Comment peut-on être Guarani-Kaiowá ?

mis en ligne le 15 novembre 2012
En 1721, Montesquieu se demandait : « Comment peut-on être persan ? », un des plus beaux textes sur le racisme et la bêtise face à l’étranger que l’on ne connaît pas.
En ce mois d’octobre 2012, dans la région du Mato Grosso do Sul (Brésil), des Indiens Guarani-Kaiowá, expulsés de la terre de leurs ancêtres par un arrêté du tribunal, menacent de se suicider collectivement. La menace a été écrite par la communauté indigène et publiée par le Conseil indigène missionnaire (Cimi) : « Conscients de ce fait historique, nous allons et nous souhaitons dès à présent être enterrés auprès de nos ancêtres ici même où nous nous trouvons aujourd’hui et, pour cela, nous demandons au gouvernement et à la justice fédérale de ne pas décréter l’ordre d’expulsion mais nous sollicitons le décret de notre mort collective et demandons à être tous enterrés ici.
Nous demandons, une bonne fois pour toutes, afin de décréter notre massacre et extinction totale, d’envoyer également plusieurs tracteurs pour creuser un grand trou où jeter nos corps et nous enterrer. Cela est notre demande faite aux juges fédéraux. Nous sommes déjà dans l’attente de cette décision de la justice fédérale. Qu’ils décrètent la mort collective des Guarani et Kaiowá de Pyelito Kue/Mbarakay et qu’ils nous enterrent ici puisque nous avons décidé à l’unanimité de ne partir d’ici ni vivants ni morts » (lettre du 17 octobre 2012 des Guarani-Kaiowá de Pyelito Kue/Mbarakay).
En quelques dizaines d’années, le Brésil s’est hissé au rang des principaux exportateurs mondiaux de denrées agricoles et d’agrocarburants. Le Mato Grosso do Sul, un des plus vastes états brésiliens, jadis territoire des Guarani, aujourd’hui occupé par les gros propriétaires terriens, est le leader national de la production de soja et de canne à sucre.
Les Guarani sont expulsés de leur propre terre depuis cinq siècles. Sur un total de 74 territoires autochtones reconnus par le gouvernement fédéral, entre début 2003 et fin 2009, seulement trois concernent le peuple guarani, l’une des plus importantes populations indigènes du pays.
« Le sort des Guarani-Kaiowá est caractéristique de ce qui se produit lorsque le processus de ratification des terres est bloqué ou annulé par décision de justice. Les populations indigènes sont forcées de s’installer à la lisière de leurs terres ancestrales, dans la crainte constante de représailles de la part de tueurs professionnels à la solde des propriétaires terriens ou employés par des sociétés de sécurité dans des conditions d’encadrement minimes », selon Patrick Wilcken, adjoint de recherche et d’action d’Amnesty International pour le Brésil.
Les Guarani connaissent un taux de suicide effroyable, surtout parmi les jeunes de 12 à 25 ans. De récentes statistiques gouvernementales révèlent une moyenne d’un suicide par semaine. Privés de leurs terres et subissant la destruction progressive de la forêt amazonienne (Kaiowá signifie « peuple de la forêt »), les Indiens n’ont d’autre choix que de travailler dans les usines et les champs de canne à sucre créés par les riches propriétaires, dans des conditions proches de l’esclavage.
Le documentaire A sombra de um delirio verde (Un monde moins vert) s’interroge sur la relation entre l’augmentation des disparitions des Guarani-Kaiowá et celle de la production de canne à sucre. Selon une enquête réalisée pour ce documentaire, plus de 90 % des familles Guarani-Kaiowá dépendent des rations alimentaires du gouvernement pour survivre, ce qui ne couvre pas les besoins quotidiens.
En novembre dernier, 42 hommes armés ont envahi le camp d’Amambaí, pour assassiner Nisio Gomes, 59 ans, cacique des Guarani-Kaiowá, ainsi que d’autres membres du village.
Après le massacre, les étudiants Guarani-Kaiowá de l’université fédérale du Mato Grosso do Sul (UFMS) ont écrit une lettre ouverte dans laquelle ils dénoncent la situation à laquelle sont confrontés les Indiens : « Il semble que le nazisme existe ici. Il semble que le Mato Grosso do Sul est devenu un camp d’entraînement au tir sur les peuples autochtones. […] Nous pouvons dire que l’État, les politiciens et la société sont complices de cette violence puisqu’ils ne disent rien, puisqu’ils ne font rien pour changer cet état de fait. Les Indiens sont devenus les nouveaux Juifs. »
En 1969, Paul Lambert, cinéaste-explorateur, écrivait : « Les maladies, la faim, la solitude, les revolvers et les mitrailleuses des Blancs “civilisés” déciment un peu plus chaque jour les derniers hommes libres du monde : les Indiens brésiliens de la savane ou de la grande forêt amazonienne […] ce sont les enfants perdus de la terre » (Fraternelle Amazonie, Robert Laffont).
Aujourd’hui comme hier, le silence des autorités et de la presse brésiliennes est presque total. Suicide, ou génocide ?

Michel Gutel



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Edson

le 5 décembre 2012
Otimo ! abraços