Votre Majesté des mouches… À propos d’exil fiscal et de fuite des cerveaux

mis en ligne le 17 janvier 2013
Votre Majesté me permettra de lui exprimer mes plus vives félicitations pour son éblouissante victoire diplomatique.
De notoriété publique, la France, ce pays d’ingrats, vous avait maltraité en vous offrant si peu de premiers rôles dans les séries télévisuelles commandées par notre service public, c’est-à-dire par l’impôt. Comme vous avez raison d’entroller le grisbi chez les Russes (va falloir apprendre à jacter mafiosi, mon vieux Gérard, euh, pardon, Sire !). C’est pourquoi j’approuve, de tout cœur, votre départ. D’autant que ces séries inoubliables, vraies clefs de votre gloire, perdent avec vous leur plus précieux atout. Où déchoiront-elles donc, maintenant que c’en est fini de subir votre gueule standard de gros con franchouillard à longueur d’écrans, nous servir ad libitum, qu’il s’agisse d’interpréter Edmond Dantes ou Balzac, le colonel Chabert ou Jean de Florette, les mêmes mimiques et les mêmes intonations depuis plus de trente ans ? (J’argotise encore, hein : nul ne croit, Sire, que Votre Majesté ait une gueule, fût-elle de bois !)
Vous, en Cyrano, c’était réduire Rostand à Uderzo, c’est-à-dire tâcher de reconstruire un Relais et Châteaux dans un deux-pièces cuisine, tant vos talents d’acteur pèsent léger face à votre embonpoint de dernier Valois. Votre graisse, Sire, seule incarne toutes les fiertés de nos si innombrables terroirs qu’il nous faut toujours convoquer le pluriel pour les conjuguer. La montrer, c’est nous célébrer. Plus encore qu’incarner la France, vous l’étaliez, et avec quelle emphase. Ô temps, ô mœurs !
Non sans quelque nostalgie, je songe que vous donnâtes la réplique à Dewaere, au temps jadis, et que vous galérâtes avec Coluche, entre autres… Vous en souvient-il, quand vous étiez de gauche ? Le Général avait bien raison quand il affirma que la vieillesse est un naufrage.
Déblayez donc, Sire, et surtout, apprenez vite à la boucler, désormais. D’aucuns fuyards de votre trempe ont au moins le bon sens de partir sur la pointe des pieds. Mais n’ayez crainte : sa rutilance le Grand-Archiduc Vladimir vous apprendra la discrétion. De gré ou de force. Un soulagement, cependant : Votre Majesté passerait difficilement pour un membre des Pussy Riots. Le risque est donc réduit de vous voir condamné à quelque repos forcé en centre miradoré. Oserai-je pourtant vous glisser que je souhaite, ô combien, me réjouir que vous ayez pris plaisir à rédiger votre toute dernière lettre ouverte, car sous le régime « démocratique » (dites-vous) dont vous avez cru bon adopter (peut-être devrais-je écrire « acquérir ») la nationalité, vous n’aurez plus guère le loisir de vous livrer à ce plaisant exercice.
Quels vœux formulerai-je à Votre Majesté pour la nouvelle année ? Peut-être qu’elle soit rejointe en son oriental exil par Madame la Marquise de Bardot-Saint-Trop, dont l’exquise délicatesse envers les animaux trouvera peut-être à s’employer avec vous, ainsi que par Monsieur de Comte Clavier de La Tamise, tant délocaliser en Russie l’acteur qui incarna Napoléon dénoterait d’esprit et de finesse. Non, je m’en tiendrai à un simple « bonnes affaires », Sire, et « bon vent ». Quant à cette petite missive, ne m’en tenez pas trop rigueur : vous recevez exactement ce que vous vouliez. Brisons là, donc.
Votre plus fidèle admirateur, qui vous baise les pieds, etc.

Louis Lestran
Groupe Gaston-Couté (Orléans)