éditorial du n°1123

mis en ligne le 17 février 2007

En créant l'euro, les États européens mettent en commun leurs politiques économiques. Condamné par les anti-maastrichtiens sur la base d'arguments nationalistes, cet abandon de souveraineté est en réalité beaucoup plus symbolique que réel: dans un contexte de globalisation mondiale, l'intégration croissante des économies européennes avait déjà rendu largement illusoire le pouvoir des gouvernements à conduire de manière autonome leur politique économique.

Du côté des partisans de gauche de l'euro (Cohn-Bendit en tête), on nous explique que la monnaie unique n'est qu'un outil: tout dépendrait de la façon dont elle sera gérée. À ces apôtres du «pragmatisme», rappelons que si la gauche est aujourd'hui au pouvoir dans la majorité des États européens, le «volet social» de la construction européenne, si souvent invoqué, en reste pourtant au stade de vagues déclarations de principe. En septembre, la probable arrivée au pouvoir en Allemagne de Schröder, le grand ami du patronat, n'y changera évidemment rien.

Cela dit, les conséquences du passage à l'euro sont prévisibles: une concurrence accrue à l'échelle européenne qui poussera davantage encore chaque État à tenter d'exporter son chômage chez les autres par la baisse du coût du travail tout en favorisant la convergence des systèmes de prélèvements fiscaux et sociaux sur le dos des salariés. Sans limite dans le temps, le traité de Maastricht prévoit que les déficits budgétaires devront être «contenus». Coupes sombres dans les budgets sociaux et rigueur salariale dans la fonction publique sont déjà programmés: Strauss-Kahn entend ramener le déficit public de 3% du PIB en 1998 à 2% en l'an 2000.

Anarchistes, nous ne pouvons pas nous reconnaître dans les logique défendues par les pro-européens, accompagner les mutations capitalistes, ou les anti-européens, nostalgiques d'un capitalisme franco-français. Ne nous résignons pas, tout n'est pas joué. Soyons pourtant certains d'une chose: notre avenir dépend de la convergence de luttes sociales d'ampleur à l'échelle européenne, des luttes qui ne pourront pas n'être que défensives mais qui devront porter un véritable projet de société alternatif au capitalisme.

Face au libéralisme, présenter l'État comme un sauveur suprême est un dangereux mirage. Bourdieu, dont l'engagement au côté du mouvement social mérite par ailleurs le respect, tombe tête baissée dans ce piège, nous expliquant doctement que l'État serait «capable de contrôler et d'imposer efficacement les profits réalisés sur les marchés financiers et, surtout, de contrecarrer l'action destructrice que ces derniers exercent sur le marché du travail [...]» (Le Monde Diplomatique, mars 1998). Quand il se pique de politique, Bourdieu semble oublier ses propres analyses sociologiques: l'État n'est pas un instrument neutre mais un outil répressif au service des puissants.