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par Hélène Hernandez le 24 novembre 2019

Le non-Grenelle contre les violences conjugales

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Article extrait du Monde libertaire n°1810 d’octobre 2019
L’année 2019 risque de battre tous les records de féminicides en France. Début septembre, au moment de l’ouverture du Grenelle contre les violences conjugales, une centaine de femmes avaient été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint. Et bien sûr nous ne savons pas encore le nombre de femmes violentées pour qui le parcours de vie à venir sera entaché de séquelles physiques, sexuelles, psychologiques, économiques et avec des conséquences dramatiques pour l’avenir d’enfants qui auront eux et elles aussi à subir une ambiance de violences à la maison.
Mais pour Marlène Schiappa, le fait de rimer le rendez-vous d’ouverture du Grenelle, le 3 9 19 (3 septembre 2019) avec le 39 19, numéro d’appel national pour toute personne victime de violence, cela fait classe ! Et elle l’a répété ! Oui mais, depuis qu’elle a annoncé cette date en s’amusant, 27 femmes de plus sont mortes sous les coups de leur soi-disant bien-aimé. Il y a peu, les journalistes évoquaient les crimes passionnels, les meurtres de droit commun, les faits divers, voire « il se suicide après avoir tué sa femme » et c’est le « il » qui est important. Le vocabulaire a un peu changé mais pas les mentalités ni les actions des politiques.

Certains et certaines ne supportent pas le terme de « féminicide ». D’autres, dont je suis, ne tolèrent pas le meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme. Et les chiffres sont éloquents : les derniers en date, ceux de 2017 de la MIPROF (Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains) car nous disposerons des chiffres de 2018 en novembre prochain, identifient 176 mort.es au sein d’un couple ou ex-couple sur l’année, soit 130 femmes, 21 hommes (dont 11 auteurs de violences) et 25 enfants mineurs tués dans ce contexte de violence par un des parents. A cela s’ajoutent les chiffres des violences perpétrées par le conjoint ou l’ex-conjoint soit 219 000 femmes majeures et 94 000 femmes majeures déclarant avoir subi un viol ou une tentative de viol en dehors du couple. L’omerta pèse toujours sur les violences infligées aux enfants, filles et garçons.




Deux livres récents sont consacrés à la culture du viol par des autrices qui font œuvre salutaire : Une culture du viol à la française de Valérie Rey-Robert, ouvrage paru chez Libertalia en 2019, et En finir avec la culture du viol de Noémie Renard, essai édité par Les petits matins en 2018. Rappelons que l’expression culture du viol est une traduction littérale de l’expression anglaise rape culture, introduite par des féministes américaines dans les années 1970. Le terme fut employé pour la première fois dans l’ouvrage Rape : The First Sourcebook for Women publié aux États-Unis en 1974 par le groupe des New York Radical Feminists. En 1975, le documentaire américain Rape Culture popularise le terme. La culture du viol est la manière dont le viol est perçu et représenté dans l’imaginaire collectif. C’est donc un concept sociologique utilisé pour qualifier un ensemble de comportements et d’attitudes partagés au sein d’une société donnée : ils minimiseraient, normaliseraient voire encourageraient le viol. C’est aussi la manifestation du fait que les femmes sont considérées comme la propriété des hommes, ceux-ci leur refusant tout respect ainsi que le droit de contrôle et de maîtrise de leur propre corps, les traitant comme des objets. La culture du viol se nourrit des inégalités hiérarchiques tout en les renforçant : femmes, enfants, vulnérabilité, pauvreté, orientation sexuelle, mais aussi statut, force physique, emprise psychologique ou différence d’âge. Les femmes handicapées sont violées trois fois plus souvent et les femmes démunies au niveau économique, deux fois plus souvent. La culture du viol se fonde sur des mythes : on excuse les violeurs par une maladie mentale (cela concerne moins de 7 % d’entre eux) ou par le très flou concept de misère sexuelle (89 % auraient eu des rapports sexuels consentis au moins deux fois par semaine avant leur incarcération). On affirme que les hommes ont des besoins irrépressibles, et que les victimes l’auraient « cherché » par la façon de s’habiller, par la consommation de substances, par leur comportement.
Mais attention, l’impunité offerte aux agresseurs et violeurs renforce la culture du viol. Le fait qu’en France un agresseur sur dix fasse l’objet de poursuites en cas de violences déclarées n’incite pas les victimes à faire des démarches, d’autant qu’elles sont mal reçues, voire moquées, lors du récit des faits et ce, qu’il s’agisse des services de police ou de gendarmerie, mais aussi des services hospitaliers. Macron en a été témoin lors de sa venue médiatique sur la plate-forme d’écoute téléphonique 39 19 : le gendarme répondant à l’écoutante a refusé d’accompagner une femme victime de violence à son domicile. Autre situation, il a fallu attendre 1992 pour que soit reconnu dans la loi, le viol conjugal, mais le plaider est encore très difficile pour une femme victime de viol par son conjoint. Et il faudra encore combien d’années pour que les violences intrafamiliales soient réellement entendues - cela ne me regarde pas, c’est du domaine privé – et reconnues en urgence par les divers services pour qu’un plus grand nombre de femmes et d’enfants puissent sortir de l’emprise, de la sidération, de la peur, de la culpabilité.

