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Chroniques du temps réel
par Pierre sommermeyer and Co le 25 mars 2020

Chroniques du confinement (1ère semaine)

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un journal du confinement au jour le jour.

Mardi 17 mars, midi. Nous entrons dans une période de confinement contraint et nécessaire. Et ça vous fait quoi d’être confiné ? Sur proposition de Pierre, chaque jour un témoignage personnel sur le jour d’avant.



Chroniques au jour le jour


23/03/2020
7 h 30 : la journée débute. La semaine dernière, j’étais confinée comme la très grande majorité des Français, mais surtout je me sentais confinée : sensation que je ne connaissais pas, que je n’avais jamais connue, ni guerre, ni prison, ni voyage sur un bateau, et encore moins dans un vaisseau spatial. Quelque chose de l’ordre de l’inconnu, de l’impensé. Alors, moi qui suis une retraitée active, je me réveillais plus tard, traînant dans mon rythme puisque je n’avais pas à sortir… Cette semaine, je reprends mes routines telles que les micro-sociologues les décrivent et je me fixe un planning. Je ne résiste pas à donner la référence de Jean-Claude Kaufmann, non pas pour ses superbes moustaches, mais pour ses livres tels que Le cœur à l’ouvrage, théorie de l’action ménagère, ou bien La trame conjugale, analyse du couple par son linge, Le premier matin ou Le sac : un petit monde d’amour. Déjà la semaine dernière, j’ai repris des habitudes d’écriture, une partie de mon retard qui s’accumule, et le dossier Pornographie/Prostitution pour Casse-rôles a été achevé, plus quelques petites bricoles pour le Maitron, pour le livre sur Publico et les lieux qui diffusent la pensée anarchiste, et un article pour le Monde libertaire.

9 h 00 : je réponds aux divers mails et notamment aux deux étudiantes qui ont avancé dans leur projet de mémoire de fin d’études. Elles ont plus de temps puisque leur stage hospitalier a été annulé, mais elles restent inquiètes car elles font partie de la réserve sanitaire d’une part, et d’autre part, elles craignent pour leur diplôme de juin avec la non comptabilisation d’un stage, pourtant obligatoire dans leur scolarité.

Plus tard : je me sens confinée car même si j’ai choisi de vivre seule, ne plus voir mon compagnon ni aucun·e de mes ami·es me manque. Mon équilibre réside habituellement entre les temps avec mon compagnon, avec mes ami·es, ma famille et avec moi-même. Tout le monde parle de comment vivre ensemble confiné, mais moi, c’est comment vivre seule confinée ? Une semaine sans voir mon compagnon, j’ai déjà connu cela et même plusieurs semaines, quand l’un ou l’autre était en déplacement pour son travail, mais cela était choisi, programmé, anticipé. Là, le silence entretient le malaise. Au-delà d’éprouver le corps par une activité contrainte et restreinte, le confinement met à l’épreuve notre relation inconsciente à autrui. Les applaudissements à 20 h réveillent un peu le silence, mais que nous disent-ils ? Merci à ceux et celles qui sont obligé·es de travailler dans le soin ou dans les activités vitales, certes, mais aussi, dans l’épreuve, nous avons besoin de héros ! Est-ce que cela contrebalance ceux et celles qui se sont montrés avides de manière détestable en pillant les produits d’entretien, le PQ et autres sopalins, les viandes dans les grandes surfaces, peur, panique et égoïsme ? Une semaine plus tard, les rayons restent vides, les petits épiciers, les boulangers ferment, eux qui ont le droit d’ouvrir, cela sent la crise…

Je téléphone à Claude, qui va avoir 90 ans en fin de semaine, dont plus de 36 ans d’anarchie, hospitalisée dans un centre de rééducation, confinée elle aussi, depuis le 7 mars, une bonne semaine avant nous, sans aucune visite. Alors je sais que je vais braver les interdictions et j’irais déposer une bouteille et des friandises le jour de son anniversaire au bureau d’entrée du centre, sans la voir bien sûr. Je reprends la lecture de Abats l’État ! une passion obstinée pour la liberté, d’Eduardo Colombo, textes rassemblés par ses ami·es de la revue Réfractions, je prépare une récension pour le Monde libertaire. Par ailleurs, je ne ferai pas le conducteur pour l’émission de Femmes libres puisque pour les mercredis à venir, nous avons décidé de rester confinées : pas de choix de musiques et chansons, pas de préparation d’interviews. Nos auditrices et auditeurs devront se contenter des podcasts sur le blog : https://emission-femmeslibres.blogspot.com/

18 h 00 : un Zoom (mieux que Skype) avec mes collègues ergothérapeutes pour nos projets d’édition d’ouvrages professionnels. Inévitablement, nous abordons les conditions de travail dans les services hospitaliers de l’Île-de-France et de la Normandie : catastrophiques, tous les services sont chamboulés, encombrés, débordés pour les patients atteints du Covid-19, les hélicoptères tournent à fond, tous les lits de rééducation sont réquisitionnés pour être transformés en lits d’urgence, donc les patients habituels sont renvoyés chez eux ou parqués dans un surpeuplement inimaginable, pour laisser place aux urgences. Le travail de rééducation est abandonné au profit de l’administratif, de l’accueil, de l’orientation des malades. Aucune protection n’est disponible. Toutes celles qui existent sont réservées aux services de réanimation et d’urgences. On n’est pas prêt, la maladie va plus vite ! Les hôpitaux de jour ferment, des services Covid-19 fin de vie ouvrent, les soignants tombent comme des mouches, comment y échapper quel jour ? quelle heure ? Quelle éthique quand on fait le tri entre les malades, ceux à soigner, ceux à renvoyer sans soins, quelle perte de chance ? pour combien d’entre eux ? Le rythme est infernal au point que la pensée est bloquée, des zombies, des robots : c’est cela le quotidien, c’est cela ce que les puissants, gouvernants, directeurs et chefs de service, voulaient imposer même quand les hospitaliers étaient en grève – depuis un an, les urgences étaient en grève - et ils voudront continuer à imposer.

