Potage gras pour les riches et soupe maigre pour les autres

mis en ligne le 15 octobre 2009
La présentation du budget 2010 à l’Assemblée nationale le 29 septembre par Éric Woerth et Christine Lagarde a fourni à ces deux pitres l’occasion de se livrer à une nouvelle opération d’enfumage des esprits.
La « philosophie » contenue dans la prestation des deux sinistres consistait à faire passer le message suivant : certes, l’heure est grave, mais nous vous promettons que dès 2010 le bateau France ne tanguera plus.
Nos duettistes nous somment d’applaudir un « budget de sortie de crise », budget à même de provoquer un « choc de compétitivité ».
Ayant abondamment touillé le marc de café, les deux menteurs affirment que la croissance devrait atteindre 0,75 % en 2010 (pour mémoire, une chute de 2,25 % est le scénario le plus probable pour l’année en cours).
Invitons les chiffres à parler. Selon les deux pythies, le déficit public devrait tutoyer les 116 milliards d’euros (8 % du PIB). Notons qu’il avoisinera les 141 milliards en 2009. La dette publique atteint déjà plus de 1 428 milliards d’euros (74 % du PIB) mais elle est appelée à croître encore. Voilà qui fera un excellent argument pour mieux entonner le discours sur « les sacrifices nécessaires si on ne veut pas plomber l’avenir de nos enfants », n’en doutons pas.
Toujours concernant la dette (prolifique mamelle qui nourrit les marchés et donc les spéculateurs et rentiers de tous poils), la France paiera 42,4 milliards d’euros d’intérêts en 2010. Par comparaison, l’impôt sur les sociétés devrait rapporter entre 28,2 et 35,3 milliards d’euros, contre une cinquantaine en 2008.
La moitié des dépenses publiques n’est pas financée par des recettes mais par la dette publique (État, Sécurité sociale et collectivités locales).
In fine, le total des recettes atteindrait 267,2 milliards d’euros, dont 252,3 issus des impôts, selon le dégroupage qui suit. Les recettes de TVA alimenteraient les caisses à hauteur de 126 milliards d’euros. Pour sa part, l’impôt sur le revenu générerait entre 50 et 51,3 milliards de recette. Rajoutons encore la taxe carbone pour un montant de 4,5 milliards d’euros (1,9 milliard supporté par les entreprises et 2,6 milliards par les ménages) et, après avoir pris soin de ne pas omettre la Tipp, le tableau est à peu près complet.
Ces chiffres vous filent la migraine ? Alors passons sur le champ à leur analyse qualitative. Loin de favoriser les conditions d’un véritable redémarrage de l’économie, le budget 2010, lui, fait un pied de nez en ce qu’il vise essentiellement à soutenir les profits contre l’emploi, les salaires, l’amélioration des conditions de travail, la formation, etc.
Disons le crûment, avec une intensité au moins égale à celle qui prévalait dans les budgets précédents, le monde du travail est sacrifié au profit des entreprises et des riches.
En effet, les entreprises économiseront 11,7 milliards de taxe professionnelle et continueront de bénéficier de 70 milliards d’aides de l’État, dont plus de 30 milliards d’exonérations de cotisations sociales.
Dernier exemple en date de cette politique, l’État a balancé 2,4 milliards d’euros aux restaurateurs. Depuis, les gâte-sauce n’en finissent plus de se poiler. Eh oui, les prix des menus n’ont quasiment pas bougé, les promesses d’embaucher 40 000 personnes ont réduit à la cuisson pour finir à 6 000 ; quant à la revalorisation des salaires, bernique.
Denis Clerc (journaliste à Alternatives économiques) est tout sauf un révolutionnaire. Pourtant, ceci ne l’empêche pas de formuler le diagnostic suivant : « En période de crise économique – et nous y sommes toujours –, l’objectif premier devrait être de tout faire pour que la société dans son ensemble souffre le moins possible et que la dépense publique atténue les décisions du secteur privé. Or le gouvernement s’apprête à réduire son effort, alors que nous n’aurons pas encore – et à conditions que tout se passe comme prévu – rattrapé le niveau d’activité de 2006. »
Réduire son effort ? En tout cas le gouvernement ne mollit pas dans son soutien aux riches. Deux petites « anecdotes » à ce sujet ? L’ensemble des niches fiscales pour les plus fortunés s’est élevé à 15,6 milliards d’euros en 2008, or le même traitement leur est réservé pour les temps à venir. Par ailleurs, 21 contribuables disposant d’un patrimoine moyen de 15,5 millions d’euros ont pu faire jouer le bouclier fiscal pour déclarer un revenu de 300 euros par mois.
Quant au « […] tout faire pour que la société dans son ensemble souffre le moins possible » de notre Clerc voyant, voici comment l’État s’y prend.
Le privé a enregistré 580 000 destructions d’emplois en 2009 et 190 000 autres sont prévues en 2010. Jaloux en diable, le gouvernement lui emboîte le pas. En vertu de la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, le budget 2010 verra la suppression de 33 754 postes en équivalent temps plein, dont 16 000 dans la seule Éducation nationale.
Tout choix économique résulte d’une vision politique précise, vision elle-même adossée à une idéologie globale. L’idéologie du libéralisme – forme contemporaine du capitalisme – en fournit un exemple frappant à travers les « items » du budget 2010. Concrètement, la feuille de route du gouvernement se caractérise plus que jamais par des génuflexions appuyées en direction du capital mais au détriment du plus gros du corps social, et plus particulièrement des seuls créateurs de richesses que sont les travailleurs.
Est-ce dire que ce désordre des choses est appelé à rester immuable ? C’est une autre affaire, car si les riches serrent fort entre leurs mains leurs grandes fourchettes, face à eux, les exclus des agapes – autrement plus nombreux – sont de plus en plus déterminés à préparer une vigoureuse autant que salutaire levée des fourches.