Patagonie rebelle (Aysén). Chili : état des lieux, état des luttes (2/3)

mis en ligne le 26 avril 2012
1670PatagonieLe soulèvement d’Aysén
Un mouvement social, composé de différents groupes et de différentes organisations sociales de Aysén, en Patagonie chilienne, se bat aujourd’hui pour exiger une meilleure qualité de vie pour les habitants de la région. Le slogan de leur combat : « Tu lucha es mi lucha » (« Ta lutte est la mienne »).
Différentes mobilisations ont eu lieu à Aysén depuis février. Ces mobilisations sont organisées par le Mouvement social pour Aysén qui rassemble près de vingt organisations. Parmi elles, le Syndicat des pêcheurs, la Centrale unitaire des travailleurs (CUT), l’Association nationale des employés fiscaux (Anef) et l’association Patagonie sans barrages. Les autorités locales ont également rejoint le mouvement. Il s’agit des maires de plusieurs villages de la région, auxquels sont venues se joindre les associations de taxis collectifs, de camionneurs et de commerçants.
Aysén est une des régions les plus australes du Chili, le coût de la vie y est très élevé par rapport à d’autres régions, cela est dû principalement au peu de connexions qui existent avec le reste du pays. Plusieurs organisations régionales soulignent que les bénéfices provenant de l’exploitation des ressources naturelles ne restent pas dans la région et que les pêcheurs possèdent de moins en moins de quotas de pêche.
Les revendications du Mouvement social pour Aysén sont les suivantes : réduction du prix du pétrole, de l’essence, de la paraffine, du gaz et du bois ; amélioration des infrastructures régionales de santé ; un salaire minimum régional et la remise à niveau des rémunérations ; création d’une université régionale à Aysén ; régionalisation de l’eau, des ressources minérales, agricoles et forestières ; renforcement des moyennes et petites entreprises de la pêche, restitution des prestations et des droits de pêche pour ceux qui la pratiquent ; réduction du coût des aliments de base et création d’une caisse de retraite pour les adultes, les personnes âgées et les handicapés ; construction de routes desservant les villages où travaillent les petits paysans.
Les premières protestations ont eu lieu le 7 février, quand un groupe de pêcheurs et des dirigeants locaux ont occupé le pont du Président Ibáñez, sur la route d’accès principale à Puerto Aysén. Un autre groupe de pêcheurs a occupé l’aéroport de Melinka. L’objectif de la manifestation était d’exiger l’augmentation des quotas de pêche. Durant quatorze jours un groupe d’environ 300 personnes a bloqué plusieurs routes d’accès à Puerto Aysen et Puerto Chacabuco. Il y a eu des affrontements avec la police et des détentions.
Des barricades ont été levées dans diverses parties de Coyhaique, Puerto Aysén, des drapeaux noirs ont été utilisés à différents endroits. Des coupures de route ont eu lieu, un grand magasin a été pillé, l’hôtel de Diego de Almagro a été attaqué avec des pierres. À Puerto Aysén, un groupe de 500 personnes a organisé une manifestation devant le gouvernement provincial, tandis qu’à Coyhaique, Mgr Luis Infanti, l’archevêque de la région, a exprimé son soutien aux rebelles lors d’une messe à la cathédrale.
Des chauffeurs de taxi ont été blessés par des billes en acier tirées par la police à Coyhaique lors d’un blocage à la périphérie de la capitale régionale. Un groupe de vingt camions a bloqué la route australe et la connexion avec l’aéroport de Balmaceda. Plus tard, des manifestants se sont affrontés avec la police qui gardait une station d’essence. Des perturbations de l’approvisionnement d’électricité ont également eu lieu dans plusieurs secteurs de la région.
À l’aube, le 21 février, des incidents violents ont été enregistrés à Coyhaique. Le gouvernement régional, une banque, un supermarché et une pharmacie ont été attaqués. Il y a eu des affrontements entre manifestants et policiers à la fois à Coyhaique et Puerto Aysén, cela a provoqué l’arrestation de dix-sept personnes. L’approvisionnement en carburant est devenu rare dans la région, en particulier à Coyhaique, où la vente de l’essence a été limitée.