Ma nièce, aussi, dit qu’elle a peur, sans aucun moyen de protection et se réfugie dans son bureau pour faire de l’administratif dans l’EHPAD où elle travaille à Paris. Déjà plusieurs morts chez les personnes âgées dans l’établissement. La peur aussi de contaminer dans les transports en commun, de contaminer son compagnon. J’ai des affreuses images en tête : combien de personnes vont être ainsi sacrifiées ? les personnes handicapées, les malades habituels avec des affections légères ou très graves, les sans-abris, les réfugié·es, les taulard·es en promiscuité H24, les femmes et les enfants violenté·es, violé·es, … les précaires licencié·es, mais aussi les jeunes récalcitrant·es mis·es en garde à vue…

D’autres images surgissent aussi : les mutineries dans les prisons, les solidarités avec les plus fragiles, les plus vulnérables, les prises de position qui préparent l’après-libération. Comme celles des syndicats qui devront dire ce qui s’est honteusement passé, le manque de masques, d’aspirateurs, de moyens de prévention, de tests de dépistage, le nombre de morts parmi les professionnel·les du système sanitaire et social, et aussi parmi ceux et celles qui ont dû travaillé au mépris de leur propre santé dans les divers secteurs de l’alimentation, des transports, et autres. Certains devront rendre des comptes ! En face je ne sais si nous serons en jaune, en rouge ou en noir, mais nous y serons !

Nous ne sommes pas des chairs à virus. Dans toute guerre, il y a des millions de morts, la guerre c’est fait pour faire mourir. Non ce n’est pas une guerre, la santé ne doit plus être militaire – 1% de l’effectif de santé est aujourd’hui militaire en France – ne doit plus être militaire comme dans les siècles précédents, ni militaire ni religieuse. C’est un bien commun qu’il nous faut tous et toutes préserver par une solidarité et une entraide contagieuses !
Hélène Hernandez
Groupe Pierre Besnard

22/03/2020 Attention, 2 chroniques

1ère Chronique : Paris, Dimanche 22 mars, confino jour 6.
C’est important la date. Peu à peu on se prend à l’oublier. Chaque jour ressemble à un dimanche, ou à un matin de premier janvier.
Je me réveil et me lève de plus en plus tôt, sans pouvoir en accuser l’activité du boulevard voisin.
Comme souvent et chaque matin depuis le mardi 17, je sors pour faire du sport. 

Dans le XIe, au pied de l’église Saint Ambroise, un petit parc ouvert depuis quelques années, et auquel on a omis de mettre des barrières. Donc le parc est fermé, comme tous les autres, mais comme on peut y entrer sans sauter par dessus une grille, il est ouvert. Déjà ce petit frisson d’illégalité me noue la tripe. je surveille mes arrières, attentif à ce qu’une brigade du virus ne me tombe pas sur le dos. Pas trop inquiet, il est un peu tôt, les cerbères s’intéressent  surtout aux jouisseurs, ceux qui veulent s’étendre nonchalamment sur l’herbe et profiter des premiers rayons du printemps. Depuis deux jours un vent glacé a remis les choses en place, tout le monde au chaud.
Étirements, Taï Chi, quelques pompes... J’arrive en trottinant et je repars de même. Jour après jours j’élargis mon rayon d’action, je visite le quartier, à l’affut d’un graffiti, d’une affiche... Je fais le tour du propriétaire en somme. La forme revient, et si j’ai la persévérance de continuer ce régime tout au long des semaines qui nous attendent, je vais avoir un vrai corps d’athlète. Pile poil pour les premières sorties plage; franchement, merci Manu ! C’est bien la preuve que, tous ensemble, nous allons sortir plus fort de cette épreuve que traverse la nation...

Courir est devenu un acte de résistance, bien modeste j’en conviens, une manière de ne pas se plier complètement à ces mesures de confinement qui sont aussi des mesures de soumission. il semble d’ailleurs que les flics sont bien plus virulents en province et tout particulièrement dans les petites villes, où tout désœuvrés qu’ils sont, faire chier la population est devenu la seule justification de leur existence (plus d’excès de vitesse, de conduite alcoolisée, de délinquance...). On m’a rapporté (La République des Pyrénées du 20 mars) que des flics ont verbalisé (135€) des SDF, pour non respect des règles de confinement. 

Comme tous, j’échange beaucoup avec des amis proches ou lointains géographiquement. Il y a ceux qui ne sortent plus du tout, ceux qui sortent peut-être trop. Les peurs et les inquiétudes semblent bien déconnectées des informations un peu sérieuses que je tente de glaner ici où là. Beaucoup sont persuadés de pouvoir être contaminés et malades simplement en croisant quelqu’un. L’autre devient un danger.  Un nouvel ordre moral se met en place, qui s’étalonne sur les peurs de chacun. Tu sors beaucoup me reproche-t-on. Sous couvert de faire peu de cas de la solidarité nationale requise, de mettre les autres en danger avec une conduite irresponsable, j’entends l’injonction à l’unanimisme, à accepter la règle qui doit s’imposer à tous... Comme disait Brassens : « Non les braves gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux, je ne fais pourtant de tort à personne.... »

A certaines heures du matin, les passants sont aussi rares que sur un sentier de randonnée (accès interdit, là aussi). Mes bonnes habitudes de randonneur reviennent et je tente de croiser un regard et d’échanger un bonjour ou qui sait, un sourire. Je compte les succès, ils sont rares. Les parisiens, qui n’ont jamais eu la réputation de sourire volontiers, semblent persuadés que sourire peut augmenter les risques. Comme si on pouvait tomber malade d’un regard.
 
Je crains que ces dégâts, ces atteintes à la fraternité soient profondes et longues à suturer. Je sais que j’aurai toujours autant envie et besoin de serrer mes amis dans mes bras, mais je redoute les distances, les méfiances, les gouffres qui se créent.

