Comédie européenne

mis en ligne le 27 septembre 2012
Voilà donc le marronnier du traité européen. Si celui de Maastricht date du 7 février 1992, le défilé des textes organisant l’Europe a débuté en 1951 avec le traité de Paris dit « traité charbon-acier ». Depuis, ils se suivent, eux ou leurs modifications, et se ressemblent. Un nouveau pas fut franchi avec le traité de Maastricht et la création de l’euro. Puis, ce furent les traités d’Amsterdam, de Nice et de Lisbonne. À chaque fois qu’il est question de confirmer l’adhésion à un de ces accords, la comédie du pour ou du contre se rejoue à guichet fermé.

Pour la France ou contre le capitalisme ?
Il y a ceux qui s’opposent parce que c’est, à chaque fois, un petit bout de la France éternelle qui disparaît. Il y en a d’autres pour qui c’est une façon de résister à un capitalisme financier de plus en plus intrusif. La conjonction de ces deux types de refus peut réussir, comme ce fut le cas en mai 2005, lors du référendum nous demandant d’approuver « le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une constitution pour l’Europe ». 54,68 % des électeurs votèrent contre !
Croire un seul instant qu’en votant pour ou contre on puisse faire avancer la cause européenne, ou repousser la mainmise des marchés sur notre vie, relève de l’illusion la plus complète. L’unification de l’Europe, ou plutôt son européanisation, comme on dit mondialisation, est un processus irrésistible qui répond à un certain nombre de nécessités parfois contradictoires et souvent inconciliables. Le capital a besoin d’un espace unifié où la marchandise (la main d’œuvre en est une) puisse circuler sans entrave. Les populations, en grande majorité, désirent vivre en paix avec leurs voisins, les souvenirs des guerres mondiales continuant à hanter l’inconscient collectif. Les politiques vont se diviser en plusieurs camps. Certains vont faire tout ce qu’ils peuvent pour faire disparaître les frontières. Les mêmes, pour en même temps satisfaire un sentiment nationaliste, vont entourer l’espace européen d’un rideau difficile à franchir, au moins en théorie et cela donnera Schengen. En même temps, ils feront ce qu’il faut pour que l’inégalité des protections sociales perdure afin d’arriver à réduire autant que possible le coût du travail. L’aboutissement de ce processus est l’arrivée au pouvoir suprême européen de Mario Draghi, dont l’itinéraire personnel ne peut que nous ravir. Ancien haut fonctionnaire italien, haut cadre chez Goldmann Sachs – cette banque dont les mauvaises langues prétendent qu’elle dirigerait le monde –, gouverneur de la Banque d’Italie, il dirige aujourd’hui mon porte-monnaie et le vôtre, sans que l’on ne nous ait jamais demandé notre avis. C’est lui le patron. Ce qui va renforcer tous ces politicards qui font la France en disant : « C’est la faute à l’Europe. » Manière de se protéger dans leurs fiefs électoraux, en oubliant qu’ils participèrent à cette situation et, qu’à travers les subventions de Bruxelles, souvent conséquentes, ils assoient leurs positions féodales. Et il y en a d’autres, tellement minoritaires, qui croient que le Parlement européen est autre chose qu’une sinécure et que ce que l’on ne peut pas faire dans une assemblée nationale est possible au niveau supérieur. Ce faisant, ils éloignent encore plus le citoyen de base du lieu de la prise de décision.

