Du harcèlement sexuel au travail : « Ne le prends pas mal, il est comme ça avec tout le monde »

mis en ligne le 10 juillet 2014
Un sondage Ifop publié en mars 2014 nous informe qu’une femme sur cinq a subi un harcèlement sexuel sur son lieu de travail au cours de sa carrière. À mon avis, cette étude minore le nombre de femmes harcelées. Non pas consciemment, mais car de nombreuses femmes qui subissent ce type de harcèlement ne le reconnaissent pas comme tel.

Étude de cas pratique
Hier, au restaurant où je travaille, un des chefs cuisiniers vient me voir, et, en guise de bonjour, prononce cette phrase devenue mythique : « Dis, on a déjà couché ensemble ? Car c’est possible que je ne m’en souviens plus. » Plus tôt dans le mois, un client arrive au comptoir et me lance, sans préavis : « J’adore les femmes girondes », en me regardant droit dans les yeux. Après mon troisième mois de travail, un groupe de clients composé d’hommes dans la trentaine, très propres sur eux, habillés en costume, m’a laissé une charmante note sur une serviette. Dessus, 10 euros de pourboire et un petit mot qui devait leur paraître doux : « Pour vos beaux seins. » Voici mon quotidien de serveuse, qui doit sûrement être celui de nombreuses autres.
Donc, hier, je craque. N’ayant pas le « droit » d’envoyer balader les clients (vous comprenez, ce n’est pas une bonne technique pour fidéliser la clientèle), je décide de répondre au chef cuistot. Je lui réponds que non, nous n’avons pas couché ensemble, que ça n’arrivera jamais et qu’il est prié de changer de ton quand il s’adresse à moi. Ce dernier repart vexé. Sur ce, ma responsable, qui a assisté à la scène, me prend à part et commence à justifier ce comportement : « Ne le prends pas mal, il est comme ça avec tout le monde. Tu sais, c’est un peu sa façon de dire bonjour. » Je rétorque alors deux choses. Premièrement que, non, je ne le prends pas mal. Je ne tolère pas qu’un supérieur hiérarchique vienne m’agresser sexuellement de façon verbale, ce qui est différent. Deuxièmement que, non, ce n’est définitivement pas une façon de dire bonjour. S’ensuivit une réplique de sa part qui me laissa pantoise : « Mais tu sais, ce n’est pas ton patron, tu peux l’envoyer chier si tu veux. »

De l’intériorisation du sexisme
C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’argumenter était inutile. Pour elle, une femme se doit d’accepter ce type de harcèlement sexuel s’il peut rapporter de l’argent ou s’il vient d’un patron. En gros, s’il vient d’une personne dominante. Et là, je me rappelle sa classe sociale à elle, qui est issue de la bourgeoisie, et la mienne, le prolétariat. De fait, nous n’avons pas le même féminisme ni les mêmes intérêts de classe. Pour elle, il s’agit de se faire de l’argent grâce à ma force de travail. Pour moi, de lutter contre la domination de classe et contre le sexisme. Car, dans le cas du harcèlement sexuel au travail, les deux sont liés.
Si mon patron, mon chef ou mon responsable se permet ce genre de comportement envers ma personne, ce n’est pas seulement parce que je suis une femme, c’est aussi parce que je suis une employée salariée, sous sa domination économique. Or, comme tout patron, ce dernier sait que j’ai besoin de cet emploi pour vivre et que la peur de perdre cet emploi m’incitera à ne pas lui répondre, à me taire et à ne surtout pas porter plainte de crainte de ne pas être cru, de la honte que la société me fera porter. Cet aspect du harcèlement sexuel au travail transparaît dans le fait que certains hommes subissent eux aussi cette oppression sur leur lieu de travail. Il s’agit certes d’une minorité – étant donné le nombre de femmes harcelées –, mais leur existence démontre bien qu’il ne s’agit pas que d’une simple question de sexisme.

Rendre coup pour coup
Face à cette domination, jonction du sexisme et de la domination de classe, des réponses existent. « Le harcèlement sexuel au travail est un délit. La loi protège les salariés, les agents publics et les stagiaires contre lui. » Certains syndicats, dont la CGT, ont mis en place des permanences afin d’aider les victimes à faire appliquer leur droit issu de la loi du 6 août 2012.
Le premier pas est de prendre conscience qu’il y a un problème dans ce type de comportement. Il ne faut pas trouver d’excuses à ces dominants qui utilisent leur statut social pour arriver à leur fin. Voilà pourquoi je pense que cette étude Ipsos minore les chiffres. Car on nous apprend à intégrer le harcèlement sexuel comme étant un désagrément nécessaire à l’emploi. Contre cela, nous, anarchistes, devons continuer à lutter, afin de mettre à bas ces mécanismes de domination intériorisés, malheureusement, par une majorité de salariés.

Bertille
Groupe Salvador-Seguí de la Fédération anarchiste