Après bientôt une semaine, le charme de la bizarrerie et de la nouveauté s’estompe. Il faut trouver de nouvelles ressources, de nouveaux espaces. Comment s’échapper? L’imaginaire! Je n’ai jamais eu aucune capacité de romancier, mais dans les jours qui viennent, j’aimerais être capable de raconter l’histoire d’un ou d’une qui s’échappe, qui prend la maquis. Il ou elle partirait, en mettant un pied devant l’autre ou en faisant tourner les roues de sa bicyclette. Je rêve à ces centaines de kilomètres de chemins creux. Le printemps est encore timide, mais de belles journées sont à venir. Il ou elle irait à l’ombre des feuilles tendres et des aubépines en fleurs. J’imagine ce pays dépeuplé comme on ne l’a pas vu depuis si longtemps. J’imagine des ciels qui ne sont pas striés du passage des avions, j’imagine des villes dont la rumeur s’est tue. J’imagine qu’il faudrait se déplacer de nuit et aux petites heures du jour. Il faudrait éviter les habitations, mais parfois il faudrait prendre le risque de se ravitailler, prendre le risque de se faire dénoncer, mais prendre aussi  le risque d’une belle rencontre, d’une porte qui s’ouvre. une porte derrière laquelle on t’offre sans poser de question, un bol de soupe, une douche et un lit chaud... Il ou elle ferait sans doute une rencontre en chemin, et non plus un(e), mais deux ou peut-être trois, ils iraient furtifs par les monts et les forêts et ils redouteraient de traverser les ponts qui mettent à découvert. Ils chemineraient  ainsi, à la diable. Les jours et les semaines avanceraient, et un beau matin, ce serait déjà presque l’été, ils seraient rendu au  pays des oliviers. Ils se poseraient là allongés à même la terre sous les rayons d’un soleil généreux.  Je rêve, mais qui sait?
NicolasE

2e chronique : J+5 de « confinature »…
dimanche 22. Déjà cinq jours de « confinatance », comme dirait la Ségolène. Six jours, depuis le coup d’envoi le mardi 17, midi. Oui, c’était le 17 mars. Je m’en souviens parce que c’était aussi le jour de la Saint Patrick. Et alors ? Ben alors, je m’appelle Patrick. Non que ce jour-là je m’attendais à ce que quiconque me souhaite ma fête, mais j’étais frappé que le démarrage de l’exercice de se supporter (seul ou à plusieurs) dans un espace clos, démarre le jour où en général, les picolos se retrouvent dans les rades à moussante ou les pubs du monde entier pour se biturer, à la santé de ce saint irlandais transformé au fil du temps en disciple du païen Dionysos… Quand la cloche a sonné, je me baladais en solitaire, (of course, bien conscient des choses) dans le Parc des Buttes Chaumont, presque désert. Ce que j’ignorais alors, c’est que je n’étais pas prêt d’y remettre les pieds… Depuis, quatre jours ont passé pendant lesquels, je suppose que j’ai fait à peu près les mêmes choses que tout le monde. Dépanner (les premiers jours) des voisins qui n’avaient pas de formulaire, aller porter un bout de gâteau à une voisine isolée, un livre à une amie malade, etc. Normal, quoi. Normal aussi de faire trois petites courses de nécessité le matin et ma petite balade, toujours solitaire mais vitale, en début de soirée pour siroter ma moussante, tout en comptant le nombre de pavés qui forment les trottoirs de mon pâté de maison (il faut bien s’occuper), dans le 11ème arrondissement de Paris. Bon je ne m’étendrai pas plus sur ces banalités…
J’ai plutôt envie de vous raconter une belle histoire, car malgré ce contexte impitoyable pour les claustrophobes et autres grands marcheurs (parmi lesquels je me compte), le confinement peut aussi augurer de belles aventures. Ainsi, hier soir, tandis que je rentrais à la maison après mon petit tour, mon compagnon m’apprend que notre « grand T. », âgé de vingt-et-un ans, (l’aîné des trois garçons que nous avons baby-sittés) venait de l’appeler d’une petite ville danoise de la banlieue de Copenhague. Je me suis souvenu que T. devait effectivement venir déjeuner avec nous cette semaine. Mais que faisait-il encore à Copenhague, pour laquelle il était parti quelques jours suivre un stage organisé par son école d’archi de Belleville ? Eh bien, il se trouve que le Danemark a aussi fermé ses frontières et maintenu pour un temps les ressortissants étrangers en quarantaine. Bon. Il appelait pour nous raconter qu’il était très heureux (et en passant également pour nous demander de lui envoyer quelques sonnantes et trébuchantes - bien qu’il ait des parents attentionnés et généreux, mais à cet âge-là on a ses secrets et c’est plus simple d’en parler à ses « tontons » !). Il était très heureux donc. Ben oui, parce qu’en fait, lors du stage, il est tombé amoureux d’un charmant jeune danois et que, coup du sort, il devait rester confiné chez celui-ci pour une durée indéterminée… En nous rappelant pour nous remercier de notre petit coup de pouce à son nouveau bonheur, il était fou de joie, tout heureux et frétillant. C’était rafraîchissant. Je lui ai demandé si ce n’était pas trop dur d’être « confinés », sur quoi il a éclaté d’un rire frais et juvénile : « Ben pas du tout, au contraire, je suis amoureux. On peut encore sortir (raisonnablement) à Copenhague, et cet après-midi on est allés sucer des glaces en se baladant au bord de la mer. Je suis heureux. » Je ne savais pas quoi répondre à part un : « Bon, ben, profites-en bien mon grand, toi qui attendais le grand amour, la chance te sourit, plonge dans le bonheur de l’instant. » Il nous a encore expliqué que son école avait proposé aux stagiaires confinés de les rapatrier avec d’autres Français et que s’ils refusaient, ils n’avaient qu’à se débrouiller… Qu’auriez-vous fait à sa place ?
Lorsque que le Monde libertaire en ligne m’a proposé d’envoyer un petit témoignage sur le confinement, j’avais tout d’abord pensé à raconter des choses plus… Enfin, moins merveilleuses que celle-ci. Ce que j’avais vu de sympa et de moins sympa depuis que nous étions rentrés d’Athènes, in extrémis, pour aller visiter la mère de mon compagnon en Ehpad et la mienne. Mais la première était confinée dans son Ehpad bouclée et la seconde, âgée de 87 ans avait pris la clef des champs avant le couvre-feu, pour aller elle aussi se confiner chez son vieil amant en province… Du banal quoi. C’est pourquoi j’ai préféré de loin, vous conter fleurette (après-tout hier c’était le printemps !) et la petite aventure de T. Dont la morale pourrait en être : c’est parfois dans la vie quand on s’y attend le moins que des circonstances inopportunes peuvent introduire les plus belles histoires d’amour…
Patrick Schindler, groupe Botul FA