L’Europe des lisières
Mais l’Europe, ce n’est pas seulement un étage administratif, décisionnel ou assembléiste de plus dans la gestion de ses habitants. C’est aussi, aux limites de chaque pays, une interpénétration des flux de circulation des habitants frontaliers. Ces territoires conquis quotidiennement sont quasi insupportables aux élites politiques et administratives de ces bordures. Les migrations touristiques comme professionnelles ont amené des mutations électorales importantes qui n’ont pas soulevé d’émeutes xénophobes. Les citoyens de l’Union européenne qui résident en France peuvent participer aux « élections municipales et aux élections européennes dans les mêmes conditions que les électeurs français ». On peut se demander pourquoi ces limites existent et pourquoi aucun des politiques ne revendique l’extension de leurs droits de vote à toutes les élections puisque nous sommes tous Européens. On comprend mieux pourquoi les étrangers hors Union européenne ne se verront pas offrir la possibilité de glisser leur petit bulletin dans l’urne, ni demain ni plus tard.
L’Europe, c’est aussi quelques avancées « démocratiques », comme la présence d’un avocat dès la première heure de garde à vue rendue obligatoire par les décisions de Cour européenne des droits de l’homme qui condamnait la France à ce propos. C’est aussi la possibilité, en cas de décision judiciaire injuste, de faire recours devant la Cour de justice de l’Union européenne. Les décisions du Parlement européen prises dans l’espace étroit qui existe entre les parlements nationaux d’un coté, la commission de Bruxelles et les banques européennes de l’autre, sont la plupart du temps méconnues car souvent dérangeantes.
Les députés européens ont condamné le verdict contre le groupe Pussy Riots, ils craignent que la réduction des fonds alloués à la recherche ne rende encore plus difficile la reprise économique, ils réaffirment que les dons de tissus et de cellules doivent être non rémunérés, ils demandent que la Lituanie, la Pologne et la Roumanie reprennent des enquêtes indépendantes sur la CIA qui aurait détenu, dans des prisons secrètes sur leur sol, des suspects liés au terrorisme international, etc.

Vers une fédération européenne ?
Cette idée devrait plaire aux anarchistes ! Oublions cela tout de suite, il n’y a aucun rapport avec notre idée du fédéralisme. Envisageons donc le problème selon les termes du débat mené par les politiques. Aujourd’hui, l’Europe existe sous la forme d’une confédération, c’est-à-dire d’une alliance d’États gardant leur indépendance, même si, dans les faits, cette dernière est de plus en plus rognée aux entournures.
Pour passer à un niveau d’unification plus avancé, il faut résoudre un certain nombre de problèmes de fond. Une Europe unifiée implique un accord fondamental entre l’Allemagne et la France. Il ne s’agit pas là d’un accord politique, mais de divergences culturelles. Notre voisin d’outre-Rhin est organisé de façon fédérale. Les Allemands ont été vaccinés contre le centralisme politique par les règnes de Bismarck et de Hitler. Pour eux, le fédéralisme est synonyme de démocratie et, on l’oublie souvent, de succès économiques. Pour notre pays, il n’y a de pouvoir que parisien. Le jacobinisme, non seulement n’est pas mort, mais reste la référence ultime. Aucune décision ne peut être prise si elle n’émane pas du pouvoir central. Personne n’est capable d’imaginer une administration de l’éducation propre à chaque région. Même dans les organisations politiques, syndicales ou sociales, les têtes dirigeantes sont toutes à Paris.
La situation alsacienne est bien révélatrice de cette ambiguïté. C’est une région attirée culturellement et économiquement par l’Allemagne. Elle rêve, ouvertement ou pas, de ressembler aux Länder allemands. Elle est gouvernée par trois assemblées, deux conseils généraux et un régional. Il y existe un consensus général pour reconnaître que les deux conseils généraux sont en trop. Chaque conseil est d’accord pour que l’autre accepte de se faire hara-kiri !

Et la crise arriva !
La dette atterre tout le monde ! La dette oblige à repenser l’économie des États. Pour satisfaire la dette, les politiques veulent réorganiser l’Europe. C’est comme ça que notre homme fort est un banquier devant qui, tous, d’une façon ou d’une autre, se prosternent. Quand une voix dissidente s’élève, c’est juste pour dire : « Pas si vite ! » Serions-nous les seuls à dire : « Ras le bol de la dette » ? Il faut une Europe, certes, mais une Europe débarrassée de tous ces petits potentats, aussi bien syndicalistes que politiques, intellectuels, culturels ou des services sociaux, qui négocient pour leur pomme une part de gâteau !