Ne victimisons pas

mis en ligne le 14 novembre 2013
Dans le langage courant, il est fréquent d’utiliser des raccourcis comme « les femmes victimes ». Attention, aucun individu n’est par essence victime, mais est victime de quelqu’un qui s’est rendu coupable de quelque fait.
Des femmes, des enfants, des hommes peuvent donc être victimes d’un homme, qui a perpétré de nombreux crimes contre elles, contre eux, peut-être plusieurs, et de la société qui n’a rien vu et qui, très probablement, va tâcher de les culpabiliser à un moment pour pouvoir éviter de se poser les vraies questions.
Donc, ces hommes, ces femmes et ces enfants sont victimes de, et c’est des traumatismes subis qu’il faut les soigner, c’est pour les conséquences matérielles qui en découlent qu’il faut les aider. Pas parce qu’ils « seraient » des victimes. Ce sont des individus, dont une caractéristique – parmi d’autres –, même si elle prend beaucoup de place dans leur vie en raison des explications données ci-dessus, est d’avoir été victime de.
Pourtant, la société, dans son discours, insiste à les enfermer dans ce statut. C’est une façon d’en faire les responsables de ce qui serait un « état de fait ». C’est aussi une nécessité politique libérale, comme l’explique admirablement Kajsa Ekis Ekman, dont le livre L’Être et la marchandise sort en France, et qui explique comment la société « rend tabou la notion de victime, pour masquer l’existence d’agresseurs » : « Comme tous les systèmes qui acceptent les inégalités, l’ordre néolibéral déteste les victimes. Parler d’un être humain sans défense, d’un être vulnérable, suppose en effet la nécessité d’une société juste et le besoin d’une protection sociale. Rendre tabou la notion de victime est une étape pour légitimer le fossé entre les classes sociales et les sexes. Ce procédé exige deux phases. D’abord, il faut affirmer que la victime est, par définition, une personne faible, passive et impuissante. Puisque les personnes vulnérables se battent malgré tout et développent de nombreuses stratégies pour maîtriser la situation, “on découvre” que l’idée qu’on s’est faite de la victime est inexacte. La personne vulnérable n’était pas passive, bien au contraire. Donc, nous dit-on, il faut abolir la notion de victime. En conséquence, nous devons accepter l’ordre social – la prostitution, la société de classes, les inégalités – si nous ne voulons pas étiqueter des gens comme des êtres passifs et impuissants. »
Coupables de/victimes de : il s’agit de nommer les responsabilités, de responsabiliser les auteurs de violences, d’être solidaires avec les victimes, de dénoncer la culpabilisation