21/03/2020
C’est le confinement final, levons nous et demain …
Fin de la première semaine de confinement. Autant l’avouer tout de suite, le deuxième jour j’en avais déjà marre. Marre de ne pouvoir aller que de mon salon au balcon (et encore j’ai la chance d’avoir un très long balcon) ; marre de ne pouvoir que descendre de mon 7è étage au sous-sol pour vider mes poubelles et découvrir un nouvel avis placardé dans l’ascenseur rappelant qu’on ne peut l’utiliser que seul, pas question d’être deux dans cette cabine. Tellement marre que ce matin j’ai triché : 7h suis parti faire un jogging dans les rues absolument désertes de mon quartier (Parc des Buttes-Chaumont fermé).
D’accord il faut s’adapter, même si l’adaptation ça n’a jamais été mon point fort. La fameuse attestation de déplacement dérogatoire ? Lundi avant midi j’avais quand même eu juste le temps d’aller en faire photocopier une trentaine d’exemplaires à l’extérieur, vu que mon imprimante personnelle avait choisi de tomber en panne maintenant. Ça m’apprendra à ne pas croire en Dieu.
Le confinement, comment l’appréhender ? Déjà en changeant certaines habitudes. Avant je me levais vers 6h00, maintenant c’est 7h00, toujours ça de gagné sur une longue journée d’enfermement. Autre rituel chamboulé, je ne me rase plus. Je recommencerai à la fin du confinement. Vu comme c’est barré avec prolongation qui va être incessamment annoncée, j’aurai bientôt un super look de patriarche. Et quand tout ce bazar sera terminé, je raserai tout ça et j’aurai récupéré une peau de bébé.
Autre changement, comme pour tout le monde, plus moyen d’aller au troquet le matin prendre un café et lire tous les journaux qui y étaient mis à disposition et me permettait de faire ma petite revue de presse. Le quartier semble sinistré mais il y a des compensations : pratiquement plus aucun bruit de bagnoles, par contre on réentend les oiseaux. Pas mal de temps passé au balcon à observer ma rue quasi déserte, avec juste quelques promeneurs de chiens, ce qui m’a permis de constater que deux ou trois de ces animaux domestiques ne sont pas toujours baladés par la même personne. Il semble que de nouveaux petits boulots ont été créés : prêteurs de chien (système solidaire) ou loueur de chien (système capitaliste), ce qui permet à certains d’avoir un alibi pour prendre l’air ne serait-ce qu’une heure avec un animal qui ne leur appartient pas.
Autre occupation, la préparation de repas de plus en plus élaborés (j’ai le temps), mais je ne peux plus en faire profiter les ami-e-s qui ne peuvent pas me rendre visite, confinement oblige.
Et sinon, comme beaucoup d’entre vous la lecture. Je vais peut-être rattraper mon retard perpétuel de la quinzaine de bouquins en souffrance sur ma table. En même temps la réécoute inlassable de mes disques vinyle.
Et puis, et puis la ...TV et ses actualités anxiogènes à souhait. Les annonces des chiffres de contaminés, morts, ici ou dans les autres pays, le défilé des experts, scientifiques, politiciens en appelant à l’Union sacrée et nous déclarant inlassablement que oui, on va s’en sortir parce que oui, on est prêts. Bizarre quand même quand on sait que le démantèlement programmé du Service public a plongé le secteur hospitalier dans un état lamentable avant l’épidémie. Si l’État n’en est pas responsable (version complotiste), pas question de ne pas lui demander des comptes, lui qui s’est ingénié depuis des années à diminuer lits et personnel soignant dans les hôpitaux. Comment le pouvoir peut-il avoir l’arrogance d’affirmer que tout est prêt, que tout a été anticipé, que sa gestion est impeccable ? Oui, quand cette période de confinement sera terminée, il faudra se lever pour reprendre le combat contre ce système capitaliste qui depuis des années veut marchandiser la santé. Un seul point d’accord avec Macron : effectivement rien ne sera plus pareil après cette pandémie. On a pu largement juger de l’inutilité d’avoir des politiciens et de l’intérêt d’avoir des médecins et infirmier-e-s.
Et puisqu’on parle du personnel soignant, à noter cette nouvelle tendance tous les soirs à 20h à se mettre aux fenêtres et balcons pour applaudir leur dévouement. Ça peut sembler un peu niais, mais je m’y suis mis aussi, ce qui m’a permis aussi de découvrir un tas de voisins de l’immeuble en face, que je n’avais jamais vus, ou à peine croisés dans le quartier. On en est maintenant à se faire des coucous enflammés d’un immeuble à l’autre.
Mieux, en fin de matinée un lointain voisin (au moins à 300 m) a branché sa sono à fond pour balancer un air d’opéra et s’est adressé à toute la rue pour donner RV à 19h30 pour un apéro partagé (chacun-une à son balcon) au son d’un autre opéra ; ça tombe bien, j’adore (l’apéro et l’opéra).
Bon, ça ne résout pas le problème, mais ça fait quand même du bien question liens solidaires.
En attendant, préparons-nous à la deuxième (seconde?) prolongation de la période de confinement. On devrait nous annoncer ça en début de semaine prochaine.
En route pour de nouvelles aventures.
Ramón Pino. Groupe anarchiste Salvador-Seguí


