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par Christian, groupe Gaston Couté le 18 mars 2018

Compositrices !

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Article extrait du « Monde libertaire » n° 1791 de janvier 2018
Pour Éveline Andréani

Casse-rôles. J’ai appris récemment la naissance de ce drôle de titre, bien utile et bien trouvé. Comme musicien j’ai immédiatement songé que j’avais déjà œuvré, en vain me semble-t-il, pour casser une rupture « genrée » dit-on. Dans notre monde, on peut, un peu, dire que des femmes ont pu être écrivaines, sculptrices, peintres, que sais-je ? Difficilement tout de même… Mais il reste presque impossible de « prétendre » que des femmes ont pu être compositrices ! Pour preuve, une petite histoire. J’étais en cours. J’enseigne la musique ancienne au Conservatoire de Montargis depuis... longtemps. On frappe à ma porte et une dame s’exclame, à peine entrée : « Mais enfin, y a-t-il eu des femmes compositeurs ? » Elle sortait d’un cours de solfège où l’on enseignait, péremptoire, aux étudiants la sempiternelle bêtise : il n’y a jamais eu de femmes compositeurs ! Après coup, je suis heureux que cette personne ait pensé à moi pour me faire part de son désarroi face à cette affirmation qui semblait la choquer. Je lui ai répondu, un peu abasourdi : « Euh, bien sûr ! » Et de lui citer les noms de toutes les compositrices qui me venaient en tête. Pas toutes car le New Grove Dictionary of Women Composers fait plus de 500 pages... J’ai eu la chance d’avoir Eveline Andréani comme professeur d’harmonie. Elle est une des quatre femmes à avoir obtenu le Prix de Rome de composition. Le compositeur français Hector Berlioz a concouru plusieurs fois pour ce prix, qu’il a fini par remporter en 1830. Durant mes études, j’avais rencontré beaucoup de femmes compositeurs (compositrices ?) pour le XXe siècle telles que Nadia Boulanger, si importante pour la formation de tant de compositeurs (le chef d’orchestre John Eliot Gardiner disait qu’il allait à « la boulangerie »). Sa sœur Lili, morte trop jeune fut une très grande compositrice. Mais c’est en tant que spécialiste de la musique ancienne que j’ai décidé, à la suite de cet épisode un peu bizarre, de mettre autant que je le pouvais des femmes compositrices au programme de mes concerts (ebmontargis.com). Pour briser ce mythe. Sur mon site, chacun pourra le voir. Des années de pratique et de bien belles musiques. Combien de fois ai-je pleuré en jouant Barbara Strozzi (1619-1677) ? Justement, j’ai demandé à ce qu’une des salles où j’enseigne porte son nom. Ce qui fut fait mais... Quel ne fut pas mon étonnement de voir le seul nom de Strozzi indiqué sur cette salle. L’habitude de ne voir que des noms masculins fait que l’on ne mentionne pas les prénoms. J’ai dû insister auprès de mes collègues du secrétariat, qui avaient agi de bonne foi, pour que l’on lise « Barbara Strozzi ». Une femme ! Y a-t-il une « ontologie » féminine, comme l’évoquait récemment un « philosophe populaire », qui explique qu’il n’y aurait pas de femmes compositeurs ? Un cerveau, ce ne sont que des neurones et des synapses. Que de cache-sexes pour masquer une bête évidence. Cette certitude bien faible ne recouvre rien d’autre qu’une grande violence opérée sur la moitié de l’espèce. Mais le pire siècle est bien le XIXe. Impossible de publier de la musique autrement que sous un nom masculin. Voir Clara Schumann. L’Ancien Régime, quant à lui, peu connu pour son respect pour tous les êtres humains, était bien moins machiste (et raciste), même si cela étonne. Élisabeth Claude Jacquet naquit et mourut à Paris dans une famille qui comptait déjà plusieurs musiciens. Très douée (surdouée du clavecin en fait), Élisabeth se fit entendre dès l’âge de 5 ans à la Cour de Louis XIV. Il fit immédiatement en sorte de l’intégrer dans son entourage. Même roturière, qu’importe ! Si l’on retire les salamalecs coutumiers à l’époque, qui ne sont pas réservés aux seules femmes, on ne peut qu’être touché par le texte qu’elle adressa à Louis XIV vieux : « Quel bonheur pour moi, Sire, si mon dernier travail recevait encore de Votre Majesté ce glorieux accueil dont j’ai joui moi-même presque dès le berceau, car, Sire, permettez-moi de vous le rappeler, vous n’avez pas dédaigné mon enfance : vous preniez plaisir à voir naître un talent que je vous consacrais ; et vous m’honoriez même alors de vos louanges, dont je ne connaissais pas encore tout le prix… » Le roi si féroce, moins « macho » que beaucoup de nos démocrates d’aujourd’hui ! J’ai eu la chance de jouer cette musique magnifique, bien que parfois périlleuse... Pour un concert de soutien à notre librairie Publico, nous avons eu le plaisir d’entendre, le 2 avril 2016, entre autres, Elisabeth Jacquet de La Guerre et Isabella Leonarda. Notre concert fut suivi d’un débat fécond sur les femmes dans la musique. Je tâcherai, pour notre « canard » de faire l’éloge de ces musiciennes magnifiques que j’ai eu la chance de rencontrer.
PAR : Christian, groupe Gaston Couté
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