Le vice-ministre de l’Intérieur Rodrigo Ubilla s’est rendu dans la région le 6 février pour entamer des négociations entre les manifestants et le gouvernement. Le 20 février, Sebastian Piñera, le président, a envoyé dans la zone de conflit les ministres Jaime Mañalich (Santé) et Pedro Pablo Errazuriz (Transports et Télécommunications). Mañalich a pris plusieurs engagements sur les questions de santé pour la région d’Aysén, en se concentrant sur l’acquisition de nouveaux appareils médicaux et la construction de nouvelles infrastructures de santé.
Mais la répression est extrême. Les carabiniers ont tiré à balles réelles contre les manifestants le 21 mars. L’état de siège a été instauré dans toutes les agglomérations et toutes les routes. Internet et le téléphone ont été coupés. Les femmes et les enfants sont obligés de fuir la répression orchestrée par les forces de l’ordre.
La loi de sécurité intérieure de l’État – la loi antiterroriste mise en place par Pinochet – est aujourd’hui appliquée aux travailleurs et au peuple de la région. Vingt-deux personnes ont été emprisonnées, dont le dirigeant des pêcheurs, Honorino Angulo Mansilla.
Les gens de Aysén sont entrés dans la guerre, ce qui a mis en péril le gouvernement central et l’administration néolibérale, et nous ne parlerons pas des manifestations qui ont eu lieu dans tout le pays pour soutenir le mouvement. Il est difficile pour la population d’accepter que la principale région productrice de pétrole du Chili subisse les prix des carburants les plus élevés du pays. Les relations avec le reste du pays sont rendues difficiles en raison du mauvais état des routes, ce qui provoque l’isolement des habitants de la région, surtout pendant les longs hivers de l’extrême sud, ce qui affecte les plus pauvres mais aussi les PME qui n’ont que des ressources limitées et instables pour résister au modèle néolibéral.
Les expressions de mécontentement sont fortes, nous constatons que les différents syndicats luttent pour empêcher l’effondrement économique et social de la région. L’avenir des dockers, des employés des impôts, des transporteurs, des pêcheurs, des travailleurs en général est en jeu. Il s’agit d’une conjonction d’acteurs qui ont un but commun face à l’incapacité des gouvernements centraux et régionaux à répondre aux demandes sociales. Les communautés et les citoyens n’ont pas peur, ils ont pleinement conscience de leur pouvoir.

Répression contre les anarchistes
À la suite de différents attentats en août 2010, des militants anarchistes arrêtés dans le cadre de l’affaire Caso Bombas croupissent dans les prisons de haute sécurité chiliennes. Le Caso Bombas est une série d’attentats à l’explosif où Mauricio Morales, un militant libertaire, est mort après avoir sauté avec la bombe qu’il posait à l’école de gendarmerie de Santiago.
Tout comme les jeunes de Tarnac en France, ces militants sont victimes de la répression policière et d’une campagne médiatique visant à faire passer des jeunes vivant dans des squats, faciles à identifier, faciles à montrer du doigt, pour des terroristes responsables de braquages et d’attentats à la bombe qui ont sévi au Chili. Et si au fil des mois, le dossier d’accusation s’est dégonflé petit à petit, tant il contenait d’hypothèses fantaisistes, ils n’en ont pas moins subi une détention arbitraire dans des conditions indignes qui ont poussé quatorze d’entre eux à faire une grève de la faim. Ils exigent leurs libérations immédiates et dénoncent le montage politique de cette affaire. Ils exigent aussi l’abrogation de la loi antiterroriste qui réprime actuellement toute forme de contestation. Cette action collective vise à dénoncer également le fait que le 17 mars, le tribunal n’a pas voulu fixer une date d’audience, ce qui signifie qu’ils peuvent être incarcérés indéfiniment. L’embarras commence néanmoins à être palpable dans certains cercles du pouvoir chilien. En février, la commission des droits de l’Homme de la Chambre des députés leur a rendu visite à la prison de haute sécurité et a constatée que leurs conditions d’incarcération étaient proches de la torture ; au mois de mars, quarante parlementaires sociaux-démocrates se sont indignés par écrit de la tournure que prend l’instruction.
Le 24 mars, la justice bourgeoise a été contrainte de reculer en exigeant la fin de cette instruction dans les dix jours. La fixation d’une date d’audience est sans nul doute proche. L’une des revendications des grévistes de la faim est satisfaite. Mais, tant qu’ils sont incarcérés, la solidarité internationale doit continuer à s’organiser pour les soutenir et pour faire cesser les persécutions de l’appareil sécuritaire chilien.