20.03.2020

8 H 30, réveil d’un « confiné » : qu’est-ce qui a changé dans ce petit village des Yvelines ?
Le petit déjeuner avec Monique est agrémenté comme d’habitude par la confiture maison, réalisée avec les fruits des 2 cognassiers quasi-centenaires du jardin. Même s’il ne fait pas aussi beau qu’hier (près de 20° dans l’après-midi), la nature est en pleine euphorie : fleurs de toutes couleurs, bourgeons en avance sur leur futur, oiseaux pépiant en toutes langues, nos deux chats Zady et Mirabelle partis à l’aventure, poules caquetant fièrement pour leurs beaux œufs, taupes amoncelant de petits tas de terre pour amuser leurs galeries souterraines...
Et pourtant, le Maréchal de France Emmanuel nous l’a rappelé : « nous sommes en guerre ! », pour s’en sortir, il faut rester chez nous. Bon à savoir pour plus tard : car si des États nous balancent une bonne guerre comme ils savent le faire pour créer l’union sacrée autour d’eux, nous « déserterons » en refusant de quitter nos pénates. Le problème s’était déjà posé, pas dès juillet 1914 où le virus guerrier avait poussé des soldats à partir joyeusement se massacrer « la fleur au fusil », mais à l’automne 1918 avec une pandémie d’un virus particulièrement virulent parti des États-Unis pour attendre l’Europe, puis le reste du monde. Elle prit le nom de « grippe espagnole », seul pays - non en guerre – à en publier librement des informations. Les autorités religieuses avaient leur remède, les « prières anti-grippe », et les autorités politiques avaient d’autres soucis : « Je fais la guerre » (Clémenceau). Le décompte des victimes des deux fléaux est abominable : 10 millions de morts pour la boucherie guerrière, près de 50 millions, dont 400 000 en France, pour le virus !
Notre petite commune est privilégiée : aucun commerce n’a fermé, tout simplement parce qu’il n’y en a plus depuis longtemps. Il faut donc prendre la voiture pour aller se ravitailler au Carrefour local. Craignant un check-point me verbalisant de 135 € ou pire, m’envoyant en garde à vue (cela s’est vu), je me signe solennellement une attestation de « déplacement dérogatoire ».
Avec ou sans pandémie, n’appréciant pas spécialement la foule, je choisis comme d’habitude d’y aller vers 13 H. Bizarrement, il y a beaucoup moins de monde, sans doute que les familles étant réunies avec leurs enfants, il faut les faire manger à des heures raisonnables. Je me demande cependant ce que les stocks-consommateurs ont laissé dans les rayons, mais je n’ai pas beaucoup de produits à acheter, ayant encore des produits frais de l ’AMAP de ma fille. Je m’aperçois qu’il ne reste pratiquement plus de conserves et, curieusement, seulement quelques produits pour animaux. Mais heureusement il reste quelques exemplaires du Canard Enchainé, lecture familiale très ancienne, depuis que mon grand-père, paysan creusois antimilitariste, le lisait dans les tranchées.
Retour à la maison pour préparer le repas, qui est pour Monique et moi un moment social important d’échanges intellectuels et alimentaires. Finalement ce qui est nouveau dans la période pour nous deux, en retraite donc débordant d’activités, c’est que nous pouvons gérer plus tranquillement la priorité de nos urgences. Nous avons dû renoncer à rejoindre les studios de Radio libertaire et annuler nos deux prochaines émissions Trous noirs : la première avec notre compagnon, Jacques Lesage de la Haye, autour de Wilhelm Reich dont j’avais lu l’essentiel des livres dans les années 70, la seconde pour présenter Le Monde libertaire d’avril.
Du temps de cerveau m’étant ainsi rendu disponible, j’en profite pour essayer de me représenter comment quelqu’un qui vit dans un petit appartement en ville peut supporter le confinement, alors qu’ici nous pouvons faire des promenades dans les bois environnants.. Je me souviens par exemple quand, étudiant peu fortuné, je retrouvais un copain dans sa chambre de bonne du 7ème étage, sans ascenseur et toilettes sur le palier. Y rester plusieurs semaines aurait défié toute imagination ! Cinquante ans plus tard, l’accroissement de l’urbanisation et la désertification des zones rurales a encore plus éloigné les humains de la nature. Il faut une crise comme celle-ci pour que des parisiens quittent la capitale pour vivre en province, chez des parents ou dans une résidence secondaire. De même la crise économique avaient contraint beaucoup de Grecs appauvris à quitter Athènes pour aller dans la famille sur une des nombreuses îles helléniques. Si la société change en profondeur, il y aura nécessairement un rééquilibre à mettre en place face à ces grandes métropoles qui envahissent la planète.
Une autre réflexion sur la nécessité évidente de sortir de l’absurdité de cette société me rappelle les propositions que, dans les années 1970, nous avancions en tant qu’anarcho-syndicalistes : se battre pour de meilleurs conditions de travail, un meilleur salaire, bien sûr, mais aussi pour exiger une activité socialement utile. La période est particulièrement propice pour analyser quels sont les métiers dont nous avons réellement besoin (alimentation, santé, éducation, ramassage des ordures...) et ceux qui ne servent qu’à enrichir ou protéger le capitalisme. L’encouragement actuel au télétravail-téléchômage-téléenseignement m’évoque une parole des murs de l’après 68 : « Ouvrez les yeux, fermez la télé ! »., ainsi que l’An 01 de l’ami Gébé : « On arrête tout, on réfléchit et c’est pas triste ».
Élan noir