Pour cela il faudrait que les associations qui agissent au quotidien auprès des femmes victimes puissent avoir plus de moyens, à l’instar de l’Espagne – creuset du machisme – qui a réussi en très peu d’années à diminuer de moitié le nombre de féminicides intraconjugaux. Ne pourrait-on pas laisser aux femmes le vrai choix de rentrer chez elle ou de se réfugier dans un centre d’accueil et d’hébergement, encore faut-il respecter son choix mais aussi que des places soient libres dans ces structures ? Pourquoi les téléphones « grave danger » ne sont-ils pas distribués [note] , pourquoi les mesures d’éloignement de l’agresseur ne sont-elles pas prises, pourquoi les agresseurs peuvent-ils voir leurs enfants sans que des mesures de protection ne soient mises en place, autant pour les enfants que pour la femme qui les accompagne, pourquoi la loi n’est-elle pas appliquée ?

Au-delà du mépris affiché par le gouvernement vis-à-vis d’associations légitimes black listées, le Grenelle contre les violences conjugales s’est ouvert et se fermera le 25 novembre, journée internationale contre les violences faites aux femmes. Que de symboles qui voudraient occulter la dramatique réalité ! Il est urgent de rappeler que :
- les femmes ne sont pas des objets mais des sujets ;
- les violences s’inscrivent dans un continuum, et qu’il est indispensable de ne pas dissocier les violences conjugales de l’ensemble des violences faites aux femmes ;
- la violence contre le féminisme, notamment à travers l’action des masculinistes, se renforce ;
- les agresseurs ne sont pas des ignorants, ils profitent d’un système social construit qui produit des victimes culpabilisées (des femmes, des enfants, et aussi en proportion moindre des hommes) et des criminels impunis (en très très grande majorité des hommes).

La « confusion entre violence et sexualité favorise des addictions graves à la prostitution et la pornographie, avec une industrie du sexe florissante proposant des pratiques, des films et des images de plus en plus violents avec des femmes de plus en plus jeunes. Il en résulte une aggravation de la traite des enfants et des femmes, du tourisme sexuel, de la criminalité sexuelle et d’une grande part des violences faites aux femmes, dont relèvent la prostitution et la pornographie. Cette confusion entre violence et sexualité participe au maintien de l’inégalité entre les sexes. » nous dit Muriel Salmona. Quant à Andrea Dworkin, Pinar Selek, Jules Falquet ou Cynthia Cockburn, elles démontrent abondamment que la socialisation par la violence, notamment la militarisation de la société et la banalisation de la culture sécuritaire et répressive, nourrit l’ordre patriarcal et capitaliste.

Mais une culture se modifie, se contourne, se conteste !

Hélène Hernandez
Groupe Pierre Besnard

(*) [NDLR] un dispositif dans le cadre duquel le procureur décide de l’attribution d’un téléphone à des femmes identifiées comme étant en « Très Grand Danger », afin de leur permettre d’accéder aux services de police ou de gendarmerie de manière prioritaire.


• Cynthia Cockburn (2015) Des femmes contre le militarisme et la guerre, La Dispute, Coll. Le genre humain.
• Andrea Dworkin (2007) Pouvoir et violence sexiste, Sisyphe, Coll. Contrepoint.
• Jules Falquet (2016) Pax neoliberalia. Perspectives féministes sur (la réorganisation de) la violence, iXe.
• Joëlle Palmieri (2019) Tout ce que le néo-Grenelle ne veut pas entendre,
• https://entreleslignesentrelesmots.blog/2019/09/06/tout-ce-que-le-neogrenelle-ne-veut-pas-entendre/
• Muriel Salmona (2016) Pour en finir avec le déni et la culture du viol, en 12 points,
• https://www.memoiretraumatique.org/2016article-deni-culture-du-viol.pdf
• Laure Salmona, auteure, Muriel Salmona, coordinatrice (2015) Rapport d’enquête IVSEA Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte, Enquête de l’association Mémoire traumatique et victimologie avec le soutien de l’UNICEF France dans le cadre de sa campagne #ENDViolence http://stopaudeni.com/ et http:// www.memoiretraumatique.org
• - Pinar Selek (2014) Devenir homme en rampant, L’Harmattan.
PAR : Hélène Hernandez
groupe Pierre Besnard
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