Se battre pour l’accès à la contraception et à l’IVG

mis en ligne le 10 février 2011
Quarante ans après les premières luttes pour la libération des femmes, ces dernières, et surtout les plus jeunes d’entre elles, en ont marre de devoir galérer pour trouver de l’information sur l’éducation sexuelle, la contraception et de se cacher de leurs familles pour avoir le droit de choisir si elles veulent ou non garder un enfant. Retour sur l’histoire et perspectives des luttes.

Un peu d’histoire moderne : le MLAC
C’est en 1970, peu après mai 68, que le Mouvement de libération des femmes (MLF) commence à mener des actions spectaculaires pour dénoncer l’oppression des femmes et revendiquer, entre autres, le droit à l’avortement. Le 5 avril 1971, 343 femmes, célèbres ou anonymes, signent un manifeste (dit le « Manifeste des 343 salopes »), dans lequel elles affirment avoir avorté, et donc avoir enfreint l’article 317 du Code pénal de 1810, et revendiquent la liberté de l’avortement. Certaines des signataires payeront très cher leur engagement. Naturellement pas les artistes ou les femmes écrivains, mais les intérimaires de l’enseignement ou des administrations, qui se voient brutalement renvoyées après la publication du manifeste.
Après le procès pour avoir enfreint la loi et avortement de Marie-Claire à Bobigny en 1972, 331 médecins, issus du Groupe d’information santé (GIS) signent également un manifeste le 3 février 1973, dans lequel ils déclarent pratiquer des avortements. Ces deux manifestes et les réactions qu’ils génèrent aboutiront à la création du Mouvement pour la libération de l’avortement et de la contraception (MLAC). Il rassemble des féministes, le GIS, le Mouvement français pour le planning familial, l’Alliance marxiste révolutionnaire, la Ligue communiste (qui ne s’appelait pas encore Ligue communiste révolutionnaire), Révolution, Lutte ouvrière, le PSU, la CFDT, mais aussi des individus « non organisés ». Son originalité est d’être un mouvement mixte, mais surtout de pratiquer deux actes illégaux : des avortements sur place par la méthode Karman et des départs collectifs pour avorter à l’étranger, voyages considérés comme des actes militants et publics. En été 1974, le MLAC, qui compte 400 comités et 15 000 adhérentes recensées, organise une caravane itinérante (avec des arrêts dans divers lieux de lutte, comme à Romans, chez les Lip à Besançon et sur le plateau du Larzac). Des comités sont fondés dans des hôpitaux parisiens (à Broussais ou à Saint-Louis), d’autres dans des entreprises, issus de sections syndicales, souvent très féminisées, comme aux chèques postaux ou dans les banques. Des comités sont également créés dans des universités et même des lycées.

Un exemple à suivre
La loi est donc ouvertement bafouée. Après les manifestations qui ont suivi l’inculpation d’Annie Ferrey-Martin, médecin à Grenoble, pour avoir pratiqué un avortement, le planning familial grenoblois ouvre publiquement en avril 1974 un centre où il pratiquera des avortements. L’illégalisme du MLAC amènera à deux prises de position différentes. Certains militants mettent en avant l’objectif politique du mouvement, tandis que d’autres s’interrogent sur la place des non-médecins dans la pratique des avortements et sur la nécessité d’une loi. Si une autre association, « Choisir », présidée par Gisèle Halimi, revendique une loi légalisant l’avortement, le MLAC, pour sa part, redoute en effet l’encadrement par les pouvoirs publics qu’impliquera effectivement la loi.
La résultante de cet acte de désobéissance publique est que ces transgressions ouvertes et répétées de la loi la rendent obsolète et Giscard d’Estaing est bien obligé de céder à la pression populaire. Il confie le dossier à Simone Veil, ministre de la Santé. Elle défendra son projet de loi devant une Assemblée nationale déchaînée, essuyant des propos antisémites. Cependant, la loi est promulguée en 1975 ; elle légalise l’avortement sans le reconnaître comme un droit, loin de là (pas de remboursement par la Sécurité sociale, entretien préalable, limitation à dix semaines). Il faudra attendre 1979 pour que cette loi soit rendue définitive, après de nombreuses manifestations de rue. Mais ensuite, commence un autre combat : faire appliquer la loi, ce que refusent certains hôpitaux (comme Cochin).

Des avancées…
En 1982, la loi Roudy permet le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale. En 1988, un arrêté légalise la distribution la pilule abortive, le RU 486. En 1999, le Norlevo, médicament permettant une contraception d’urgence, appelé aussi « pilule du lendemain » est en vente libre dans les pharmacies. En mars 2001, dans les collèges et les lycées, les infirmières scolaires sont autorisées à délivrer le Norlevo. Enfin, le 4 juillet 2001, la loi Aubry dépénalise l’avortement, porte de dix à douze semaines le délai légal de l’IVG, supprime l’autorisation parentale pour les mineures, rend facultatif l’entretien pré-IVG pour les femmes majeures et autorise la prescription de la pilule RU 486 par les médecins de ville. La loi élimine également la restriction de la loi de 1975 : l’IVG était seulement autorisée pour les femmes pour qui la grossesse les « plaçait dans une situation de détresse ». En 2002, les pharmaciens doivent distribuer gratuitement la pilule du lendemain aux mineures. En 2004, l’IVG médicamenteuse est autorisée chez les gynécologues et certains médecins généralistes pour les grossesses inférieures à cinq semaines. Un décret organise aussi l’avortement à domicile (certaines associations féministes déplorent cependant les conditions dans lesquelles ils sont pratiqués, sans assistance médicale et psychologique). Enfin, en 2009, le planning familial est autorisé à pratiquer des IVG médicamenteuses.

