression que ce racisme là écrase tous les autres, parce qu’on est quand même à Ivry, où c’est pas une ville où on ne croise jamais de musulmans, donc quand tu croises un musulman tu te dis pas voilà quelqu’un du camp de Roms, c’est curieux comme idée. Même s’il y avait eu des musulmans sur le camp, pourquoi imaginer que cette femme en venait ? Tout comme les enfants qui imaginaient qu’un gosse qui casse une voiture vient du camp. D’habitude, c’était les enfants de la cité Gagarine qui étaient dans le collimateur de la cité Truilliot, qui est classe moyenne-inférieure on va dire. On aurait vu un gosse casser une voiture, forcément, même si on le connaît pas, il vient de la cité Gagarine. Depuis qu’il y a les Roms, il vient forcément du camp. C’est fou.