19.03.2020
Comme tous les matins, Lola me réveille en me faisant un câlin d’enfer. Comme tous les matins, je l’envoie aux pelotes. Les câlins, c’est sympa, mais quand t’as envie de pioncer, c’est pas la priorité. Comme tous les matins, je la menace de l’envoyer à la SPA, mais naturellement, je ne le fais jamais. Lola c’est ma chatte, huit mois, une boule d’énergie, un cadeau de ma fille qui vit dans le Lot-et-Garonne.
Du coup Lola me rappelle que j’ai envie de pisser, alors je me lève. Ça fait longtemps que je ne connais plus les matins triomphants mais l’envie de pisser est restée.
Christiane, ma compagne, est partie chez notre fille à 700 kilomètres: elle attend des jumeaux – ma fille, pas Christiane. C’est pour bientôt. Moi, je suis resté parce que j’avais des tas de trucs à régler et je me suis trouvé coincé par le confinement.
Je réalise qu’en fait ça ne change rien, pour l’instant, à ma vie de tous les jours.
Je réalise que je vis depuis des années dans une sorte de confinement volontaire.
Je n’ai pas ce rituel matinal de beaucoup de gens qui vont acheter leur baguette et leur journal: je ne fume pas, je ne mange que du pain de mie à cause de mes dents et je n’achète pas de journaux.
Je suis capable de rester chez moi pendant un temps indéfini sans sortir. Une fois, Christiane est partie en Australie avec notre fille, pendant deux mois. J’ai dû sortir de chez moi trois fois.
Ce matin, la voisine a sonné chez moi, pour prendre de mes nouvelles, sachant que ma compagne était partie. C’est marrant ces gens (surtout des femmes) qui s’imaginent que sous prétexte que l’épouse est partie, les maris se trouvent désemparés. J’ai quand même été touché par cette attention.
Juste avant le confinement, je suis passé devant le Lidl qui est à côté de chez moi : il y avait une queue pas possible. Ça fait une semaine que les gens s’amoncellent devant les grandes surfaces. Une fois que leurs placards et leurs frigos seront pleins à ras-bord et qu’ils auront claqué tout leur fric, on pourra aller faire ses courses peinard.
Quelqu’un sur facebook faisait remarquer qu’aux États-unis il y a une ruée sur les armes, tandis qu’en France il y a une ruée sur le PQ — à croire qu’on a affaire à une pandémie de gastro. J’ai fait remarquer que ceux qui achetaient des armes, c’était pour braquer ceux qui avaient du PQ. Mais c’est vrai qu’il y a un fossé civilisationnel qui nous interpelle quelque part au niveau de notre vécu. J’ai proposé à Christiane, qui est psychologue, de trouver une explication freudienne à cette obsession du PQ.
Genre : Les Français en sont restés au stade anal, ils n’ont pas atteint l’autonomie sphinctérienne, ce qui provoque des conflictualités dans la dynamique interactive parents-enfants liée à des avatars symptomatiques invalidants et durables. Enfin, une connerie dans ce genre.
Quant aux Américains, les armes à feu étant des symboles phalliques, la précipitation en vue d’accumuler des armes est le symptôme d’une peur panique de l’impuissance et de l’éjaculation précoce, compensée par l’acquisition d’armes multiples. Enfin, une connerie dans ce genre.
Bon, je sais que Christiane n’en fera rien, c’est dommage.
Concernant le PQ, ça m’a rappelé une chose, que seuls pourront comprendre ceux qui auront vécu dans un univers concentrationnaire dans leur enfance. Mon univers concentrationnaire à moi, c’est six années de pension dans un vieux collège d’époque Jules Ferry, dans une obscure sous-préfecture normande. C’était dans les années 50, autant dire la préhistoire. Quand tu as 300 mômes enfermés dans un enclos infranchissable (ou presque, disons) il se crée des codes, des usages. Par exemple quand tu trouves par terre un trombone, un bout de ficelle, tu ramasses. On ne sait jamais, ça peut servir. Les relations humaines, si on peut dire ça, fonctionnaient beaucoup sur la base du troc. Et une denrée essentielle, incontournable et rarissime dans cet univers, une denrée à forte valeur ajoutée, c’était le PQ, juste avant le beurre. Celui qui avait un stock de PQ était riche. Une phrase qui revenait souvent, c’était “Dis-donc, t’as pas du PQ?” Alors commençait une négociation serrée entre les deux parties.
On voit que l’obsession du PQ est une tendance profonde du peuple français.
Ce matin j’ai mis le nez dehors pour humer l’air de mon jardin. Je me suis enfin aperçu de l’énorme bouleversement introduit par le confinement. D’abord, bien que nous soyons dans un coin extrêmement calme, on entend toujours un bruit de fond: des gens qui bavardent dans la rue, un gars qui tond son gazon, des enfants qui crient. Là, rien. Silence de mort — c’est le cas de le dire. Ça fait très drôle.
D’habitude, tous les matins à 11 heures tapantes une troupe de nounous et leurs mômes passe devant chez moi parce qu’au bout de la rue il y a la forêt de Meudon. Elles font un raffut d’enfer. Et que ça papote, et que ça jacasse. En plus, elles ont l’habitude de faire une pause devant chez moi. Pour m’emmerder, sans doute, ou pour vérifier si tous leurs chiards sont bien là. Bref, quand on entend le poulailler qui descend la rue, on sait qu’il est 11 heures. C’est important, parce que ce bruit de poulailler déclenche un autre mouvement: Christiane descend de son atelier où elle fait du patchwork, je sors du bureau que j’ai confortablement aménagé dans le garage, et on se prend un petit café en papotant. Là, rien. Pas de nounous, pas de café, en en plus Christiane n’est pas là. Plus de rituel.
Du coup, je me suis mis sur Skype et on a décidé de se prendre le café tous le matins par ondes hertziennes interposée.
Il est possible qu’il se passe un bon moment avant que je ne sorte affronter dehors cette atmosphère de science fiction, de fin du monde, que je ne peux même pas observer de ma fenêtre parce que autour de moi il n’y a que des jardins (et la rue du poulailler, au trafic très réduit). J’ai l’habitude depuis longtemps de faire des stocks de bouffe parce que je n’ai pas envie de sortir tous les trois jours pour acheter du sel, du lait, ou que sais-je. Ça tombe bien.
Il me semble avoir entendu Macron dire qu’après la pandémie, rien ne sera plus comme avant. Pour une fois, je suis d’accord avec lui. Mais je doute qu’il entende par là qu’il faudra demander des comptes aux responsables de l’invraisemblable quantité de suppressions de lits d’hôpitaux, de fermetures d’hôpitaux, de la casse générale de notre système de santé, commencée par d’autres, mais accélérée par lui.
Si on prend pour hypothèse que la moitié de la population française va être contaminée et que 3,4 % de ces personnes contaminées – surtout des vieux — vont mourir, faites le compte. La question des retraites sera vite réglée…
Beaucoup de retraités ne verront pas leurs petit-enfants nés pendant la pandémie.
René

