Après les retraites, l’AME !

mis en ligne le 11 novembre 2010
Les associations s’en doutaient et le redoutaient, les députés l’ont fait. Dans le cadre de l’examen des crédits de santé dans le projet de loi de finances 2011, ils viennent de restreindre l’accès à l’aide médicale d’État (AME), instaurant notamment un droit d’entrée de 30 euros. Et ceci, tout juste après avoir restreint, en première lecture, les possibilités de régularisation des personnes atteintes de pathologies graves, dans le projet de loi Besson sur l’immigration. Comment ne pas voir dans ces deux mesures successives un appel du pied aux électeurs français les plus racistes et les plus xénophobes ? En effet, ces mesures touchent avant tout les étrangers malades, attaqués par et sur tous les fronts « nationaux ». L’AME est destinée à une population précaire, qui n’accède pas à des soins coordonnés, qui est mal prise en compte dans les stratégies de prévention et qui subit donc de plein fouet tout ce qui concourt à augmenter les inégalités de santé : les freins administratifs et financiers, l’inaccessibilité ou le refus de soins, le barrage de la langue, la mauvaise alimentation et la pénurie de logements sains.
Ces deux mesures ont été adoptées, avant même que ne soient rendues, fin novembre, les conclusions d’un rapport pourtant commandé par le gouvernement aux Inspections générales des finances et des affaires sociales. Pour rappel, l’AME a été créée en 2000 et offre une couverture médicale gratuite aux étrangers en situation irrégulière, dont les revenus sont inférieurs à 634 euros par mois. En effet, les populations migrantes et étrangères ont un risque sanitaire accru, particulièrement pendant les périodes de séjour irrégulier, comme le montre l’augmentation en 2009 des dépenses de l’AME consacrées aux maladies chroniques et infectieuses. 215 000 personnes en bénéficiaient fin 2009, pour un coût de 540 millions d’euros, selon le ministère de la Santé. Ce dispositif permet une prise en charge à 100 % du tarif de la Sécurité sociale, sans avances de frais, des soins de maladie et de maternité, ainsi que du forfait hospitalier.
Or, depuis sa création et malgré son moindre coût, face au trou de la sécu, les députés de droite n’ont de cesse de marteler que sa charge serait « exponentielle » et qu’il serait une source « d’abus ». Un thème cher et récurrent à l’extrême droite. Pourtant, l’instruction et la gestion de l’AME sont régulièrement vérifiées par les services de l’état : Inspection générale des affaires sociales, Inspection générale des finances et Groupe de lutte contre les fraudes du ministère des Finances. Seules les caisses primaires d’assurance-maladie peuvent l’accorder, avec des procédures et contrôles stricts. Les rumeurs régulières de fraude à l’AME n’ont jamais été étayées par aucune enquête ou évaluation, contrairement aux difficultés d’accès qui constituent le quotidien des personnes concernées et des associations qui leur viennent en aide.

Les associations d’aide aux étrangers, effarées
D’ailleurs, la crainte partagée par l’ensemble des associations d’aide aux étrangers, regroupées dans l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE), est que la pauvreté des bénéficiaires est telle que la mesure « risque de retarder leur prise en charge, en faisant passer la prévention et le suivi médical au second plan. Ces personnes sont, par définition, celles qui ont les plus grandes difficultés à faire face aux dépenses quotidiennes, en priorité le logement et la nourriture, pour elles et leur famille. En cas de maladie, elles attendront le plus longtemps possible avant de se faire soigner, se rendant aux urgences, déjà surchargées, plutôt que dans les centres de soins ou chez un médecin de ville. Au risque de compromettre l’efficacité du traitement, de coûter plus cher à la collectivité et de favoriser le développement de pathologies contagieuses ».
Selon l’ODSE, le surcoût entraîné par les retards de prise en charge, ainsi que les frais de fonctionnement pour collecter cette somme « réduiront à néant les bénéfices escomptés de l’ordre de 6 millions d’euros ». En effet, que pèsent les 540 millions de l’AME par rapport aux 160 milliards de dépenses de l’assurance-maladie ? De plus, la limitation de l’AME à des situations d’urgence et l’exclusion de la médecine de ville et des soins de premier recours ne feraient que renforcer le recours tardif au système hospitalier, plus coûteux. Bachelot a même eu le culot d’admettre durant le débat que « plus une pathologie est diagnostiquée tardivement, plus sa prise en charge est coûteuse ». On ne lui fait pas dire ! Mais alors pourquoi n’a-t-elle pas appliqué ce raisonnement au moment de l’imposition d’une taxe forfaitaire, elle qui a également reconnu au début des débats « qu’il était excessif de parler d’une dérive financière » de l’AME ? Est-elle si peu crédible aux yeux de ses collègues députés ? Pourtant, l’augmentation des dépenses (+ 13 % entre 2008 et 2009) s’explique très bien et par différents facteurs n’ayant rien à voir avec une supposée propension des sans-papiers à la fraude. L’ODSE cite entre autre : « Le passage de nombreux ressortissants de l’Union européenne de la CMU à l’AME, les entraves et les refus de régularisation par les préfectures d’étrangers gravement malades qui ont pour effet de reporter sur l’AME des frais d’hospitalisation qui devraient être pris en charge par l’assurance-maladie, l’augmentation du prix des actes par les hôpitaux, imposée par la réforme dite de la « tarification à l’acte » (T2A) ou encore, le fait que les pathologies graves sont surreprésentées parmi les bénéficiaires de l’AME. »

Bonjour la solidarité !
Mais encore pire : malgré la fausse naïveté de la ministre, d’autres amendements votés prévoient de restreindre la qualité d’ayants droit des bénéficiaires aux seuls conjoints et enfants (et non plus aux ascendants et collatéraux), d’autoriser l’assurance-maladie à vérifier que le bénéficiaire de l’aide réside toujours en France et de permettre aux directeurs des caisses de récupérer les sommes indûment versées. Bonjour la solidarité ! Une solidarité qui, en matière de retraites ou de mutualisation des frais de santé, donne de gros boutons aux députés. Pourtant, si l’on prend tous les facteurs cités plus haut, que coûterait un accès continu à des soins cohérents et adaptés pour l’ensemble de la population vivant en France sous le seuil de pauvreté, soit 13 % de la population française ? De plus, la médecine doit-elle accepter de mettre des limites à la solidarité, alors qu’en théorie, la déontologie médicale n’en admet aucune ? Le droit à la santé ne peut être lié à la régularité du séjour. L’AME, la CMU, la CMU-complémentaire et l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé participent de cette philosophie. Ces dispositifs doivent être renforcés et défendus pour faciliter l’accès aux soins aux pauvres et aux plus malades et ceci, sans discrimination. La Fédération anarchiste est naturellement solidaire !


NB : un e-zap « Ne laissons pas Roselyne Bachelot-Narquin sacrifier la santé des étrangers à l’idéologie xénophobe de son parti » est disponible sur le site actupparis.org, avec une pétition et les adresses en ligne.