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par Aurélie le 2 juillet 2016

Entretien avec Turgut Gambar (activiste pro-démocratie)

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Peux-tu nous expliquer pourquoi les anarchistes Bayram Mammadov et Qiyas Ibrahimov ont été incarcérés le 10 mai 2016 ?
Tous les 10 mai nous fêtons la fête des fleurs en Azerbaïdjan pour l’anniversaire de l’ancien président Haydar Aliyev. Cette année Bayram et Qiyas ont fait des graffitis sur la statue d’Haydar Aliyev en signe de protestation. Le lendemain la police est arrivée chez eux et les ont arrêtés. La police a mis de la drogue sur eux pour avoir un sérieux motif d’incarcération. C’est très courant en Azerbaïdjan de placer des stupéfiants dans les affaires des activistes politiques pour pouvoir ensuite les accuser de trafic de drogue.

Quand est-ce que leur procès aura lieu ?
Leur procès aura lieu au minimum dans 4 mois, mais il sera peut-être repoussé de quelques mois, on ne sait pas.

Combien y a-t-il de prisonniers politiques en Azerbaïdjan ?
Il y a 80 prisonniers politiques en Azerbaïdjan actuellement. Ils sont des activistes visant la démocratisation du pays mais si on veut parler uniquement des activistes anarchistes, alors ils sont les deux premiers à aller en prison.

Peux-tu nous parler de l’histoire du mouvement anarchiste en Azerbaïdjan ? Est-ce un mouvement récent ?
Il est difficile de parler d’une histoire du « mouvement » anarchiste en Azerbaïdjan car il n’y a pas de mouvement. Il n’y a jamais eu d’organisation anarchiste par exemple. Les anarchistes en Azerbaïdjan se revendiquent comme anarchistes individuellement mais ils ne militent pas de manière organisée pour créer une société anarchiste en Azerbaïdjan. Ce n’est pas comme en Turquie ou ils ont désormais une réelle tradition anarchiste. Ils militent aux côtés d’activistes d’autres couleurs politiques afin de démocratiser la société. Par exemple, Bayram Mammadov fait partie de l’organisation de demande de droits civiques NIDA alors que Qiyas Ibrahimov ne fait partie d’aucune organisation. Le mouvement pro-démocratique en Azerbaïdjan regroupe un panel d’activistes d’opinions politiques différentes. Cela va des anarchistes aux libéraux en passant par les conservateurs.

Combien y-a-t-il d’activistes pro démocratie en Azerbaïdjan ?
C’est difficile à dire car beaucoup d’activistes ne font pas d’action de rue. Je dirais que seulement quelques centaines d’activistes font des actions de rue mais que plusieurs milliers d’activistes expriment leur opinion sur internet. De plus, la majorité des habitants du pays sont mécontents de la situation de l’Azerbaïdjan.

Peux-tu nous parler de la situation politique et économique du pays ?
Politiquement l’Azerbaïdjan est un régime répressif qui ne tolère aucun mouvement d’opposition. Il y a d’importants problèmes de corruption et les élections sont truquées. De plus, tous les médias sont sous le contrôle de l’État, mis à part certains petits sites internet qui proposent une vision alternative. On peut affirmer que le régime politique azerbaïdjanais est un régime autoritaire.
Économiquement l’Azerbaïdjan dépend principalement du pétrole. C’est un pays pétrolier qui ne produit pas grand chose d’autre. En 2014, avec la baisse du prix du pétrole, l’économie azerbaïdjanaise a chuté et nous vivons actuellement un réelle crise économique. Beaucoup de gens sont donc sans emploi et la situation économique est très difficile pour eux.

Tu disais que la majorité de la population était mécontente de la situation actuelle. Crois-tu qu’elle est surtout mécontente de la situation économique ou politique ?
Il est difficile de séparer la situation économique de la situation politique car en Azerbaïdjan la libre entreprise n’existe pas, tout dépend de l’État et c’est pour cette raison que les gens peinent à trouver un emploi. Le mécontentement de la population est palpable dans la rue. Lorsque je marche et que je vois les visages des passants je sens qu’ils ne vont pas bien, qu’ils ne sont pas satisfaits. Ils en ont marre de la corruption qui mine le pays.

Est-ce difficile pour les activistes de trouver un emploi ?
Il est difficile pour tout le monde de trouver un emploi ! Mais pour les activistes, oui, c’est encore beaucoup plus difficile que pour les autres. Si un employeur apprend que quelqu’un est activiste il préférera généralement ne pas l’employer. Il y a pourtant des exceptions. Certains de mes amis ont un emploi ou comme moi, se mettent à leur compte et tentent de commercialiser leurs services sur internet.

Un activiste azerbaïdjanais, Amin Hüseinov, a passé plusieurs mois dans l’ambassade de Suisse de Bakou avant que l’État ne lui permette de fuir l’Azerbaïdjan pour la Suisse. Est-ce que Bayram Mammadov et Qiyas Ibrahimov étaient de ses amis ?
Je ne pense pas qu’ils se connaissaient car ils n’ont pas le même âge. Amin a au moins 30 ans alors que Bayram et Qiyas ont 20 ou 21 ans. Ce sont de nouveaux activistes.

Est-ce que le gouvernement surveille aussi internet ?
En fait, il est impossible de surveiller ce que tout le monde publie sur internet. De manière générale les activistes pro démocratie qui sont en prison le sont parce qu’ils ont exprimé leur opinion dans la rue, ce qui est absolument interdit. Mais certains d’entre eux le sont aussi parce qu’ils ont critiqué le président Ilham Aliev et sa famille sur Facebook. En fait il y a une ligne rouge à ne pas dépasser sur le web, cette ligne rouge est de critiquer le président et ses proches.

Quel genre de méthode d’action les activistes pro-démocratie utilisent-ils ?
Ils utilisent toutes sortes de méthodes telles que les actions et manifestations de rue, les campagnes sur internet, la réalisation de vidéos ou de courts-métrages, l’organisation d’événements pédagogiques etc.

Peut-tu faire le profile des sympathisants de chaque courant pro-démocratie ? S’agit-il d’un mouvement générationnel (n’y a-t-il que des jeunes ou aussi des activistes plus âgés qui ont connus l’époque soviétique ?)

La première vague d’activistes est apparue en Azerbaïdjan en 1988 puis le mouvement nationaliste lui a succédé en 1991. Il y a encore beaucoup de gens qui sont actifs politiquement depuis cette époque-là. Mais beaucoup de jeunes ont aussi commencé à rejoindre le processus politique, en particulier après 2011.

Y a-t-il des luttes de pouvoir internes au sein du gouvernement ?
Il y a un certain nombre de ministres-oligarques qui luttent les uns contre les autres pour avoir plus de pouvoir au sein du système, mais ces luttes ne sont pour l’instant pas assez importantes pour déstabiliser le régime.

Toi-même tu as accepté de répondre à cette interview en donnant ton vrai nom et en montrant ton visage. N’est-ce pas dangereux pour toi ?
En fait, je suis déjà connu comme activiste donc je ne me préoccupe plus de rester anonyme.
PAR : Aurélie
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