Ah ! ça ira ! ça ira ! ça ira !

mis en ligne le 23 janvier 2014
Voilà bientôt quatre ans que la famille royale espagnole est empêtrée dans divers scandales politico-financiers. Le Monde libertaire s’en était d’ailleurs déjà fait l’écho 1. Pour tout couronner (si je puis dire), le juge José Castro (du tribunal de Palma de Majorque) a inculpé l’infante Cristina et son époux d’abus de biens sociaux, enrichissement personnel, blanchiment d’argent… Le roi Juan Carlos avait manifesté « sa surprise devant cette décision du juge », mais, selon la formule consacrée, « respectait l’indépendance de la justice ». Il faut dire que lui-même ne se trouve pas dans une situation des plus reluisantes et a scandalisé l’opinion publique par ses frasques extraconjugales – encore qu’en France, dans notre république monarchiste, on soit également coutumiers, voire friands, des histoires d’alcôves de nos dirigeants – et sa fameuse chasse à l’éléphant au Botswana (ben oui, y a pas d’éléphant dans la péninsule Ibérique), safari qui a coûté la bagatelle de 30 000 euros. Difficile à faire avaler aux Espagnols à qui on s’acharne à expliquer que c’est la crise et que l’heure est aux sacrifices ! Difficile, aussi, de faire comprendre que, même si l’on pose avec son fusil devant le cadavre d’un éléphant qu’on vient d’abattre, on se targue aussi d’être un défenseur de la cause animale. Au moins, toutes ces révélations auront amené la maison royale à s’expliquer également sur le montant de leurs revenus : officiellement, 8,4 millions d’euros par an pour cette charmante famille, pour lui permettre, entre autre, de verser les salaires des quelque 500 personnes à leur service.
L’État n’étant pas chien, il prend en charge les factures d’eau et d’électricité de toutes leurs résidences, car faisant partie du patrimoine national. Comme certains journaux — mal intentionnés, bien sûr – l’ont fait remarquer, à ces 8,4 millions il convient d’ajouter les dépenses relatives à la sécurité, aux déplacements, à l’entretien des résidences, etc. Ce qui porte le train de vie annuel de nos joyeux Bourbons à plus de 60 millions d’euros.
Mais – la crise, sans doute –, ça ne peut pas suffire à ces royales personnes, et c’est ainsi que le gendre du roi, Iñaki Urdangarín, et son épouse l’infante Cristina, auréolés de leur statut social, se sont lancés dans les affaires par le biais de la fondation Noos, dont le but est d’organiser des congrès, réunions pour le sponsoring sportif. Fondation à but non lucratif, bien sûr, mais qui, grâce à leur société patrimoniale Aizoon – société écran –, leur a permis d’engranger plus de 6 millions d’euros – d’argent public – entre 2004 et 2006.
Pour la justice, ça porte un nom (et même plusieurs) : abus de biens sociaux, trafic d’influences, fraude fiscale, blanchiment d’argent, faux et usage de faux, enrichissement personnel, etc. Et cette justice estime que la fille du roi ne pouvait rien ignorer des activités de son mari, avec lequel elle est détentrice de 50 % de la société Aizoon. Et, comme il n’y a pas de petits bénéfices, se sont aussi ajouté des prêts non justifiés à cette société (130 000 euros), une location « bidon » d’une partie de leurs résidences, des dépenses strictement personnelles, des remboursements de voyages à l’étranger, des cadeaux, le paiement des salaires de leurs domestiques particuliers, ainsi que l’approvisionnement en nourriture de leurs lieux de résidences… Bref, nos ducs et duchesse de Palma de Majorque n’ont pas lésiné pour mettre du beurre dans leur paëlla. Résultat, l’infante (septième dans l’ordre de succession au trône) et son mari inculpés, leur palais de Pedralbes à Barcelone saisi par la justice ; qu’on se rassure, ils ne sont pas devenus SDF, et Cristina n’envisage pas de renoncer à ses droits dynastiques ; son gentil papa ne le lui demande d’ailleurs pas, lui qui, dans ses vœux de bonne année 2014, adressés à « son » peuple a déclaré « comprendre le mal que les cas de corruption causaient aux institutions », avant d’aller réveillonner en cercle familial restreint avec ses deux inculpés de fille et de gendre. Pas sûr qu’il reste longtemps sur ce trône où il avait été porté par les dispositions testamentaires de Franco – et par la grâce de Dieu, ça va sans dire.
Alors, abdication en faveur de son fils, retour à la république dont on voit de plus en plus le drapeau dans les manifestations de tout genre ? Ici, en France, deux siècles et quart de république bourgeoise nous ont montré le peu de différence qu’il y avait avec une monarchie, ce qui ne doit pas empêcher – des deux côtés des Pyrénées – de se débarrasser de ces « fins de race et parasites sociaux patentés », pour aller vers une société égalitaire et libertaire. Il est plus que temps : janvier ou pas, bloquons nos montres à 10 h 22.






1. Voir Le Monde libertaire n° 1674, « Écoutez l’Espagne », par Daniel Vidal, et Le Monde libertaire n° 1706, « Ça chauffe au sud », par Ramón Pino.