18.03.2020
Quartier Belle de Mai, Marseille.
C’est un quartier singulier. Au delà de sa sulfureuse réputation (Ah, les fameux « quartiers nord » de Marseille !), ce qui caractérise ici la vie collective, c’est un très large éventail culturel. La solidarité, l’entraide, ça n’est pas une directive qui vient d’en haut. C’est naturel. On connaît ses voisins, on se bouge pour se dépanner les un.e.s les autres. Une richesse mise en danger par les différentes politiques locales et nationales d’aménagement - comprendre de gentrification. Ces petites maisons ouvrières accrochées sur la butte, elles respirent au soleil. Les rues étroites, le linge aux fenêtres, les murs clairs, les trottoirs en pierre, les jardins qui débordent par dessus les murs chaulés, vous le sentez le potentiel marchand ? Nous savons ce que ça signifie : expulsions, soit économiques soit par la force, de la population actuelle pour laisser place à la propreté bourgeoise. La réaction de la mairie après la tragédie de la rue d’Aubagne a fait des dégâts dans tout le Marseille populaire, ici comme ailleurs : expulsions au petit matin, flics armés, familles dans la détresse... une ambiance de rafle. Vous avez remarqué la posture des bleus lorsqu’ils accomplissent leurs désirs les plus malsains ? Les jambes légèrement écartées, le dos raide, les mains accrochées au ceinturon, le visage qui oscille en satisfaction et droiture morbide...
Il paraît que c’est un des quartiers les plus pauvre d’Europe. Je ne sais pas comment ça se calcule mais c’est sûr, on n’est pas dans le 16eme à Paris.

Alors oui, le confinement, ça chamboule. Heureusement, côté cour, il y a toujours moyen de se parler. Dans le dénivellement enchevêtré des maisons, les balcons des uns surplombent les jardinets des autres, les fenêtres donnent directement sur la cour du voisin, et tout est ouvert, et il fait beau. Le contact n’est pas rompu mais il se limite à la portée de la voix. Il semblerait que tout le monde a pris la mesure du danger. On reste cloîtré.e.s. Pourtant, l’obéissance aveugle n’est pas une caractéristique forte dans le coin. Au contraire.
Au moment où j’écris les gamins du voisinage jouent au « baccalauréat » en criant d’un jardin à l’autre. Ils veulent qu’on fasse un concert ce soir. Après la musique de chambre, voici la musique de cour. Mélomanes s’abstenir.
Deux voisines s’interpellent « Il est ouvert, le PMU ? » « Non, mais le loto, oui. T’as qu’à faire un loto. » « Tout est fermé. Remarque, ça fait des économies, quand on vit comme ça, hein ? »
De la fenêtre voisine, s’échappe la voix d’un youtubeur complotiste qui affirme d’un air scandalisé « qu’ils » ont vacciné 1 million de chinois, et que l’institut Pasteur attend les morts européens pour vendre son remède plus cher…
Aujourd’hui, ma fille revient de Paris par le train. Pas très à l’aise. Je prends des nouvelles, le train est plein. J’aurais préféré qu’elle ne prenne pas le risque. Le gouvernement ayant tardé dans la communication du danger (dans le but de tenir cette bouffonnerie d’élection), elle s’est retrouvée piégée.

Une partie de mon travail peut se faire à domicile. Je traîne quand même la patte. Quelle leçon tireront nos petits princes de cette expérience ? Je me prends à rêver à une prise de conscience populaire. Une redéfinition des besoins matériels, un projecteur sur la futilité productiviste, une reconnaissance des besoins en services de solidarité, de secours, de santé, l’effondrement des politiques de management. Ce que nous sommes en train de réaliser collectivement pour enrayer une épidémie est de façon criante une démonstration de ce que nous serions prêt à faire pour endiguer la catastrophe écologique en cours. Rien de cela n’aura lieu tant que les décisions seront confisquées par une caste dont les intérêts à court terme ne correspondent en rien à l’intérêt général. Pour avancer, il faut se débarrasser des mécaniques qui ont favorisé les désastres. Se débarrasser de l’État, des frontières et de toute délégation de pouvoir.
Loran – groupe Germinal