Et des reculs !
Ces avancées pourraient nous faire penser que l’histoire va dans le bon sens. Malheureusement, si les centres du planning familial sont autorisés à pratiquer les IVG médicamenteuses, il faut bien souligner que faute de subventions, la plupart de ces derniers sont acculés et obligés de fermer leurs portes. Plusieurs d’entre eux ont essayé de résister à cette forme financière de déni du droit de choisir. De surcroît, plus les avancées légales ont vu le jour, plus la résistance des associations anti-IVG s’est renforcée, souvent soutenue par des lobbies politiques. On a même vu en 2003 un député UMP voulant réinstituer un « délit d’interruption involontaire de grossesse » dans la législation. Il est vrai que les mouvements pro-vie (ou anti-IVG) sont nés de l’opposition à la loi Veil. Catholiques intégristes, d’extrême droite ou bien réactionnaires de tous bords réclament depuis cette époque l’abolition du droit à l’avortement et se posent en défenseurs des embryons et des fœtus. Depuis trente-cinq ans, leurs commandos, menés par les associations SOS tout-petits et consorts, tentent de culpabiliser les femmes qui viennent chercher de l’aide pour avorter dans les cliniques, les centres IVG et du planning familial. À l’image de leurs cousins américains, on les a même vus s’enchaîner pour tenter d’empêcher des avortements.

Cathos et fachos intégristes main dans la main

Tous les ans, ils organisent à Paris une « Marche pour la vie » (voir dessin) entre la place de la République et l’Opéra. S’y réunissent les cathos intégristes et leurs amis d’extrême droite venus de toute la France et d’Europe (surtout des pays à forte majorité anti-IVG : Pologne, Irlande, Portugal, etc.). Les slogans inscrits sur leurs banderoles sont sans équivoque, tandis que certains défilent (comble du mauvais gout) le cou entouré de colliers de fœtus en plastique et sanguinolents… Ils ne manifestent pas seulement pour défendre des embryons, ils perpétuent ainsi la défense du modèle familial blanc, hétérosexuel, patriarcal, celui qui a toute sa place dans le système capitaliste, vecteur d’oppression pour toutes celles qui tentent de s’en libérer ou qui en sont exclues. Cette année, début janvier, ils jubilaient : pour la première fois, le pape soutenait la marche et ce, officiellement ! Act-UP Paris a tout de même réussi le pari de maintenir sur le parcours une banderole sur laquelle était écrit « Des berceaux pour les trans et les homos » (bravo à eux). Une petite soixantaine de militants pro-IVG ont tenté d’haranguer les manifestants à l’arrivée, mais bien évidemment, ce sont eux qui se sont fait embarquer par les flics venus en force, tandis que les anti-IVG hurlaient leurs prières sans vergogne, sous protection policière et préfectorale et ce, dans un pays qui aime se déclarer haut et fort « laïc » (c’est pourquoi nous préférons le terme plus franc et moins ambigu d’athée).

Du recours à la légalité à la lutte sur le terrain

Devant la déferlante des associations anti-IVG et le peu de réactions (de guerre lasse ?) des organisations politiques, le planning familial, les avocats de la Coordination des associations pour le droit à l’avortement (Cadac) et l’Association nationale des centres d’IVG se remettent à interpeller les autorités, afin que ces dernières fassent mieux appliquer les lois sur l’éducation sexuelle et l’IVG. Ces associations se fondent sur un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) d’octobre 2009 constatant une « application partielle et inégale » des lois sur l’IVG. Les associations dénoncent notamment la non-application de la loi du 4 juillet 2001 rendant obligatoires une information et une éducation à la sexualité dans les établissements scolaires du primaire au secondaire. Le droit des jeunes à un accès gratuit, confidentiel et autonome à la contraception « leur est tout simplement dénié », soulignent les avocats de la Cadac. De plus, l’accès à l’IGV est inégal sur l’ensemble du territoire, notamment en raison du désengagement du secteur privé car l’acte est manifestement « sous-tarifé » puisqu’il est payé au forfait 356 euros, contre 600 euros pour une fausse couche spontanée.
Pire : selon le rapport de l’Igas, le nombre d’établissements réalisant des IVG a diminué, passant de 729 en 2000 à 639 en 2006 sur l’ensemble du territoire français. Les fermetures de petits services se sont accentuées depuis, ce qui restreint d’autant l’accès à l’avortement, notamment en Ile-de-France (124 en 2006 contre 176 en 1999) et en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Chaque année, la France comptabilise environ 200 000 avortements pour 800 000 naissances, « mais il y a toujours 3 000 à 4 000 femmes qui se font avorter à l’étranger faute de pouvoir le faire ici », regrette le planning familial. Mais nous, anarchistes, savons que passer par la légalité ne sert à rien (ou si peu). C’est pourquoi nous devons défendre bec et ongles les quelques miettes que les politiques nous ont accordées, mais ne l’oublions jamais au prix de nos luttes, toujours à renouveler. Nous ne lâcherons rien, nous reprendrons tout, la réouverture du centre IVG de l’hôpital Tenon à Paris en est le premier exemple, continuons le combat !

Petite note d’optimisme : la réouverture du centre IVG à Tenon
En effet, achevons ce triste constat de ces reculs par une petite touche d’espoir. Grâce à la mobilisation des habitants du XXe arrondissement de Paris, des associations, organisations syndicales et politiques, le centre IVG de l’hôpital Tenon a rouvert ses portes. Il aura fallu deux occupations de la maternité, des manifestations devant l’AP-HP pour obtenir ce résultat. Seule la lutte paye !