Jour J : 17 03 2020
Je suis sorti comme tous les matins chercher mon journal et mon pain. Une centaine de mètres. La buraliste est barricadée derrière son comptoir, masque sur la figure, des gants sur les mains. Drôle d’ambiance. Sur sa porte, un avertissement : pas plus de trois clients, chacun à un mètre de distance. D’habitude ici, c’est un endroit très convivial, où l’on rencontre plein de monde. Le silence. La boulangerie qui lui fait face est fermée. Rideau de fer baissé, sans un mot affiché. Pourquoi, nul ne sait. Elle ne ferme jamais, sauf le dimanche après-midi ! Le boulanger, un homme jeune, grand, mince, est-il malade ? Le virus ? Donc pas de pain. Je repars avec mes journaux, dépité. Un peu plus tard, je reçois une copie du formulaire de sortie. Un peu surpris, je ne sais pas trop comment manipuler ce truc. Je le transmets aux amis, aux proches. Curieuse, cette situation, en fait je m’autorise à sortir pour cela ou cela. C’est l’autogestion tant désirée ? Certes, mais derrière il y a le bâton policier. Cela dit, il faut remarquer que ce n’est qu’un papier pas tout à fait officiel, pas de signature d’autorité, poutant il à cours auprès des pouvoirs de police. « Monsieur le policier je m’autorise à sortir et cela doit vous suffire pour me laisser aller ». L’anarchie n’est pas loin ! Ce serait chouette si le contexte n’était pas aussi terrible.
Nous n’avons pas de pain, donc, pas grave il y a des restes. Notre fille nous en amène en début d’après-midi. Elle est avec sa petite fille, dix mois. Elles se tiennent à la distance réglementaire, un mètre cinquante. Je ne peux pas prendre la petite dans mes bras. Elle est porteuse potentielle du virus, une bombe. Je suis obligé de la considérer comme un danger. Dans quel monde vivons-nous ? Au bout de vingt minutes, elles repartent sans que j’aie pu les embrasser. Je ne m’en remets pas.
Ce soir aux médias, les journalistes s’extasient devant les rues vides des villes. Ces dernières ressemblent à ces maquettes que l’on peut voir parfois, mais aujourd’hui c’est grandeur nature ! Une ville vide c’est triste !
Dans le monde du jour un excellent article sur la tentation de Pékin. Faire comme eux, contre le virus, voilà le danger. Les attentats de 2015 ont laissé dans nos villes comme un arrière-gout de contrôle permanent, soldats en armes, flics partout, vigiles aux entrées de salles de spectacle ou autres, avec le regard curieux dans nos sacs. Une fois le virus régulé, disparu, que va-t-il rester de ce désir de contrôle, urbi et orbi, ici et partout ?
Combien de temps encore avec cette peur qui rôde. Ici, en Alsace les limites sont atteintes. Ce serait trop facile de continuer à sourire du fait que tout est parti d’une communauté religieuse fondamentaliste chrétienne. Des rumeurs de choix à faire, en matière de gravité, circulent. L’armée intervient, un hôpital de campagne, transfert de malades vers des hôpitaux non encore saturés. Ma belle-mère, 94 ans, est hospitalisée tout comme sa sœur, pas de visite possible ! Comment lui expliquer ? Douleurs. Comment va-t-on tenir encore, 15, 20 jours ou plus comme cela. Demain est un autre jour.
Pierre Sommermeyer

Jour J-1 : 16/03/2020

Je suis rentré hier dimanche du CFA Rencontres de formation pour les militant.es de la FA et leurs de Metz, en train. Je garde mes distances. Je suis un peu mal à l’aise. Malaise qui grandit ce lundi à fur et à mesure. Il faudrait vivre en dehors de la chaine de l’info, de ces chaines qui nous enchainent à l’insu de notre plein gré.
Mais que se passe-t-il ? Les messages d’alerte sont de plus en plus nombreux, se font de plus en plus angoissant. Pourtant quand je regarde par la fenêtre il n’y a rien de nouveau. L’air est doux, les fleurs commencent à arriver. Mes forsythias fleurissent et au fond de moi croît une petite angoisse, une toute petite angoisse. Aurais-je ramené de Metz une de ces saloperies invisibles qui n’attends que le bon moment pour me prendre d’assaut ? Ma compagne ne m’a pas encouragé à aller au CFA, sera-t-elle co-victime ?
Les élections ont eu lieu, la maire écolo de ma ville a été réélue au premier tour. Plein de débats ont lieu. Que va dire le grand Mamamouchi ce soir ? Moi qui ne l’écoute jamais, pas plus lui que les autres, je suis devant ma télé et je scrute ses propos. Après nous avoir assommés avec ses « quoi qu’il en coute » il nous assène ses « Nous sommes en guerre ». Et je ne peux même pas objecter ! Il joue au père de la Nation. Il joue sa réélection. Il semble revenir sur tous les points de blocage. Il joue l’unité nationale. Qui peut le croire ? Les promesses n’engagent que ceux qui les entendent. Et pourtant, l’ennemi rode et la seule chose que je peux faire c’est refuser de collaborer.
Je ne peux pas m’empêcher de voir, d’entrevoir les prémisses de l’effondrement, le grand arrêt de l’économie, ce que les grèves ne peuvent plus faire, la grève générale, le virus y arrive ! Demain est un autre jour avec encore et encore des annonces dramatiques.
Pierre Sommermeyer

J-2 : 15/03/2020
Fatigués de la veille, ma compagne et moi nous levons finalement pour annoncer une ouverture à 11H et non pas à 9H… Deux clients sont déjà là pour des clopes et leur café matinal… Incompréhension… Moi même je ne sais pas si je peux vendre des jeux à gratter ou prendre des paris hippiques… En même temps, c’est pas de première nécessité… Par contre, dealer le tabac, drogue d’État, pas de soucis… Finalement, je découvre que le tabac est notre « sifflet à grelots » (avis aux amateurs du jeux Elixir), il nous permet de maintenir une ouverture… Et de vendre les produits de la FdJ ou du PMU, mais aussi d’ouvrir le Relais Postal… De quoi atténuer les effets négatifs de notre fermeture administrative !

J-3 : 14/03/2020
Main dans la main, nous arrivons ma compagne et moi à la boulangerie de Châtillon. « Bonjour, ça va ? » Je réponds : « J’attends qu’on nous demande de fermer le bar ». (Oui, je suis patron d’un bar-tabac-PMU-Relais Poste dans ce bled d’Ille-et-Vilaine). Elle : « Non ?! On en arrivera pas là ! » Les heures passent et je vaque à mes activités en attendant fébrilement la soirée : le groupe CLAP donne un concert qui donne le la à ce pourquoi je me suis engagé dans l’aventure de ce bar… un lieu culturel et d’éducation populaire ! A 20H03, un client m’informe que le Premier sinistre déclare que les cafés et restaurants doivent fermer à minuit, soit trois heures 57 minutes plus tard… Panique à bord ! Mon associé et moi ne savons rien de plus…. Quid de l’ouverture demain matin ? Le concert se tient dans une bonne ambiance. Pas assez de monde en première partie de soirée, effet Covid19 sûrement. Mais finalement cela afflue… A 23H30, on annonce qu’on ne sert plus à boire et là, la tension monte devant le comptoir. Les clients guillerets anticipent la fermeture des « lieux de convivialité » et veulent faire durer la soirée… Moi et mon associé arrivons finalement à fermer… Dans l’incertitude du lendemain…




PAR : Pierre sommermeyer and Co
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le 18 mars 2020 12:25:09 par Yves Coleman

Merci Pierre de cette initiative. Courage et solidarité Yves